Auteur: Jimmy Péguet
Date: 26-01-2008 13:15
Au risque de paraître chercher à faire l’intéressant ou d’apparaître comme un gogo, je vais prendre le contrepied de tout ce que je viens de lire. J’ai reçu le livre hier matin, c’est un peu récent :-) pour en dire quelque chose, sinon qu’On the beach me touche très profondément. Le trouverai-je surfait dans un mois, à la réflexion et après l’avoir feuilleté cinquante fois ? Par rapport à ce que vous en dites les uns et les autres, peut-être pour l'apprécier faut-il le poser sur ses genoux, tourner lentement et tranquillement les pages jusqu’au bout, s’arrêter longuement ici ou là, le laisser reposer, laisser les photographies remplir lentement la tête jusqu’à ce que monte l’envie de le reprendre encore et encore plus tard dans la nuit.
J’avais été pris par les premières petites images aperçues ici ou là dans la presse. Par ce sentiment diffus (et facile ?) d’images « primitives », de fragilité, d'inquiétude et d’éternité qui sourd des photos. Plus tard seulement est venue la lecture de ce qui a guidé le projet, liens avec le livre de Nevil Shute et les attentats du 11 septembre (dans les premières photos, anecdote, je retrouvais quant à moi des images d’un autre livre du bon écrivain de SF Gregory Benford). Misrach énonce très clairement et très précisément en quelques mots à la fin du livre son projet, ce qui l’a guidé, rendre « la grâce et la fragilité de la figure humaine dans le paysage », l’influence des images des corps tombant du haut des tours dans le vide. On objectera que sans ces commentaires, on verrait certainement autre chose, ou bien qu’on ne verrait rien du tout de cela. Bien sûr, mais n’est-ce pas le cas de tous les livres de photographie ? Ces mots de Misrach font partie du livre et n’enferment pas la vision.
Des petites photos dans la presse, on passe à un livre impressionnant, tant par la taille que par la qualité de réalisation et l’ampleur du projet. L’impression monumentale devient bien entendu moins forte au bout d’un moment, après qu’on se soit habitué au format. Dès le début des ces images de corps détendus au bord de l’eau, s’installe un sentiment en même temps de plénitude et d’inquiétude, de fragilité. Ce que quelqu’un m’écrivait joliment « intranquille plénitude ». On se perd dans l'infini des détails des baigneurs, du sable, de la transparence de l’eau. Plus on avance, plus tout est pareil et plus tout change, sans que pour moi l’ennui ne s’installe une seconde (dommage, j’aime bien m’ennuyer un peu !). Je ne sais pas si ce qu’Olivier appelle le « déjà vu » tient à cela, qu’à chaque page reviennent les autres photos de différents Cantos de Misrach, que ce soit Bravo 20, certaines images du désert, ou encore bien sûr les images répétitives du ciel ou les vues du Golden Gate. Je ne me lasse pas de ces étendues de mer jamais les mêmes, de ces minucules silhouettes insouciantes, s’étreignant parfois, souvent à peine discernables. Je ne me lasse pas de ces images de sable foulé où il n’y a rien à voir, aucun personnage, sur lesquelles je peux pourtant rester de longues minutes, dont l'image me suit quand j'ai quitté le livre, comme sur celles des vagues tranquilles, vertes, bleues, noires striées d'or. Le fleuve n'est jamais le même, et il sera encore là quand il n'y aura plus de minuscules silhouettes. C'est peut-être facile, mais en tout cas, c'est bien photographié. De ce sentiment de grâce inquiète, où on ne sait pas s’il est déjà trop tard, et ce qui serait trop tard.
Il y a une chose magnifique dans ce livre, son grand mystère peut-être et le grand mystère de la poésie, c’est comment Misrach traite les images des corps jetés dans le vide. Le passage des images de télévision terrifiantes et maintenant inscrites dans la mémoire collective à ces images reconstituées, corps chutant sans fin, certains enlacés, vus du ciel sur fond de sable et de mer, parfois enfoncés, encastrés dans le sable est d’une simplicité et d’une évidence bouleversantes.
Voyant pour la première fois les images réduites dans la presse, sans avoir encore lu les choses sur lesquelles s’était appuyé Misrach, j’y avais vu des corps d’animaux primitifs sortant de la mer ou retournant en rampant à celle-ci, comme des images du début des temps. L'importance de la mer. Seulement mon petit délire, mais peut-être y a-t-il aussi quelque chose de cela, quand on sait à côté de ses préoccupations politiques l’importance de la mythologie dans certains travaux de Misrach. J’aime bien cette idée.
Tout cela pour dire, même si ces délires trop vite gribouillés vous font sourire, le bonheur que j’ai à plonger sans fin dans ce livre. Et jusqu’au bout, s’il vous plaît ! Peut-être que je me trouverai bien niais dans un moment !
Jimmy
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