Archive du forum galerie-photo : esthétique et autres discussions 2010-2013 




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Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 09/03/2010, 10:53

Henri Gaud écrivait:
-------------------------------------------------------
> Peut-être avec d'autres images,
> Celles-ci me semblent donner peu de liberté,
> Freud pointe son nez un peu trop vite à mon goût.


Oui, je vais essayer de trouver autre chose. Mais c'est du boulot !

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: mougin
Date: 09/03/2010, 11:38

"Freud pointe son nez un peu trop vite à mon goût."

C'était le principe du jeu, utiliser une grille de lecture, de même que Henry Peyre utilise une grille musilienne. La démarche d'Henri est plus originale, vu qu'à ma connaissance Musil n'a pas joué les critiques d'art, alors que Freud l'a fait, et que Lacan, qui était amateur d'art, n'a pas vraiment écrit sur l'art en dehors du séminaire 11. Par contre il fait toute une théorie de l'imaginaire.

Les images proposées par Guillaume, se prêtaient particulièrement à l'exercice, puisqu'elles mettaient en scène une relation au corps et au désir, ne serait-ce que parce nous mettaient dans la position de voyeur.
Je ne sais pas si on pourrait faire le même exercice sur l'une de tes trichomies très minimaliste.

Nan Goldin que je n'ai jamais vraiment pratiquée, me paraît être vraiment intéressante. Son autoportrait, me paraît tout à fait intéressant et de prêterait elle aussi à une interprétation à la manière de Freud. Mais cette dame doit avoir des problèmes et apparemment en faisant des photos elle se soigne. Ce qui est encore une bonne façon de faire de l'art.

Mougin

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Henri Gaud
Date: 09/03/2010, 11:48

Pas de problème Mougin,
Ta proposition est intéressante,
Mais ...

<<Mais cette dame doit avoir des problèmes et apparemment en faisant des photos elle se soigne. Ce qui est encore une bonne façon de faire de l'art.<<

Cela me semble une bonne raison, et peut importe si l'œuvre art présente un intérêt ou pas, ce qui est important c'est le déclencheur.

En fait je préfère me placer dans l'action de faire une œuvre, que d'analyser les œuvres existantes, même s'il n'est pas souhaitable d'échapper à l'analyse, sur une ile déserte nous ne serions rien.

-------
No Pasaran
-------

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Xavier R
Date: 09/03/2010, 12:00

J'e ne comprends pas que l'on montre deux photos que l'on aime pas.
Une à la rigueur.
Et puis en appeler à Freud à Lacan ou à Musil; cela ne nous empécherait pas par hasard d'en appeler à soi?
Je crois que d'une façon ou d'une autre tout artiste se soigne.
Cela ne veut pas dire qu'il est malade.

Si je photographie quelque chose, tant pis pour elle!

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: henri peyre
Date: 09/03/2010, 12:18

Juste un mot pour dire que c'est le fait d'être pris par le boulot qui m'empêche de me manifester... mais que je reviendrai sur ce formidable échange !

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 09/03/2010, 12:18

Xavier R écrivait:
-------------------------------------------------------
> J'e ne comprends pas que l'on montre deux photos
> que l'on aime pas.


Simplement parce que l'analyse d'image peut porter sur tous types d'images et que c'est en creusant que l'on peut dépasser la réaction primaire et trouver un intérêt que l'on aurait pas imaginé autrement !

J'en ai trouvé deux autres… à plus tard.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: didier d
Date: 09/03/2010, 13:23

gp écrivait:
-------------------------------------------------------
> Si Didier, j'ai des preuves : j'ai vu ma première
> coccinelle de l'année.


pas une preuve ça, les coccinelles ne sont pas des cigales,elles passent l'hiver à l'état adulte, il arrive donc que l'on en croise à la faveur d'un rayon de soleil... :)

bon, j'arrête le hors sujet bébête sur ce fil de haute volée...

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Sélection
Tout et n'importe quoi, au jour le jour

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 09/03/2010, 14:28

Je propose de renouveler le jeu à partir de deux images. Cette fois, les auteurs ne sont pas nommés. Merci à ceux qui les reconnaîtront de bien garder leur langue ! ; )

Ce sont deux vues aériennes, ce qui en soi constitue déjà un changement de point de vue par rapport à la connaissance que nous avons des choses. Le but n'est pas de voir en quoi le changement de point de vue au sens physique (l'altitude) apporte quelque chose, mais, comme pour les exemples précédents de comparer deux images pour ce qu'elles donnent à voir, et en quoi les relations entre les éléments de la composition ouvrent ou non à des possibilités d'interprétations multiples.

Je me contente pour l'instant d'identifier, s'il y a lieu, les logiques en présence. L'idée étant de montrer, je répète, une image qui présente un seul point de vue, et une autre qui contient une multiplicité de points de vue possibles.



Image A :
Les éléments en opposition :
- l'espace naturel / une installation humaine
- étendue et le microcosme (opposition d'échelle)
- apparent désordre naturel / structure ordonnée cernée dans une figure géométrique
- la route, linéaire, rationnelle / le sentier, "opportuniste" (en lien avec l'opposition de structures ci-dessus)

Incursion d'une autre logique :
- l'ombre portée des nuages qui recouvre déjà l'autre installation humaine visible au fond, et arrive sur celle de premier plan



Image B :
Les éléments en opposition :
A vrai dire aucun : une structure parfaitement organisée où chaque chose semble trouver sa place selon une structure organisée de façon méticuleuse.

Incursion d'une autre logique :
Tout juste pourrait-on imaginer (faute de définition suffisante de l'image) que la bordure verte qui longe la route soit le dernier élément qui échappe à cette organisation sans faille, mais au vu de la rigueur de l'organisation qui semble le fait de quelqu'un qui aurait tout prévu, prenons pour acquis que même cette bordure est en obéissance à la logique qui gouverne le reste.
Seul l'ombre portée des maisons rappelle que cela se trouve sous un soleil !



Commentaire : cette seconde image est, à mon sens, de celles qui effectivement offrent un point de vue original sur les choses, sans pour autant que l'on puisse se défaire de ce point de vue, alors que la première, beaucoup plus riche de ses oppositions diverses offre, je pense, bien plus de niveaux de lecture, sans pour autant nous rendre prisonnier d'un point de vue unique. On est plus là proche de l'idée de basculement possible…

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Henri Gaud
Date: 09/03/2010, 14:40

Juste rapidement

La A est conventionnelle et réaliste, avec pas mal d'éléments, mais on reste réaliste.
La B est proche de la maquette sans en être sûr, on est entre deux, avec la question : quel sorte d'animaux vivent la dedans ?

-------
No Pasaran
-------

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: mougin
Date: 09/03/2010, 15:30

No comment. Bibi cale.

JCCMM

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 09/03/2010, 16:35

Ben mon bibi, pour un centième message quand même !

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 10/03/2010, 11:21

Bon, Jean-Claude, faut-il que tu sois touché dans ta chair pour réagir ?
Bibi cale, Jiji aussi, mais JCCMM doit bien être capable de dire quelque chose sur ces images au regard de la grille de lecture proposée dans l'article de Henri sur l'esthétique de Musil ! (approche théorique qui me sied, il va sans dire)

Juste une remarque de forme sur la première image : la pseudo-ville carré aurait été centrée que je m'en serais trouvé encore plus satisfait car cette photographie exprime assez bien, pour moi, la distance que nous avons pris vis-à-vis de ce que l'on appelle courtoisement "environnement" et la manière totalement déconnectée que nous avons de nous y établir, voire de nous y imposer. Le centrage du carré aurait été la petite note supplémentaire pour dire l'idée que nous nous faisons de notre importance…
Quand à ces nuages dont l'ombre semble faire disparaître ce qu'elle touche, ne représentent-ils pas une menace ou du moins un possible rappel à un ordre supérieur ?…

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: guy toy
Date: 10/03/2010, 11:49

"Les éléments en opposition :
A vrai dire aucun : une structure parfaitement organisée où chaque chose semble trouver sa place selon une structure organisée de façon méticuleuse.

Et pourtant, sur l'image B, j'éprouve un sentiment de confusion totale, d'éléments qui s'entrechoquent.
La A me semble beaucoup plus ordonnée.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Xavier R
Date: 10/03/2010, 12:19

La A et la B ne seraient pas l'oeuvre du même photographe?

Si je photographie quelque chose, tant pis pour elle!

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 10/03/2010, 13:35

Oui Xavier. La seconde est très caractéristique de son style : le plus souvent il ponctionne un fragment et joue sur l'effet de motif…
; )

guy toy écrivait:
-------------------------------------------------------
> Et pourtant, sur l'image B, j'éprouve un sentiment
> de confusion totale, d'éléments qui
> s'entrechoquent.
> La A me semble beaucoup plus ordonnée.


Guillaume, je dirais plutôt que la première (A) paraît plus paisible avec cette étendue qui laisse filer le regard, tout cela baignée dans une belle lumière.
La seconde (B) bloque le regard (pas d'horizon) et peut évoquer l'instabilité. En fait, je n'avais pas noté cela mais c'est peut être l'explication du côté intriguant de cette image (comme le souligne justement Henri) : tout est parfaitement réglé, chaque chose trouve sa place, mais — est-ce le fait de l'inclinaison du point de vue, je n'en sais rien —, on peut imaginer que tout va glisser.
Il faut creuser ! A toi la balle…

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Zoran
Date: 10/03/2010, 14:09

J'aime beaucoup la photo A.
Pour compléter les points de Guillaume :

1- temporalités opposées :
a : opposition d'un espace "moderne" dans un paysage qui pourrait être d'un autre âge.
b : fragilité éphémère du "construit" et permanence intemporelle de l'environnement.

2 - espaces :
idée d'espace sans limites et de liberté donnée par le vaste panorama versus enclos, liberté volontairement aliénée, nature grandiose / "ville" ridicule.

3 - échelles :
forte opposition entre les mobiles homes et les voitures qui représentent ici la technologie, minuscules au premier plan de l'image et les montages à l'arrière plan qui restent plus grandes.

4 - tonalités :
l'organisation humaine est une tache claire "naïve", les montagnes apparaissent sombres et menaçantes. Les ombres noires des nuages atteignent la ville blanche, l'engloutissement est proche.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette image, mais le temps me manque un peu, j'y reviendrais.



Modifié 3 fois. Dernière modification le 10/03/2010, 14:12 par Zoran.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Xavier R
Date: 10/03/2010, 14:35

Bon, moi je suis hors concours.
C'est bête!

Si je photographie quelque chose, tant pis pour elle!

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 10/03/2010, 15:03

Merci Zoran. On avance !
Quand on aura épuisé l'image, je tenterai une synthèse.
Pour l'instant, le boulot me mobilise…

(JC doit être devant ses lampes à bronzer… ah ! la coquetterie ! )



Modifié 1 fois. Dernière modification le 10/03/2010, 15:04 par gp.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: mougin
Date: 10/03/2010, 18:45

Bibifaceaudéfi

La pensée du paysage ou le paysage pense,

Le rapport qu’entretient la philosophie avec le paysage est une histoire ancienne, qui dans l’aire occidentale remonte aux physiciens d’Ionie et à Aristote. Pour ce dernier la philosophie commence avec l’étonnement, qui est étonnement devant le cosmos, la brillance du monde, l’émerveillement devant ce
« il y a », cet étant là qui existe et se donne à voir dans son éclat. De cet étonnement découle
l’« episteme theoretike », la science et l’observation qui s’adressent à la contemplation. Celle ci est nécessairement désintéressée, elle est à elle même sa propre fin, ce en quoi elle est une activité libre. Elle s’oppose à la praxis qui elle, est active, agit sur les choses, poursuit un fin qui lui est étrangère, elle est donc une activité servile.

Mais est-ce là véritablement la contemplation d’un paysage, si l’on veut bien considérer la définition moderne du mot. Le paysage écrit Ritter , « c’est la nature esthétiquement présente se montrant à un être qui la contemple en éprouvant des sentiments. » Or dans la theoria d’Aristote, des sentiments il n’y en a guère.

Il est convenu que le paysage moderne est né le 26 avril 1335, à l’occasion de l’ascension du Mont Ventoux par Pétrarque. Il nous décrit cette expédition comme une aventure dans une nature hostile, dangereuse, encombrée d’obstacles. Tels sont aussi les efforts que doit faire l’âme humaine pour vaincre les obstacles qu’elle rencontre sur le chemin de son salut. Arrivé au sommet, il est comme frappé de stupeur, il aperçoit les montagnes lyonnaises, la mer qui baigne Marseille, les remparts d’Aigue Morte, le Rhône lui-même est sous ses yeux. « Comme je prenais plaisir à détailler ce spectacle, tantôt songeant aux choses terrestres, tantôt comme je l’avais fait avec mon corps, élevant mon âme vers les sommets, je crus bon de jeter un regard sur les « Confessions de Saint Augustin »……Je l’ouvre pour lire ce qui me tombera sous les yeux……Dès que je fixai mes yeux je lus. « Et le hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuve, le circuit de l’Océan et le mouvement des astres et ils s’oublient eux-mêmes ».

La même année Ambrogio Lorenzetti à Sienne peint la première fresque représentant un paysage « Les effets du bon gouvernement à la campagne ».

Il y a donc une sorte d’antinomie entre paysage et pensée. Le paysage en principe est là-dehors devant moi autour de moi, et la pensée là dedans, entre les deux il y a comme une barrière qui est celle que le sujet moderne met entre lui et la nature, cette pensée du dehors est celle de l’homme qui se veut « maître et possesseur de la nature ». Et pourtant le paysage pense, donne à penser, et même à me penser.

Jean-Marc Besse, cité par Augustin Berque, prétend : « Entre moi-même et moi-même il y a la Terre », une façon pour Augustin Berque de nommer ce qu’il appelle la médiance, et qui définit l’interaction qui existe entre mon environnement « topos », et mon corps comme « chora », topos en grec est le terme qui désigne un espace topographique, celui de Descartes par exemple, étendue en longueur largeur et profondeur, « espace sans cachettes » comme l’appelle Merleau-Ponty, alors que « chora » est l’espace habité, celui d’une humanité plurielle. Ce mot en grec moderne désigne même la place comme lieu de rencontre où des corps circulent (la passagiata), s’exposent au regard d’autrui.

Après ce long préambule historique philosophique, voyons ce que cette image peut donner à penser, tout en essayant d’y appliquer notre grille.

Une image est un piège à regard.

Une image est un dompte regard

Une image ça me regarde.

Ce que nous montre cette image d’Alex Mac Lean est bien un paysage. En position de surplomb, tout comme Pétrarque, nous avons à nos pieds la large étendue d’un espace, un sorte de steppe semi désertique, comme on en rencontre dans l’Ouest Américain, dont les limites sont le ciel, et au loin une chaine de montagnes bleutées, avec semble-t-il à ses pieds une bourgade ou peut être une ville. Cet espace presque dénudé, aucun arbre ne s’y dresse, est traversé en biais par une route bitumée qui conduit à la ville. A peine distingue-t-on le long de cette route une sorte de station service, arrêt obligé dans un paysage que personne ne regarde de sa voiture lancée à grande vitesse, le long de cette route désespérément droite, dont on ne sait d’où elle vient ni même où elle va. Ce paysage n’est que topos, un lieu dans lequel on se déplace sans jamais rencontrer personne, si ce n’est par accident.

Piège à regard, l’image d’AML, devient quasi topographique comme si elle dressait un plan, une sorte de cadastre. Un sentier muletier, une sorte d’étroite piste tortueuse, sur laquelle ne pourrait circuler une voiture conduit à une sorte de parking, carré presque parfait, sur lequel sont garés des voitures et peut-être des mobile homes. Dès lors ce parking littéralement fait tâche dans le paysage, et on ne voit plus que lui et il s’impose à nous comme une énigme, « une scène du crime » dirait Benjamin. Un parking en plein désert, du jamais vu, un parking sans super marché du jamais vu, un parking pour cinéma en plein air rempli à craquer et en plein jour, du jamais vu. Ce qui est là ne devrait pas être là, et pourtant c’est là.

Me vient alors une sorte de solution que je dirais élégante à cette énigme. Prenons l’image à rebours. Quittons la ville au loin. Garons nous sur le parking. C’est le printemps, et nous sommes en shorts pour être à l’aise, l’une d’entre nous un peu grassouillette a mis une jupe. Il fait beau, la lumière légèrement crue est celle d’un 21 Avril, et parfois un nuage nous fait de l’ombre. Dans un instant nous descendrons le chemin à chèvres et nous arriverons au panorama, nous nous pencherons à la rambarde pour mieux voir le Grand Canyon et nous émerveiller de tant de beauté sublime. Reconnaissons que AML nous a fait le coup de la coupe, comme l’aurait fait une sorte d’Arthus Bertrand devenu subitement pervers, et qui plutôt que de nous montrer les merveilles de l’ouest américain, aurait choisi de nous montrer une nature massacrée par la bêtise humaine, question de cadrage.

L’histoire m’arrangerait bien. Voilà un paysage qui nous raconte l’histoire de gens qui vont voir un paysage que nous ne voyons pas et que nous imaginons grandiose et que volontairement le photographe nous cache. Alors l’image ne fonctionnerait que par ce qui lui manque, comme le désir, ne désire que ce qu’il ne possède pas. Le paysage d’AML n’aurait que pour fonction de créer ce désir d’aller voir ailleurs.

Mais cette histoire n’est qu’un roman, la réalité est bien plus absurde, ce n’est pas un parking que nous voyons, mais bien une sorte de camping transformé en quartier résidentiel avec mobile homes. J’ai retrouvé la photo sur internet avec la complicité de Guillaume qui m’a donné le nom du photographe.

Voici non pas le roman mais la légende de cette image telle que la donne AML

Congress, Arizona - « Je faisais un vol entre Phoenix et Las Vegas et je suis passé au-dessus de ce lotissement. Je me suis demandé : “Qu’est-ce que ces gens fichent dans ce carré planté au milieu de nulle part, en plein désert ?” Il s’agit probablement de retraités qui, dans ce no man’s land, peuvent devenir propriétaires à bon marché. Mais leur éloignement de tout soulève bien des problèmes. Aucun train, aucun bus ne se rend dans ces contrées, et les habitants de cette “colonie” doivent prendre leur voiture pour le moindre déplacement. La première bourgade se trouve à 8 kilomètres ; Phoenix, elle, est à plus de 100 kilomètres… »

Le désert, c’est bien connu, est à personne, et à tout le monde, ce lieu est sans parcelles, sans clôtures, sans fil de fer barbelés. Nous assistons ici à ce que Carl Schmidt, grand juriste nazi appelle « une prise de terre », à une sorte de droit du premier occupant à faire sienne une terre qui était le bien commun. Cette terre a été le lieu des massacres des indiens, nomades pour la plupart. Et le spectacle que nous donne l’image d’ AML est bien l’image d’une nature « massacrée », plaie mise au carré selon le principe que donnait déjà Galilée « Le monde est un grand livre ouvert devant nos yeux, il est écrit en langage mathématique, en cercles, carrés figures géométriques de toutes sortes de formes ». Le monde désenchanté, privé de ses dieux, n’est plus qu’un espace à dominer, à quadriller, à exploiter, à occuper bêtement comme le font ces mobile homes pour le seul plaisir d’être propriétaire d’un chez soi. Peu importe qu’il soit de nulle part, du moment qu’il est à moi.

Pourtant, le massacre nous choque à peine par une sorte d’accoutumance que justement nous donnent les images ; les horreurs que l’on montre quotidiennement à la télévision nous préparent sans aucun doute à accepter les horreurs qui prochainement seront à nos portes. Ici l’image d’AML baigne dans une douce lumière, nous pouvons y guetter le mouvement des nuages qui animent le paysage comme autant de projecteurs, le ciel est bleu, la terre est bien verte. Le spectacle de ce camp retranché, pour paumés au deux sens du terme, paumés socialement, mais aussi paumés spatialement, est finalement acceptable ; il est même permis de prendre plaisir au spectacle d’une telle ineptie. J’arrive presque à envier ce qui n’est pas enviable, par un curieux renversement du « dompte regard ».

Mais pour en terminer, en quoi cette image me regarde-t-elle ? Lacan raconte qu’en bateau avec son ami pêcheur Petitjean, apercevant une boîte de sardine flottant sur l’eau, il lui aurait dit : « regarde Petitjean, tu vois cette boîte là bas, elle te regarde ». De la même façon qu’est ce qui dans ce paysage faisant tache nous regarde. Juste au centre de l’image, deux immenses taches noires, ombres portées des nuages nous regarde, d’autant plus qu’à l’image de deux yeux qui nous regarderaient frontalement (et cela nous est insupportable) elle rendent la photo tout a fait inquiétante. ( Roger Caillois a montré ce pouvoir d’effroi qu’ont les ocelles du papillon qui brusquement déploie ses ailes et fait fuir son prédateur, les yeux de Gorgo qui pétrifient celui qui vient à croiser son regard, les yeux de Dionysos que le buveur découvre au fond de sa coupe.)

Et cette inquiétude nous rend le paysage devenu familier, à nouveau complètement étranger, et nous renvoie à notre propre intériorité, à l’image du conseil que donne saint Augutin à qui aime trop le spectacle du monde. Et toi n’es-tu pas partie prenante comme consommateur, comme conducteur comme propriétaire de ce massacre de de cette fabrication de l’im-monde qui partout nous assiège et que finalement nous acceptons.
N’est-tu pas cet individu moderne replié dans sa bulle, « rempardé » comme dit Lacan de l’obsessionnel, dans son petit pavillon payable à crédit pendant trente ans et qui meurt de trouille, voit des ennemis partout, ne parle pas à son voisin, se cache pour ne pas être vu derrière une mur de tuyas allergogènes, qui lui cache tout paysage et qui le moment venu vote front national ?

N’es-tu pas de ces hommes pour qui la nature n’est plus un vivant, mais un espace à parcourir le plus vite possible en suivant une route le plus droite possible, à deux voies, pour être sûr de ne rencontrer personne. N’es-tu pas de ces hommes qui ne connaissent les animaux de ferme qu’emballés ou surgelés en boîtes plastiques, et qui ne voient des vaches et des poulets qu’à la télé au moment du salon de l’agriculture.

Ce monde qu’AML nous montre totalement absurde, ce monde là est aussi le mien, je fais avec, j’en fais même des photos en pose longue, et finalement je l’accepte.

J’ai oublié que cinq siècles avant Jésus Christ Empédocle d’Agrigente pouvait déjà déclarer
« Je pleurai et gémis à la vue du séjour qui m’étais étranger. » L’image d’AML ne me fait pas rire, tout juste grimacer, elle ne me fait pas pleurer, presque sourire. Elle est étrange et pourtant familière. Ce monde du camping n’est pas le mien et pourtant il me ressemble.

Le paysage pense et donne à penser.

Merci à Alex Mac Lean et à Guillaume.

JCCMM



Modifié 1 fois. Dernière modification le 10/03/2010, 18:53 par mougin.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 10/03/2010, 19:17

Merci à toi Jean-Claude !

(j'ai la bonne excuse d'avoir une pizza à faire pour me défiler et aller ruminer tout ça paisiblement)

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Xavier R
Date: 10/03/2010, 22:54

Alors on nous demande de tenir notre langue.
Je la tiens, d'autant que je sais que les 2 photos sont du même auteur.
Mais on dévoile le nom de l'auteur à mougin qui lui ne sais pas tenir sa langue.

Alex Mac Lean est donc l'auteur de A et B qu'on se le dise.

Si je photographie quelque chose, tant pis pour elle!



Modifié 1 fois. Dernière modification le 10/03/2010, 22:55 par Xavier R.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: mougin
Date: 10/03/2010, 23:29

Je ne sais pas tenir ma langue, mais il semble pas que j'aie raconté quoique ce soit sur l'auteur. il me semble avoir parlé d'une image et en avoir proposé une interprétation, qui mérite peut-être d'être contestée ou même critiquée, voire démolie. D'ailleurs je ne tenais pas spécialement à l'interpréter, et je n'ai fait que répondre à un défi.

On devrait au moins retrouver les critiques habituelles, Trop de références, trop de citations. Basta la culture qui nous méprise. Citation d'un auteur nazi, qui a été ministre de Hitler. Dois-je m'autoflageller.

Allez Xavier au boulot.

De toute façon il reste encore une photo. Avec un peu de chance, le temps que mes palladiums bronzent lentement, je vous referai une brève. Je commence seulement à y prendre goüt.

Bonsoir Xav

JCCMM

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Hypathie Alexandre
Date: 10/03/2010, 23:39

Aristote, Pétrarque, un peintre siennois à la gomme, Galilée, Descartes, Merleau-Pponty et quelle horreur Karl Schmitt (avec deux t mon coco), tu crois pas que tu en fais trop. Et Puis c'est trop long, tu vas leur fatiguer les yeux, et y a même pas de smileS. Tout çà est d'un ringard. Et puis cette allusion à la photo musilienne d'Henri, tu crois que c'est chic, c'est gros comme une maison. D'ailleurs on t'attend avec les maisons de Mac Truc qui ont même pas de tuiles.

Ils vont t'écorcher vif, aux tessons mon fiston.

Hypathie

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 11/03/2010, 06:30

Hypathie, j'ai bien noté l'allusion à la photographie des touristes à Navacelles (le coup de la coupe, double d'ailleurs sur la photo en question, et de la jupette…)

Rapidement, parce que j'entame encore une journée de dingue :
- il n'y a rien en trop dans le beau texte de Jean-Claude (que les amateurs de coups de griffes essaient pour une fois de se servir de cela pour s'élever ! Désolé, je suis de mauvaise humeur),
- on peut effectivement voir dans cette photographie un condensé de l'histoire de la conquête de ce continent : sur ce plan, l'opposition entre l'étendue paisible et la brutalité de l'installation joue à plein (merci JC pour cette piste),
- et à propos de piste, il reste ce sentier qui ouvre à une échappatoire…

(Une parenthèse : de ces deux photographies, la seconde s'insère parfaitement dans les séries "à motifs" que réalise AML ; elle a d'ailleurs peut être plus de sens dans cet ensemble. Par contre, la "A" montre bien qu'une photographie peut a elle seule exprimer nombre de choses, hors de la série.)

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: guy toy
Date: 11/03/2010, 11:09

Bon, le temps de réfléchir et Zoran et JC Mougin nous sortent des analyses brillantes qui rendent caduques mes maigres avancées.

Pour la photo B, Guillaume faisait référence à l'oblique de la route. Il est pour quelque chose dans dans la confusion que j'éprouve devant cette image.
Le fait que je n'arrive pas à trouver un sens de lecture, mon œil se perd dans tous les sens sans rien qui accroche.
Le côté angulaire des toits qui tous sont différents et s'entrechoquent, les arrêtes qui vont dans plusieurs sens, un côté chaotique vu du ciel pour un pâté de maisons dont l'alignement est certainement réalisé au cordeau vu de la rue.
Le manque de repères d'échelle qui fait qu'on ne sait plus si c'est une mise en scène de playmobiles ou la triste réalité.
La composition serrée, qui nous enferme dans un monde sans issue (contrairement à la A où malgré tout, tout concours au sentiment de fuite possible). On se cogne dans tous les coins sans pouvoir échapper à cet amas de toits agressifs.
Le cul-de-sac "rond point" où mon œil finit par se fixer avec la crainte de ne plus pouvoir en sortir……

Bref, un côté concentrationnaire étouffant. Pourtant cet aspect concentrationnaire devrait être tout aussi présent sur la A (ce petit carré blanc parfaitement délimité, fermé), mais le paysage grandiose et le sentier, plutôt que l'accentuer, me semblent le contrebalancer……

Bonne journée

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Serge Cosnier
Date: 11/03/2010, 14:15

Bonjour,
J'ai d'abord pensé que l'image B était du grand photographe américain Google Maps. C'est bien son style.
Cette photo, même si elle est aérienne n'en reste pas moins un vol qui reste sur place, un vol réprimé de l'âme qui a formé un blockaus, et la photo est déprimante. Mallarmé disait "un vol qui n'a pas fui."
Je vois un peu plus d'espoir avec l'image A. En effet cette photo représente pour moi un petit coin de la conscience ordinaire qui lutte désespérément pour sauvegarder son pré-carré et ne pas se laisser submerger par cet immense inconscient qui l'entoure. On devine assez facilement qui aura le dernier mot. A moins qu'il se produise une rencontre.
Et la rencontre ne se fait pas à la base, mais au sommet et Jean-Claude a bien raison avec Pétrarque. Il faut gravir le versant de la montagne des dieux et atteindre les cîmes où ne brille ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles mais où le monde brille tout entier de sa seule lumière.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: Ron Talis
Date: 11/03/2010, 14:27

Chère Hypathie,

laisse Jean-Claude tranquille avec ses citations, avant de savoir où on va il faut bien savoir d'où l'on vient et elles définissent précisément un cadre de lecture, un lutrin référentiel sans lequel tout tombe par terre. Comme je suis loin de disposer du même bagage je me bornerai à évoquer quelques points bruts et subjectifs.

Oui la terre et la poussière, la plaine arpentée autrefois par les indiens nomades et aujourd'hui par des mobiles homeurs. Avant: la plaine sans limite, les chemins suivant les passées du gibier. Maintenant: le camping, un carré découpé au cordeau symbole d'un état américain aux frontières suivant un méridien. Avant: le campement à l'ordre imposé par la nature des choses, où est le point d'eau, où sont les latrines, maintenant: quadrillage du carré avec des routes intérieures point d'eau individuel et chiottes chimiques.

Oui le ciel et les nuages, les montagnes à l'horizon, anarchiquement ordonnés en fractales avec projection d'un regard noir, un Apollon négatif, les yeux de Lucifer. Naturel/Artificiel.

Mais masquée sous l'ombre du ciel, en haut et à droite, comme camouflée par le photographe (car j'y vois ici une manipulation qui en ferait une photo hyper réaliste) la ville, qui n'est pas Phoenix à 100km, mais un bled de l'Arizona où ces gentils campeurs vont turbiner chaque jour.

Reste une lecture terre/ciel, poussière/air, enfer/paradis, tenshi. Mais pour qui se prend-il ce photographe, où me met-il moi, spectateur qui ne veut voir, situé en dessus de ca et en dessous de ci, au mileu de nulle part. J'en ai la nausée de flotter ainsi en l'air avec le mal de crane après la bacchanale et l'idée que l'on sait bien où tout cela peut finir.

Photo aérienne militaire, avant: reconnaissance des lieux, après: étude objective des résultats du bombardement. guy toy: le côté concentrationnaire: le camp de concentration pour japonais établis par les américains dans Owens Valley en 42, les vues aériennes de Dachau. D'ailleurs, comment appréhender la réalité des villes américaines actuelles cloisonnées de barrières soit invisibles soit bien réelles comme celle des zones sécurisées pour retraités et classes aisées? Apartheid, cloisonnement des territoires palestiniens occupés, banlieues, murs en tout genres, frontières. Tiens, a new frontier?

Comme dit Mougin, cette photo A a le mérite de libérer des idées.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 11/03/2010, 14:29 par Ron Talis.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: gp
Date: 11/03/2010, 14:37

Merci Serge. On monte d'un cran en abordant le domaine de l'allégorie !

Ce qui prouve bien qu'une photographie qui joue sur la juxtaposition d'éléments paradoxaux offre une grande richesse en termes de niveaux de lecture.

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: mougin
Date: 11/03/2010, 15:30

Ron

Tu ne dis que tu ne possède pas le même bagage que le mien. Je trouve que le tien est celui d'un voyageur qui aurait du style. Bravo et merci pour la ballade.

Elle me plaît

Quant à Hypathie, il faut pas lui en vouloir, elle fait du management.

JCCMM

Re: Références sur le changement de point de vue.
Envoyé par: mougin
Date: 11/03/2010, 15:35

Management, je fais ce que je veux moi. Dis donc Mougin tu ferais bien de te souvenir du bon temps;, tu sais bien quand tu faisais le ménage à la serpillière dans les couloir du 243 ème régiment d'Infanterie de Metz, tu faisais moins le malin et t'étais plus clean. Il est vrai que tu étais dispensé de marche à pied. Drôle de fantassin. Tu changeras pas.

Ton Hypathie qui t'adore quand même



Modifié 1 fois. Dernière modification le 11/03/2010, 15:37 par mougin.

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