Cette discussion sur le fait qu'il faut l'ordi ancien qui va avec un matos ancien, me rappelle délicieusement les presque vingts années (1989 - ~2007) d'opération et de maintenance du
générateur de photomasques de notre centrale de technologie bisontine. C'est une machine qui réalise l'opération exactement inverse de celle d'un scanner : à partir d'un fichier, on fabrique une espèce d'image analogique, le plus souvent sur 1 bit, 2 de niveaux de gris ;-)
Achetée d'occasion en 1989, la machine était en parfait état optique et mécanique, mais son informatique aurait déjà dû être au musée depuis presque une décennie. La société étazunienne à laquelle nous l'avions achetée s'en débarrassait parce que cette machine n'était plus rentable comme machine-outil de production.
Ordinateur à diodes rouges et interrupteurs de programmation en face avant, bit-par-bit, pas de mémoire vive, accès aux données uniquement par une bande magnétique demi-pouce 800 bpi, bref, cette machine conçue dans les années 1970 n'aurait pas déparé comme décor dans « 2001, l'Odyssée de l'Espace » !!!.
Par chance nous avions trouvé une petite entreprise étazunienne qui fournissait des dérouleurs de bandes demi-pouce connectables à un PéCé, ce qui permettait le chargement des données, autrement la machine à photomasques eût été inutilisable.
Les 10 dernières années de fonctionnement, au début du XXIe siècle, tout s'est finalement passé très bien, d'abord parce que notre ingénieur-maison, responsable de la machine & du service qui allait avec, maîtrisait la bête parfaitement. Le démarrage avait toutefois été un peu délicat.
Mais un point-clé fut qu'un ingénieur anglais en pré-retraite, qui avait fait sa spécialité de la maintenance de ces machines en Europe, avait sympathisé avec notre ingénieur-maison.
« - Tiens Terry, tu peux pas v'nir, on a un p'tit souci avec la machine.
- C'est bon je peux passer la semaine prochaine ; au fait j'ai en rab' un ordinateur et un dérouleur de bandes, ça vous intéresse ?
- Ramène toujours, on te f'ra l'bon d'commande après »
Le Terry était devenu un ami de la famille. Ça roulait.
On avait même racheté une deuxième machine presque identique, complète !! On tournait sur 2 machines, il n'y avait pas d'interruption de service en cas de panne de l'une des deux.
C'est vrai qu'à la première panne de l'ordi et du dérouleur de bandes, ça avait fait drôle de balancer direct-poubelle ces deux sous-machines.
Avec les deux machines tournant en parallèle on s'était habitué à faire de l'échange-standard de sous-ensembles sans se poser de questions : ces sous-ensembles étaient remis en circulation chez nous juste avant la poubelle chez leurs propriétaires précédents ...
Quant au logiciel, c'était le truc le plus précieux et le plus inquiétant.
On avait une seule copie originale du soft, sur une bande originale, que j'avais fait mettre dans un coffre-fort à l'université. J'avais fait plusieurs copies bien entendu ; à la remise sous tension, la machine n'avait même pas l'équivalent d'une BOOT-ROM-BIOS permanente ! Il fallait recharger le programme d'après la bande du programme avant de charger la bande des données.
Ce soft en langage machine était constitué uniquement de
64 kilo-octets de données.
D'éminent collègues d'un prestigieux laboratoire du CNRS équipé de la même machine que nous, avaient assuré qu'ils feraient leur affaire un un clin d'oeil du désassemblage du code et du remplacement de l'ordinateur-dinosaure par un PéCé ....
.... MACACHE comme on dit en jargon du CNRS.
Donc modestement nous autres à B'zançon on n'a même pas cherché à faire ça, on a tenu 20 ans parce qu'on n'a jamais perdu le soft et que des pièces de rechange et une compétence de dépannage ont été à notre disposition. Moyennant finances évidemment.
-----------------------------------------
Certes il s'agissait d'un utilisateur institutionnel, avec un ingénieur à plein temps. On n'était pas pressés par la concurrence, mais notre production avec cette machine atteignait 500 photomasques par an, suffisamment pour que l'abandon de cette machine en ~2007 passe par le maintien du service avec l'achat d'une nouvelle machine, et pas un recours à la sous-traitance.
Si ça a bien marché c'est qu'il y avait les conditions suivantes réunies :
- une personne à plein temps sur un poste budgétaire permanent, un passionné, pour faire tourner la machine et le service ; bien avant son départ en retraite,
l'ingénieur avait formé un collègue ce qui a assuré la pérennité de l'activité sur une nouvelle machine de chez Heidelberg Instruments Microtechnik ;
- une disponibilité de pièces en Europe pendant les 20 ans qui ont suivi l'achat de la machine ;
- un ingéniur compétent pour la maintenance et un très bon accord entre les personnes ;
- et ... évidemment un budget pour payer les heures & frais de déplacement de l'ingénieur anglais et les pièces d'occase.
Il n'y a guère a priori de lien entre cette histoire de laboratoire et l'installation d'un scanner professionnel ancien chez un galerie-photoïste d'aujourd'hui, mais il me semble que quelques uns des ingédients de base de l'histoire sont communs : il faut du temps, de l'argent, l'accès à un minimum de compétences externes, et éventuellement l'accès à des "pièces" de rechange c'est à dire parfois un ordinateur complet.
Et ne surtout jamais perdre les softs d'origine...
E.B.
Modifié 3 fois. Dernière modification le 06/01/2012, 12:27 par Emmanuel Bigler (modérateur).