Bonjour Bernard, je ne comprends pas votre déception ni votre critique. Je m'explique, je n'ai aucun rapport avec cette institution, je n'ai pas vu l'exposition "Frac Forever" et j'habite plutôt vers la méditerranée.
Cependant votre post m'a interpellé et j'ai effectué une courte recherche sur un navigateur internet. J'ai trouvé ceci : [
www.fraclorraine.org]
Cette présentation explique bien la scénographie particulière (pénombre et lampe de poche) et l'intention du commissariat d'exposition.
Il me semble donc que votre déception culturelle est le résultat cultuel, d’une tendance à ne considérer que l'aspect "purement" indiciel de l'image, en particulier de l'image photographique.
Cette position est à mon sens très répandu chez les "praticiens photographes".
Elle convoque les concepts de l'instant décisif, du nombre d'or, le paradigme du Reporter ; mi artiste mi journaliste (messager emphatique de la vérité vrai) ; elle convoque le "ça à été" de Roland Barthes, le beau noir et blanc, si beau sur les cimaises éclairées au 5500K.
On prie dans un laïc secret le demi-dieu Rodinal ; et on applaudi l'objectivité bien cartésienne (morale et scientifique) et pourtant non sans paradoxe, de l'image acheiropoïète (pas faite de main d'homme, en opposition avec la peinture par exemple ; d’ailleurs les photographes se définissent plus comme un œil en général).
Bref on est fasciné par cette incroyable capacité propre à la photographie de reproduire l'illusion d’un réel si "sensiblement" probant. Alors on lui assigne cette fonction, alors le discours demande du net, du précis, de la précision, du document, de la mémoire, de l'accutance, du potentiel d'enregistrement.
Alors bien sûr, tout ça pour voir les épreuves à la lampe torche, quelle épreuve.
Cependant, à mon sens, cette exposition qui vous a tant déplu me parait plutôt pertinente. Elle dialogue avec malice avec des questions contemporaines sur les fonctions/légitimité du musée, de l'exposition ; mais surtout, sur un autre plan c'est la question de la perception, des sciences cognitives, de l'anthropologie de l'image, qui est abordée. Présenter des auteurs connus et reconnus sous cette forme c'est donner aussi la parole à la subjectivité de la photographie ; l'opposée complémentaire de l'objectivité qui vous fascine tant je crois.
Qu’est-ce que voir ? Votre réaction sur le « non voir » est à ce titre intéressant, quand on connait les discours amoureux des photographes sur l’expérience du laboratoire argentique, où d’ailleurs il suffit d’un virage par sulfuration pour retrouver les odeurs désobligeantes que vous nous relatez.
Qu’est-ce que voir ? Entre le trope de l’objectivité formelle de l’image photographique si précise et signifiante et la subjectivité inhérente aux manipulations inconscientes des images par mon cerveau il y’a un monde.
Pour tenter d’obtenir une image de ce monde il faut scruter son empreinte qui occupe l’espace entre les deux pôles : objectif/subjectif ; signifiant indiciel/imaginaire.
C’est le principe de l’imagerie par résonance magnétique par exemple.
Goethe sur la façon de regarder la sculpture « le Laocoon » (sculpture gréco-romaine):
« Le mieux est de se placer en face de lui, à une distance convenable et les yeux fermés. Qu’on les ouvre ensuite pour les refermer immédiatement après, et on verra le marbre tout entier en mouvement ; on craindra de trouver changé le groupe entier en les rouvrant. Je dirai que tel qu’il se présente actuellement, il est un éclair immobilisé, une vague pétrifiée au moment où elle afflue vers le rivage.
Le même effet se produit lorsqu’on voit le groupe à la lueur d’une torche . »