Auteur: Jimmy Péguet
Date: 17-01-2008 22:38
En écoutant Satie, quelques mots à propos de quatre livres récemment reçus. Comme d’habitude, seulement quelques commentaires et impressions subjectifs à chaud et sans recul au sortir du four, pas une critique ni une analyse. Deux livres de photographes japonais, deux autres de photographes néerlandais (les livres viennent de chez Shashin http://shashinbooks.com/ aux Pays-Bas dont je rappelle que le très agréable libraire, Yannick, est français, c’est sur ses suggestions que j’ai acheté presque à l’aveugle trois de ces livres dont je ne connaissais rien des photographes).
Le premier est le dernier livre de Masao Yamamoto, « é », sorti il y a un moment déjà. C’était Nico (Marailhac) qui m’avait il y a trois ou quatre ans fait découvrir Yamamoto, alors quasi-inconnu en France. On l’a vu depuis, Paris-photo, exposition chez Camera obscura, articles dans la presse photo française. J’avais failli acheter un merveilleux tout petit tirage de lui sans chichis de présentation, une photo de grues en vol d’une absolue légèreté, et je regrette encore de ne pas l’avoir fait. Je me souviens de la petite boîte remplie en vrac de minuscules tirages, comme des photos de famille, vieillis, écornés, virés dans les bleus et les bruns, certains avec des touches d’or. De lui, tous chez Nazraeli, éditeur américain que j’apprécie beaucoup et qui semble laisser beaucoup de liberté au photographe, j’ai le très joli « A box of ku », un autre que j’aime beaucoup dans une forme inhabituelle de long rouleau japonais, « Nakazora », présenté dans une boîte oblongue en bois poli au couvercle de plexiglas, et « Omizuao », dans une autre forme traditionnelle, l’accordéon. Tous les livres sont un travail sur le vide : beaucoup d’espace entre les photographies, reproduites sans grand contraste, en relief avec leur ombre pour simuler les originaux (ce qui me déplaisait un peu au début). Des photographies très légères, des choses aperçues, des souvenirs de jeu, des images diaphanes ou au contraire sombres et très présentes. « é » est de la même veine, mais c’est un livre de grand format, et malgré mon goût pour les petits livres, quelque chose fonctionne mieux ici que dans « A box of ku » : la très grande taille du livre permet des formats très variés, une présence encore plus grande du blanc et une bien meilleure mise en valeur des relations entre les photographies. Des corps nus, des nuages, des grues, de la neige, du noir et blanc réhaussé de couleurs légères, des moutons… Une mise en pages somptueuse (sur le site de Yamamoto que je ne suis pas allé voir depuis longtemps, il y avait aussi quelques belles recherches de mise en forme). Reliure toilée bordeaux, jaquette blanc cassé au beau papier un peu pauvre.
Masao Yamamoto, é, chez Nazraeli press, première édition limitée à 2500 exemplaires. Imprimé en Chine comme c’est de plus en plus souvent le cas. ISBN 1-59005-147-5
On passe à une Hollandaise, Cuny Janssen. « India » est un livre de portraits d’enfants indiens en couleurs… indiennes, entendez que ça claque comme là-bas. Très beaux portraits assez classiques, très présents, très doux en couleurs saturées. La photographe tient un discours humaniste sur l’universalité et l’égalité qui me laisse un peu froid, à la sincérité indéniable, en se donnant comme but de photographier des enfants du monde entier.
Les photos sont bien jolies, mais ce qui me ravit également dans ce livre est sa maquette. Je parlais ailleurs d’édition personnelle, le design simple de ce livre montre que tout est possible à qui a de l’imagination. J’essaie de le décrire : un cahier de feuilles de papier blanc assez minces, dans les 50g, de forme oblongue, un peu comme du papier de soie, mais un peu plus épais. Agrafé au milieu de ce cahier presque transparent, quelques centimètres plus petites que lui, un autre cahier de 15 photographies, très bien imprimées sur un papier très fort, recto-verso, à bord perdu. La densité des photographies et l’épaisseur du papier des photos contraste avec la légèreté du papier qui les enveloppe et les protège. En bas de chaque feuille de papier blanc, quelques mots courent de page en page, imprimés à l’envers au verso, et donc ressortent en gris léger vu la presque transparence du papier. Le titre est imprimé dans une police à sérif en gros à l’envers et apparaît en gris, le nom de l’auteur apparaît en petit à l’endroit en noir. C’est vraiment un joli exercice de style.
Cuny Janssen, India. Tiré à 450 exemplaires. Le copyright est de 2002. ISBN 9027815623
La photographie contemporaine néerlandaise semble vraiment très vivante, on a pu en voir pas mal de choses. Yannick me disait que côté graphisme et édition, c’était vraiment intéressant aussi. Un autre Hollandais donc, dans un genre qui devrait plaire aux lecteurs de ce forum, puisque Misha de Ridder photographie les Etats-Unis. Wilderness est un livre de paysages de grand format en couleur pleine page, herbes, arbres... photographiés aux quatre saisons, qui se regarde en le tenant à l’italienne, pliure vers le haut. J’en vois au fond qui ricanent en se poussant de l’épaule et en demandant tout haut en pouffant comme des niais s’il y a des cascades et des yuccas. Nan. Y’en a pas. Mais ce qui suit va leur plaire : De Ridder casse ce qui aurait pu être le nième livre sur la nature sauvage américaine en intercalant de grandes portions agrandies des photographies, dans lesquelles la trame d’impression est énorme, puisqu’il propose de les détacher et de les assembler pour en faire des posters muraux comme il y en avait dans le salon de Tonton Raymond quand vous aviez vingt ans. Ce qui n’aurait pu être qu’un truc contemporain vite agaçant et un peu court fonctionne en fait très bien. L’œil fait sans cesse la navette entre les très bonnes photos et le puzzle des détails à gros points. Il imagine le poster sur le mur, il prend du recul par rapport aux photos. Ca casse quelque chose et on regarde différemment ces photographies de nature. Une vraie réussite, avec une maquette bien dense. Pas de texte, le minimum nécessaire est rejeté sur la couverture. Le livre est broché. Enchanté de mon achat. Evidemment vous vous demandez si je vais jouer le jeu et démembrer le livre, bande de pervers polymorphes.
Il y aurait plein de choses à en dire, mais c’est pas tout, j’ai encore un livre sur le gaz et j'avais prévenu que ce ne seraient que des impressions rapides.
Misha de Ridder, Wilderness, Artimo éditeur. ISBN 90-75380-75-5
Retour au Japon avec un petit livre plus reposant qui ressemble dans sa mise en forme plus classique à d’autres livres japonais, je pense par exemple à certains de Rinko Kawauchi. Ce qui restera de « Kumano, Yuki, Sakura » de Risaku Suzuki, c’est d’abord une impression de blanc et de légèreté. Couverture blanche, neige à l’intérieur. Une chose magnifique dans ce catalogue d’exposition qui comporte 80 photos extraites de plusieurs ensembles, faites entre 1997 et 2007 et réorganisées en suivant l'ordre des saisons, ce sont les transitions rapides et très subtiles entres les passages, comme un souffle léger. Il y a des feux la nuit, des braises emportées par le vent qui se transforment en feuilles sur l’eau, il y a des chemins de forêt, du vent dans les branches. Il y a, aaaah, des cascades en pose longue, mais quelque chose me dit que les vrais amateurs seront un peu déçus quand même, il y a des eaux calmes et des rochers, des branches qui se détachent sur le ciel, des sous-bois un peu sombres, des herbes surexposées, il y a de l’eau qui se transforme en neige en trois photos, et la neige est si belle et si blanche, il y a des troncs flous qui en sortent et on voudrait qu’il neige tout le temps. Mais la neige s’arrête et le blanc devient cerisiers en fleurs, fleurs blanches sur ciel bleu, on s’enfonce dans les fleurs comme dans du coton et le coton cache le bleu du ciel qu’on aperçoit quand même. Il y a des choses très occidentales et d’autres très japonaises, des ruptures, ça va, ça vient entre les deux. Tout au long du livre, l’œil bouge sans cesse, glisse, glisse, léger, léger…
Il reste du blanc.
Bon, c’est un peu court encore comme commentaire, mais que ce livre est délicat et intelligent.
Risaku Suzuki, Kumano, Yuki, Sakura. Tokyo Metropolitan Museum of Photography et Tankosha Publishing Co. Texte en anglais. ISBN 978-4-473-03441-0C0072
Merci à celles et ceux qui auront tenu jusqu'au bout :-)
Jimmy
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