Auteur: Henri Peyre
Date: 15-12-2007 15:53
Bonjour,
C'est la tendance repérée comme la forme Tableau dans une page consacrée à la photographie plasticienne sur galerie-photo.
En raison des grands formats utilisés, c'est probablement la tendance la plus proche de la préoccupation des utilisateurs de chambre.
Les notes de lecture en lien peuvent aider à définir plus précisément cette tendance.
Les enjeux de la forme tableau, continuatrice de la peinture, ont été l'objet de nombreux écrits de Jeff Wall qui en a été le théoricien acharné voir ici. En gratifiant la photographie conceptuelle (pauvre) de l'aumône d'une utilité de relecture (elle aurait permis que nous nous lavions le regard et puissions mieux considérer les oeuvres), Jeff Wall ne fait que mieux l'enterrer. Il récupère l'héritage, naturel pour la photographie, de la représentation en peinture.
Dans ce mouvement on sort enfin le medium du mépris dans lequel le monde des Beaux-arts le tenait alors (à l'époque ou Wall écrit, la photographie servait comme arme destructrice pour les conceptuels : en la plaçant aux Beaux-Arts, ils brisaient une échelle des valeurs dominée par la peinture... c'était révolutionnaire ! Et c'est parce que tout le monde considérait qu'elle était un art médiocre, conceptuels et tenants des Beaux-Arts, que l'outil de destruction révolutionnaire pouvait fonctionner)
Avec Wall c'est un tournant majeur : la photographie reprend le flambeau de la peinture, les conceptuels passent pour de petits-bourgeois (puisque finalement dans le fond ils avaient le même point de vue sur la photographie que les artistes bourgeois).
Bon. Entre nous, le mérite de Wall c'est de ne s'être pas tu au moment où la pression des conceptuels était très forte. Il n'est pas d'avoir découvert que la photographie pouvait représenter et parfaitement bien... ca, déjà à l'époque de Beaudelaire, cela avait créé la stupeur ! Cela bien sûr ajouté au reste : grande politesse, grande culture, et grande intelligence dialectique. Toutes les bonnes valeurs de l'éducation bourgeoise ont permis que la cause passe !
Pour ma part, je pense que lorsque pas mal de temps aura coulé les historiens qui sont un peu éloignés du terrain finiront par comprendre
1. que c'est la photographie qui a bouleversé tout le champ des Beaux-arts et initié le mouvement des avant-gardes simplement parce qu'elle était irrésistible sur le point de vue de la représentation dans la forme tableau.
2. que si la fuite de la peinture s'est faite vers les avant-gardes c'est en raison de l'existence du modèle extrêmement efficace du "progrès scientifique" d'une part, de la nécessité pour l'histoire de l'art naissante de se tailler une légitimité ensuite, du besoin de croire plus assez servi par des églises en perte de légitimité enfin.
3. qu'entre l'apparition de la photo et la digestion (révolte et condamnation par les peintres, intégration par eux du vol de la figuration, acceptation, remise en selle par fuite dans les mouvements avant-gardistes au prétexte d'intellectualité, qui permet de croire qu'on garde la distance)... il se passe un bon siècle avant qu'on puisse accepter que quelqu'un se lève, un photographe, Wall, et dise (et encore, pas simplement, avec des tas de précaution) : "j'ai fait un tableau".
Wall c'est cela : le moment où la peinture accepte la défaite.
Pour conclure, je relis et je veux ajouter ceci.
Toutes ces histoires que je raconte, ce sont des histoires de victoires et de défaites, qui sont des histoires navrantes, des histoires sociales pour des gens passionnés par le pouvoir, le combat et la suprématie sociale. Ce sont des histoires pour les cons.
Il faut les connaître pour connaître l'ennemi.
Mais en réalité je vous le dis, l'art doit rester pure délectation !
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