Re: Que n'aimez vous pas dans la photo numérique ?
Envoyé par:
olivier1961
Date: 16/12/2011, 22:54
Bonjour,
Pour en revenir au début du sujet, moi, personnellement, ce que je n'aime pas dans le numérique est le contraire de ce que je n'aime pas (que je n'aime plus!) dans l'argentique!
Le fait qui me gêne réellement dans les prises de vues numériques, en dehors de toute considération esthétique, est liée à l'essence même de la prise de vue photographique, telle que l'esprit humain l'a voulu depuis les premiers clichés realisés.
Et ce fait est lié à la question primordiale: qu'est qu'une photographie?
Ce n'est pas l'apprentissage d'une technique.
Ce n'est pas la recherche d'une plus value financière, même si nous en vivons.
Ce n'est pas la satisfaction de réaliser une belle "image", la beauté étant relative.
Non, le but premier de la photographie est de faire la nique au temps qui passe et qui fuit dans nos doigts comme le sable de la plage, de retenir pour toujours, (un toujours bien relatif...) ce bref instant où, par la magie d'un regard humain, le temps s'est condensé, réunissant l'impossible union entre les trois dimensions de notre monde, la fuite du temps et la modeste interpretation de cet univers physique, par notre esprit, par l'oeil et par une machine, interposée et entrelacée, indissociable outil pour ce but à jamais inaccessible: tuer la mort... En bref, d'enregistrer et transmettre une information, un message...
Quel que soit la technologie utilisée, ce but reste semblable, toujours vers le futur nous fuyons, mais également, toujours vers le passé, nos regards restent désespérément tournés.
Le passé nous fouaille. Le passé nous envahit, nous submerge, plus fort et plus présent que le présent qui nous entoure.
Et ce qui me gêne, dans la photo numerique, et cela est lié, TOTALEMENT lié à la nature même de l'informatique, est un déplacement redoutablement dangereux, et j'insiste sur le mot dangereux, du concept de DUREE vers le concept d'INSTANTANE.
Je m'explique, et je citerai, comme exemple, que n'importe quelle prise de vue Louis Lumière, sur plaque de verre, presque un siècle apres la capture d'une scène, fût elle excellente ou médiocre, conserve les INFORMATIONS saisies et enregistrées, et qu'elles sont toujours, sans l'aide d'aucun appareil extérieur, uniquement avec nos yeux, encore visibles, interprétables et reproductibles.
Idem pour le moindre livre imprimé.
Idem pour les manuscrits qui n'ont pas été détruits par la folie humaine.
Idem pour les symboles de Lascaux, même si nous en avons perdu leurs significations...
Seulement, voila, jusqu'à naguère, la transmission et la sauvegarde des connaissances s'inscrivaient toujours dans la durée, dans la quête d'une intemporalité qui s'étendait largement au dela de la durée d'une modeste existence humaine. Transmettre était une modeste pichenette que l'on envoyait à la grande faucheuse!
L'informatique, dont la mère est l'électronique, ne peut pas prétendre, de par son implication physique profonde, à réaliser les prouesses d'immortalité qui étaient quasiment inhérente aux anciennes technologies.
Aucun fabricant n'oserait, aujourd'hui, affirmer que nos prises de vues numériques dureront ce que peuvent durer un modeste Ekta, un simple bout de gelatine, une vulgaire feuille de papier avec quelques signes imprimés à sa surface...
Bien sur, et certains ne manqueront pas de le faire remarquer, il y a des tirages "certifié UN siècle", il y aurait meme des disques informatiques capable de durer "au moins cent ans". D'autres pourront même affirmer, que si on use et abuse de serveurs et de duplications multipliées à l'infini, les informations, photo, video et autres, pourraient, peut-être, résister "longtemps" avant de disparaître...
Mais que veut dire ce "longtemps"?
Que sous entends ce "longtemps"?
Serait-ce que notre vie s'arrêtera avant la perte d'information?
Ou que la mémoire que nous DEVONT transmettre aux générations à venir n'a plus d'importance?
Et je crains fort, trop fort, peut-etre suis-je défaitiste, atteins de dépression, que l'avenir n'existe plus pour mes contemporains, que l'avenir n'est plus qu'une vague utopie qui n'arrivera qu'après l'avenir...
Alzheimer n'est pas un General de la seconde guerre, mais bien une maladie de notre présent!
Ah! Non! Je ne vais renier les avantages indéniables du numerique. Tous les participants de ce fil l'ont mis en avant. Qu'on le veuille ou pas, cette nouvelle technologie nous aura tout de même facilité la tâche. Mais son implication philosophique me remplit d'effroi. Les reves que j'ai eu il y a trente ans ce sont réalisés, mais le cortège de cauchemars qui en ont découlé me laissent pantois. Jamais je n'aurais imaginé que nous basculerions un jour dans une société mercantile vivant au jour le jour, poussant l'hypocrisie à nous faire croire que aujourd'hui est égal à demain ou à hier.
Allons-nous vers un mur derrière lequel se cache une monstrueuse statue d'or, construite sur un piètement d'argile et de silicium? J'ai bien peur que la reponse soit OUI. Le transfert des livres d'écoliers vers un support immatériel est un signe qui ne trompe pas... Nous construisons une société assise sur quelque chose qui risque de nous échapper un jour, sans possibilité de retour en arrière.
Et notre pauvre tentative de discuter sur les mérites respectifs du numerique ou de l'argentique est aussi le refflet du malaise qui, insidieusement, sans que les masses s'en rendent encore vraiment compte, envahit notre sociéte technologique ...
Laissons le numerique s'accommoder de ce qui ne mérite qu'un traitement instantané et poursuivons, tant bien que mal, plutôt bien que mal, le plaisir de conserver avec l'argentique ce que nous estimons devoir léguer après nous.
Combattons l'oubli et résistons au temps qui ensevelit notre petite humanité, insignifiante face à l'univers, mais si importante quand nous auront fini d'exister...
Vive l'argent!
A bas l'électron!