Stéréo, oui, mais pas encore 3-D !
En parallèle avec la discussion esthétique qui court actuellement
n3-f6,9828
pourquoi pas une petite réflexion sur l'évolution récente des techniques stéréo ?
En lançant ce forum en juin 2009, Henry Peyre anticipait le rouleau compresseur hollywoodien qui allait nous ramener dans les salles pour y chausser des lunettes-carton polarisantes.
Aujourd'hui les murs des provinces les plus reculées nous incitent, dans la foulée, à acheter des écrans
(de télé ou d'ordinateur ? on ne sait plus très bien, on imagine bien que la télé va être bouffée par l'ordinateur sous peu...) censés être
3-D ?
Ce qui déclenche, vous vous en doutez bien ami lecteur, ma franche hilarité, car où est la 3-D ?
Sauf erreur de ma part, les procédés mis en oeuvre, que ce soit au cinéma du coin pour le dernier dessin animé de synthèse en stéréo, ou pour le rendu des fameux écrans qu'on cherche à nous vendre, bref, ces procédés à partir de deux images plates décalées sont les mêmes que chez Jules Richard. Certes, la production actuelle d'images stéréo animées fait appel aux techniques numériques les plus décoiffantes, certes, on travaille à des écrans individuels qui permettent de voir en stéréo sans lunettes, et il y a des valves optiques ultra-rapides qui permettent la sélection droite-gauche par commutation plutôt que par occultation statique. Mais dans tout cela je ne vois que de la bonne vieille stéréo, plate de chez plate au niveau des images, et pas du tout de 3-D.
Les bonnes lunettes en carton polarisantes, je les avais chaussées au siècle dernier pour une rare projection du
film d'Hitchcock de 1954 « Le crime était presque parfait » en stéréo dans l'une des salles du Quartier Latin à Paris.
Allons-donc, me direz-vous, alors qu'on célèbre l'assassinat d'Henri Quatre, de même que Paris valait bien une messe (** Note 1), le renouveau de la stéréo vaut bien qu'on la travestisse derrière une prétendue « 3-D » !
Dont acte, et ce ne serait pas la première fois que le marketing se contente de changer les étiquettes pour nous re-proposer un produit peu innovant (
Jules Richard : 1848 - 1930), mais bien emballé dans une belle boîte venue de Californie.
Trève de persiflage : nous avions évoqué dans ces colonnes ce que sont les
vraies images tri-dimensionnelles, si on excepte
les fameux miroirs courbes au rapport 1:1, il nous reste cependant toute l'holographie ; on notera que Henri Peyre a intitulé ce forum « photographie en relief » ce qui laisse fort habilement la porte ouverte à
toutes les techniques capables de restituer ne serait-ce que
l'illusion du relief, à commencer par cette belle illusion qu'est la stéréo classique ou moderne, mais sans exclure l'holographie ou toute autre technique.
Reste cependant qu'on ne peut pas attraper ces images à la main, je mets au défi quiconque n'est pas spécialiste de photogrammétrie d'en mesurer à la règle la troisième dimension ; et qu'on les regarde à la visionneuse double, sur film ou par quelque procédé numérique que ce soit : pire que dématérialisées, ces images sont définitivement impalpables car elles n'existent que dans notre cerveau.
On sait l'ennui des projections de diapos du siècle dernier, au moins pouvait-on toucher de ses mains la lentille de la visionneuse ou l'écran de projection, mais la pratique familiale a, dit-on, pour toujours plébiscité le tirage sur papier au détriment de la diapo visionnée ou projetée.
Certes, au siècle dernier il y eut plusieurs tentatives pour apporter aux familles à un prix raisonnable des images stéréo sur papier, par le procédé gaufré, apparemment çà pourrait revenir, mais le support est toujours désespérément plat et il n'y a toujours pas de 3-D en dehors de l'illusion stéréo.
Certes, la pratique familiale d'aujourd'hui se contente de visionner les images numériques & les DVD de consommation courante sur un écran, donc comme il est si simple de coupler deux appareils numériques des familles, avec l'écran stéréo des familles, tout est prêt pour un renouveau de la stéréo en famille, bénissons le numérique !
Mais de 3-D : toujours point !!
Or la matérialisation 3-D d'une image, on sait le faire... depuis le siècle dernier, et on appelle cela :
stéréo-photolithographie, ou prototypage rapide, ce dernier vocable étant plus facile à prononcer, mais plus industriel.
Je sais que parmi nos lecteurs il y a des passionnés de bandes dessinées. Donc forcément certains se rappellent dans l'une des aventures de Spirou et Fantasio l'histoire d'un photographe de quartier tout aussi modeste que génial inventeur, qui avait réussi à matérialiser sous forme de figurine un magnifique
portrait tri-dimensionnel de Fantasio.
Où en est-on aujourd'hui ?
Cette fabrication d'objets 3-D à partir d'une base de données décrivant un volume n'est plus une curiosité de laboratoire :
voir l'article wiki sur le prototypage rapide.
Mais on n'est pas obligé de partir de photos en lumière visible.
Dans le très intéressant numéro spécial de la revue « La Recherche » consacré à l'évolution des espèces (
dossiers de La Recherche, N°39, mai 2010) je vous recommande l'article suivant : « Des insectes reprennent forme » par Carol Ann O'Hare, photos de Pascal Goetgheluck, pages 52-57,
On y voit comment on fabrique une figurine tri-dimensionnelle d'un insecte piégé dans l'ambre dans les temps anciens. L'image 3-D est acquise par une technique de tomographie par rayons X, disons la version microtechnique et hors de prix (par rayonnement synchrotron) de la technique d'imagerie médicale bien connue, et l'objet est fabriqué, nous dit l'article, à partir d'une espèce
« d'imprimante 3-D.»
Il y a différentes façons de fabriquer un objet 3-D, on peut sculpter un bloc avec une machine-outil à commande numérique, mais ce qui se prête le mieux à la matérialisation à partir d'une acquisition de type tomographique, c'est la reconstruction couche par couche des tranches empilées décrivant l'objet.
Rappelez-vous, ami lecteur, vous avez certainement fait cela à l'école primaire, découpé des tranches en carton d'après des courbes de niveau, et reconstitué une petite carte en relief, comme le proposent nos instituts topographiques nationaux, qui en vendent (c'est pas donné !) pour mettre au mur votre Parc National des Écrins favori.
La voilà, la vraie 3-D !!!
Donc ami lecteur, je vous donne rendez-vous dans quelques années, lorsque qu'on aura l'honnêteté d'appeler un chat un chat, d'appeler en toute simplicité « stéréo » notre bonne vieille stéréo à partir de paires bien plates, et de réserver le terme de 3-D à ce qui sera effectivement capable de
matérialiser des « tirages » en trois dimensions !!
(** Note 1 : la Comtesse ajoute, bien entendu : vaut bien une messe
aux Fins !
E.B.
Modifié 1 fois. Dernière modification le 15/05/2010, 12:27 par Emmanuel Bigler.