Re: Que n'aimez vous pas dans la photo numérique ?
Envoyé par:
lasith
Date: 02/01/2012, 10:22
Bonjour,
Nouveau sur ce forum, je vous propose de me joindre à la discussion par un petit texte que j'avais écrit en 2005 sur la photographie numérique. Depuis, je suis passé au numérique, j'y vois des avantages, des inconvénients, mais quelque part, je regrette un peu le temps des révélateurs et fixateurs.
Voici le texte, je vous laisse juge :
Billet d ' Humeur – Billet d ’ Humour
" Photo sans OGM "
Connaissez-vous la cylindrée de votre appareil photo ? Vous ne voyez pas de
quoi je veux parler, mais enfin, c'est évident, du nombre de Méga-pixels! C'est
comme pour les automobiles, vous avez des catégories. Aux 1 litres, 1.4 litres, 1.6
litres, 2 litres et plus, répondent les 3 Mpixels, 4, 5, 6 et même 8 Mpixels. Et je ne
cite ici que les modèles de voitures populaires, les compacts. Aux berlines puissantes,
les reflex professionnels et leur 10 ou 14 Mpixels, aux voitures de prestige les dos
pour moyen-format à plus de 22 Mpixels. Bref, le parallèle est parfait et je vous fais
grâce de la mine supérieure de l'heureux possesseur d'un compact à 8 Mpixels
lorsqu'il discute avec le tout juste propriétaire d'un reflex à 6 Mpixels : c'est l'attitude
d'un conducteur d'une berline allemande s'arrêtant au feu rouge à hauteur d'une
voiture familliale française. D'ailleurs, écoutez donc la première question qu'échange
deux photographes numériques : c'est un combien ? Et de juger la qualité de la photo
au nombre de pixels. Et ne révélez surtout pas que vous carburez encore au film. C'est
le conducteur de char à boeufs qui souhaite emprunter l'autoroute. Vous recevriez un
regard de sympathie condescendante. Prenez votre plus beau reflex argentique et une
fois l'image faite déjà vos compagnons de voyage se précipitent pour en apprécier le
résultat. Non, non! Il faut d'abord développer le film, souvent même effectuer un
tirage papier avant de pouvoir juger de la qualité d'une image. La prochaine fois vos
compagnons déçus se feront prendre en photo par celui-là qui possède ce beau
compact zoom à 7Mpixels. Celui qui alors qu'il se trouve dans un site magnifique
passe son temps à contempler l'écran arrière de son appareil photo, à zoomer,
dézoomer, effacer, voir même sur les derniers appareils, à tester des effets spéciaux :
et pourquoi pas accentuer les contours, supprimer les yeux rouges, passer en noir et
blanc ou en sépia, basculer ou remplacer des couleurs. Si, si! Aujourd'hui tout cela est
possible sur un compact de la dernière génération. Plus n'est besoin d'ordinateur.
L'écran de 3 pouces un quart qui occupe tout le dos de l'appareil ultra-compact suffit.
La photo n'a alors plus rien de naturel, elle est modifiée : une photo OGM en quelque
sorte. D'ailleurs c'est le cas depuis le début de la photographie numérique : les puces
internes accentuent les images pour compenser un objectif peu discriminant. Mais la
montée en puissance de l'électronique permet tellement plus aujourd'hui. Pourquoi
s'en priver? Déjà on prévoit de compenser les aberrations, distorsions et autres
vignetages des objectifs par des algorithmes implantés directement dans le boîtier.
J'entends déjà les "Digigraphes" (nom que je dépose ici et qui désigne les
photographes en numérique, ceux qui écrivent avec des "digits") me rétorquer que
l'image est manipulée depuis les débuts de la photographie que ce soit par les films
qui renforcent plus ou moins les effets de bord pour une plus grande netteté, qui
présentent des rendus de couleurs plus ou moins contrastés, que ce soit par les tirages
avec les masquages, les mordançages et autres opérations que le photographe de la
chambre noire réalisait sous l'agrandisseur. J'entends les mêmes Digigraphes me
parler de combats d'arrière-garde : l'argentique est terminé, la qualité du numérique
est au moins équivalente et tellement plus facile. Et pourtant non! Ce n'est pas la
même chose. Le choix du film, les opérations sous l'agrandisseur faisaient partie d'un
travail raisonné, d'une démarche artistique, d'une sensibilité. On choisissait la Velvia
pour ses couleurs éclatantes. On photographiait avec une HP5 pour son grain et sa
matière. Aujourd'hui l'électronique applique des algorithmes et corrige des défauts.
Pourquoi concevoir des appareils avec une bonne optique, si le logiciel interne peut en
corriger les défauts. Pourquoi éloigner le flash de l'axe optique si les yeux rouges
peuvent être effacés? Demain toutes les photographies se ressembleront parce que
toutes utiliseront les mêmes algorithmes. Décidément, je refuse cette approche. Il n'a
jamais été dit que le maïs que nous consommions était naturel puisqu'il est le fruit de
nombreuses et patientes sélections, mais il y a loin de ce maïs à l'OGM né dans les
éprouvettes d'un laboratoire. La photographie a toujours été une interprétation de la
réalité, la "digigraphie" en est une caricature formatée. S'il m'est impossible de
changer le cours des choses, du moins je souhaite qu'on laisse un petit espace aux
amoureux des grains d'argent, que sous prétexte de rentabilité on ne surenchérisse pas
le prix des films et de la chimie. C'est bien l'argentique qui a financé le numérique à
ses débuts. Le numérique pourrait bien supporter l'argentique aujourd'hui. Ce serait un
juste retour des choses et ce serait sauver un petit espace de liberté.
(Shanghai - septembre 2005)