Difficile de ne pas prendre ton message, Henri, pour une pierre dans mon jardin…
"Le problème est évidemment que l'on n’est jamais sûr que la photographie de jolie fille gracieuse soit de la grâce ou de l'imbécillité".
Je m'étais déjà fait traiter de "con " à propos de Witkin…
Réglons d'abord le problème que j'ai avec lui. Je ne suis pas totalement idiot pour ne pas comprendre la qualité plastique de son œuvre, ses références et le sens qu'il veut y donner. Ce n'est pas la représentation de la mort (de par mon métier, de par ma trajectoire personnelle je suis familier de cette "inénuctabilité"…). Ce que je conteste c'est l'éthique sur laquelle il bâtit son travail, l'achat de cadavres par ses assistants, le rôle de l'argent dans cette génèse. "un peu de fric dépensé + mon génie = beaucoup de fric."
Mon problème est que je peux pas oublier cela quand je regarde son œuvre. C'est un fait que je me borne à constater. Ce n'est pas la nausée qu'il provoque chez certains (circuits limbiques échappant au cognitif :-)) qui me tracasse… D'autres ont détaillé aussi son rapport à la légalité (au Mexique plutôt qu'aux USA, etc…). Passons.
Opposer ensuite la
"représentation photographique érotisée du désir en jolie fille clean et correcte" et celle des cadavres de Witkin est peut-être un peu manichéen. Comme la condamnation des cascades en pose longue par rapport aux chateaux d'eau des Becher qui sont devenus des intouchables de l'art contemporain. Parler de beauté dans la jouissance deviendrait obscène?
Ce que je conteste, mais peut-être ai-je tort, c'est ce courant contemporain qui dévalorise le beau, pas seulement la "jolie fille gracieuse", mais ce qui a fait l'axe de siècles de production artistique. L'émotion dont il est -parfois- question ici est une constante de la perception artistique, n'en déplaise à certains intellectuels d'Art Press :-). Personnellement je reste assez près des thèses de Robert Adams dans "Essais sur le beau en photographie", et je ne me considère pas comme complètement paumé :-).
J'ai fait du portrait, et donc du portrait féminin, un vecteur important de ma production photographique. On peut n'y voir, en deça d'une recherche du beau, que celle du "joli". Certes (en plus on met toujours dans "joli" un je ne sais quoi de péjoratif). On peut aussi considérer que la jeune fille est une personne et qu'on la représente pour ce qu'elle est. Je ne vais pas ici défendre ma vision, c'est intime, et je ne voudrais pas montrer cette auto justification de son travail qui transparaît trop souvent dans les débats esthétiques ou artistiques, c'est selon. De toute façon, quarante ans de photos, je ne vais pas reprendre tout à zéro.
Il n'y a pas selon moi, un choix à faire entre Eros et Thanatos, car leur action sur la perception artistique échappe à notre volonté. Mais je persiste à penser que l'art, et la monstration de l'art sont politiques, et même pour reprendre ton terme, que la jouissance est aussi politique…
Simplement, une fois de plus, je regrette, sans virer bisounours néanmoins, que le choix des qualificatifs - qui est peut-être aussi politique... - ne prenne la mesure de leurs conséquences.
En toute amitié, Henri, et avec mon plus grand respect pour ce que tu fais et ce que tu écris.
Pierre Corratgé
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Modifié 1 fois. Dernière modification le 14/04/2012, 10:38 par pierre corratgé.