Les inconvénients "physiques"
Comme dit Jean, « j'y peux rien, c'est physique ».
Une des difficultés à centrer le débat sur des tentatives de prédictions crédibles et raisonnables, c'est que le cahier des charges techniques change sans arrêt, que les utilisateurs changent leurs outils en fonction de ce que les fabricants proposent, et en fonction de ce que les clients acheteurs d'images sont prêts à payer, en retour, les fabricants s'adaptent, etc ...
Donc le serpent se mort la queue, qui n'a pas rigolé intérieurement devant quelqu'un qui lui dit : « Et on trouve toujours du film à mettre dedans ? » ou bien « Mais plus personne ne demande cela ».
Plus sérieusement.
Jean avait évoqué les progrès des matériaux. On peut en parler, c'est fascinant.
Il y a les matériaux pour l'optique.
Il y a les usinages mécaniques & les matériaux servant aux supports des objectifs et des appareils.
Il y a les matériaux pour la photochimie : ne jamais les oublier, car même si le gélatino-bromure d'argent devait se cantonner à rester dans les cuisines des amateurs passionnés, sans résines photosensibles, et sans images analogiques & belles optiques qui transfèrent toute une image d'un coup, point de photomasques, point de photo-lithographie, point de circuits intégrés.
Et il l'omniprésent silicium, sans la « métallurgie » du silicium, point d'électronique, point de capteur d'images ... les couches minces étant les plus utilisées, et de loin, en micro-électronique, même si les photographes ne voient que leurs belles couches anti-reflet.
Donc les matériaux sont au coeur du débat, bien plus que le décompte ou le pas de grille des pixels.
Matériaux pour l'optique.
Si on remonte à Nicéphore Niépce, c'est clair que les progrès des matériaux transparents et de leurs procédés d'élaboration sont indissociables de progrès de l'imagerie et de leurs applications photographiques.
Jusqu'au planar de Paul Rudolph, les ingénieurs n'avaient qu'un catalogue limité de verres à leur disposition. Après la deuxième guerre mondiale, toute une famille de verres nouveaux apparaissent, l'exemple emblématique étant ce verre si spécial de chez Schott qui est si rare que le Biogon de 38 a dû changer de formule, le stock étant épuisé avant la fin du XXe siècle !
Lire à ce sujet l'entretien avec M. Nasse de chez Zeiss à propos de la p'tite optique pour le téléphone portable Nokia et ses 41 Mpix.
http ://conversations.nokia.com/2012/03/05/nokia-808-pureview-carl-zeiss-science-of-making-the-perfect-lens/
Je pensais naïvement qu'en 2012, les lentilles asphériques c'était du classique. Pas si simple apparemment, quand on cherche à fabriquer des objectifs par millions. Combien de Schneider Super Symmar XL asphériques ont été fabriqués ?
M. Nasse donne une info très intéressante. Plus une lentille est petite, plus on peut la fabriquer en plastique, les effets de dilatation sont moins gênants dans ce cas. Donc l'industrialisation d'un objectif plastique moulé, à surfaces asphériques, couvrant 12,5 mm de diagonale pour 8 mm de focale, c'est un truc que le plastique moulé permet de fabriquer par millions à faible coût.
Verrons-nous ce plastique remplacer le bon verre ? Oui si on se contente de 12,5 mm de diagonale d'image. C'est vous qui voyez.
Concernant les céramiques, pour l'instant je n'en vois guère l'usage en optique, du moins en ce qui concerne les céramiques que je connais qui sont plutôt utilisées pour leur résistance chimique ou thermique (les tuiles de la navette spatiale) ou pour leur dureté (couteaux de cuisine à lame céramique, en vente partout aujourd'hui). Je ne sais pas expliquer et 2 mots les problèmes qui se posent en termes de transparence optique dans le visible avec les céramiques.
Concernant les couches anti-reflet. Je n'ai pas regardé de près les spécifications & brevets pour les couches "nano cristal", l'idée que je m'en fais c'est qu'au lieu d'un empilement de couches continues, il suffit de structures tri-dimensionnelles plus ou moins périodiques de forme particulière, de dimensions plus petites que la longueur d'onde de la lumière, pour réaliser une couche anti-reflet efficace. Je ne vois pas tellement le lien avec la prise de vue devant un capteur silicium, sauf si les optiques ainsi traités réalisent un gain substantiel en réjection de la lumière parasite diffuse. Que Nikon recommande sa dernière génération d'optiques avec sa dernière génération de boîtiers, c'est de bonne guerre. L'honorable maison Nikon n'étant pas réputée pour nous vendre de mauvais produits, on peut lui concéder cette auto-publicité bien volontiers.
Donc à noter dans vos tablettes de veilleur de techno : plutôt que le décompte de pixels, regardez-voir si le taux de lumière parasite est annoncé, si le fameux protocole ANSI PH3.615.1980
Method of testing veiling glare of still-picture camera objectives est cité
À ce sujet, la source en français est l'article de Bernard Leblanc
Le Flare, rayons lumineux intempestifs, « Le Photographe », N° 1640, mai 2006
Vous trouverez plus d'infos à ce sujet sur galerie-photo.com
« Optiques & sujets sont-ils égaux devant le Flare ? » article H.G. mise à la torture d'une chambre monorail & du gélatino-bromure à la lumière parasite diffuse
article E.B. introduction à la lumière parasite diffuse en photo
Concernant les limites ultimes de ce qui peut passer à travers une optique, il faut bien préciser le cahier des charges.
Supposons que le jeu consiste à enregistrer
en une seul fois, sans raccordement informatique une image sur un champ angulaire côté objet, disons, raisonnable, de plusieurs dizaines de degrés, Fixons autour de 50° ce qui correspond à ce que passent les formules triplet depuis M. Dennis Taylor lui-même (triplet breveté en 1893).
Soyons TRÈS optimiste et supposons que dans ce champ angulaire, la seule limite à la netteté soit la diffraction. Dans ces conditions, le résultat est connu depuis plus de 60 ans, le calcul est tellement simple qu'il se fait en direct sans aucune aide.
La plus petite période d'image analogique qui passe à travers une optique, c'est N x Lambda, pour l'image d'objets situés nettement plus loin qu'une longueur d'onde optique (c'est le cas de toute nos photographies, cette limite ne s'applique pas à la microscopie optique à balayage en champ proche, c'est une autre histoire)
N est le nombre d'ouverture bien connu des photographes et lambda la longueur d'onde de la lumière. Prenons le cas le plus défavorable en limite de ce que l'oeil voit effectivement : lambda = 0,7 microns. Cette valeur de 0,7 a l'avantage de donner des valeurs que tous les photographes connaissent par coeur, fois 0,7 c'est moins un cran, de diaph.
Donc la plus petite période, exprimée en microns, qui passe derrière une optique, c'est 0,7 N microns. Pour ne rien perdre de cette image analogique il nous faut 2 échantillons par période dans les deux directions. Le nombre total d'échantillons nécessaires à former cette image numérisée sans perte se déduit donc très facilement du champ couvert par l'objectif.
Là entre en compte une subtilité sur le meilleur diaph. Ce meilleur diaph dépend très fortement du champ couvert et indirectement de la focale. Voir une compilation des meilleurs diaphs des optiques "à film" entre le 24x36 mm et le 20x25 cm
dans cet article, figure 12
http ://www.galerie-photo.com/images/scheimpflug-pf-mf_h012.png
Soyons
encore plus optimiste et supposons qu'au meilleur diaph, l'optique est uniquement limitée par la diffraction. On trouve alors une borne supérieure au nombre de pixels qui peuvent passer d'un coup pour un format donné, pour un champ autour de 50°, au meilleur diaph « généralement constaté » comme on dit des prix publics TTC.
Prenons un format 56x56 mm, avec un meilleur diaph de F/8, N=8 plus petite période : 0,7x8 = 5,6 microns. à échantillonner au pas de 2,8 microns. Sur 56 mm de côté je dois donc caser 56000/2,8 = 20000 échantillons. Au carré cela nous donne 400 millions d'échantillons.
Prenons un format de 8 par 10 mm. une optique ouvrant à f/2,4 comme le p'tit objectif Zeiss moulé pour chez Nokia. Imaginons que les maîtres d'Oberkochen ont réussi à rendre cette optique limitée par la diffraction sur tout le champ (on ne rit pas). Appliquons les méthodes de nos Pères Savants, MM. Françon et Maréchal pour la plus petite période optique qui passe : 0,7 x 2,4 = 1,68 micron. à échantillonner théoriquement au pas de 0,84 micron (on ne rit pas). Dans 8 mm je dois donc caser 9523 pixels, et dans 10 mm, 11905, pour un nombre total de « tuiles » égal à 113 millions environ.
En pratique, où en est-on ?
En 6x6, on est en fait en 4,5x6, 41x56 donc nombre total ultime au lieu de 400 millions ça nous fait 292 millions. En pratique on a aujourd'hui des dos à 80 millions de pixels, la limite ultime est 3 fois au-dessus. En 8x10 mm, on est à 41 millions, pour une limite ultime chose étrange, qui est en gros 3 fois au-dessus également.
Il y a donc une marge de progression possible pour les optiques. Ce qui va limiter, c'est le pognon qu'on va vouloir mettre dedans.
Un peu comme Achille qui n'arrive jamais à rattraper la Tortue, approcherons-nous cette barrière ultime un jour ? Mais à quel prix ?
Remarquons au passage que le moyen format l'emporte théoriquement sur le sub-petit format (
kleinstbild, ainsi parle-t-on du format du Minox 8x11 outre-Rhin)
Mais entre 120 millions de pixels et 300 millions de pixels, on voit que l'argument de la compacité de l'appareil semble déjà l'avoir emporté ... du moins commercialement.
Mais heureusement, nos amis professionnels qui bossent avec leurs dos numériques tous les jours, vont nous dire ce qu'ils en pensent, dès que leur tendre épouse leur aura offert le dernier Nokia, avec ce mot gentil : « Toi qui fais de la photo, j'ai pensé que cela pourrait être un cadeau utile, plutôt qu'un costard-cravate neuf auquel j'avais d'abord pensé ».
E.B.
Modifié 2 fois. Dernière modification le 26/03/2012, 11:27 par Emmanuel Bigler.