Auteur: Jean-Louis Llech
Date: 28-07-2007 10:46
"Étant par nature pragmatique, un Britannique dira que le Beau est défini comme étant ce que le public perçoit comme tel en moyenne"
My dear Charles, I strongly disagree with that...
Savez-vous ce qu'est une moyenne ? Si j'ai un pied nu posé sur un bloc de glace et l'autre tout aussi nu appuyé contre un poêle à charbon, en moyenne, je dois être bien.
Si je vais dans ce sens, je deviens une "fashion victim". Si ce qui plait au public, ce sont les photos de la galerie les filles du calvaire (en minuscules, comme leurs images, un point partout !), dois-je faire des photos que je serai le premier à ne pas vouloir regarder ?
Être à l'écoute des attentes du spectateur "moyen", n'est-ce pas s'exposer à terme à fournir l'équivalent des émissions de télé-réalité du niveau de notre TF1, ou des journaux du niveau de votre très murdochien Sun ? La dictature du "best-seller" qui obéit à son tour à une autre dictature, celle du marché, est-elle la seule qui nous soit permise et promise ? Henri Gaud disait un jour ici avec sa délicatesse habituelle (je sais, j'ai presque la même) "Les téléspectateurs adorent ARTE, mais regardent TF1; on glorifie la gastronomie Française, mais la sortie de famille se fait au MacDo." Tristement vrai. La culture de l'égalité et du nivellement se fait toujours vers le bas.
Vous dites : "Si je n'aime pas la diapo, personne ne la reverra. Vous faites donc bien une sélection purement personnelle, qui n'est pas précédée d'un sondage d'opinion pour savoir si votre photo va plaire ou non. Pour cette photo que vous n'aimez pas, vous tombez bien dans une forme d'autisme, ou tout du moins d'égoïsme, non ? Et qui vous dit qu'elle ne plaira pas, justement celle-là, davantage que celles que vous aurez décidé de montrer ?
La photographie est plaisir solitaire, je le maintiens. La suite n'est qu'une tentative de satisfaction plus ou moins pressante de notre ego.
Dès lors que vous décidez de livrer une image au public, vous en assumez toute la paternité.
Et encore, qu'est-ce que le public, et surtout quel est son niveau de complaisance vis à vis de la photo ou de l'artiste ?
Un public, bien dressé, est prêt à accepter et à vanter n'importe quelle production de tel ou tel artiste célèbre. Picasso, pour revenir à une autre discussion agitée ici, n'a pas peint que Guernica. Il a probablement dû aussi peindre des croûtes. Mais du moment qu'elles étaient signées Picasso, tout le monde criait au génie.
En règle générale, souvent, moins on comprend une oeuvre, plus on crie au génie, de peur d'être taxé d'ignorant, de béotien ou de cul-terreux. Et plus il y a de gens qui crient en même temps au génie d'un artiste, plus ceux qui seraient tentés de dire que c'est un tableau ou une photo immondes sont marginalisés et réduits au silence. Le conformisme...
Je ferme la parenthèse. Quand vous décidez de livrer une image au regard des autres, c'est bien votre choix qui dicte cette décision, d'après vos critères culturels, votre vécu, votre sensibilité...
Un artiste, quel que soit son niveau de familiarité avec l'art, de l'artiste professionnel à l'amateur passionné, est seul lorsqu'il appuie sur le déclencheur. Et lui seul sait - peut-être - pourquoi il a appuyé sur le déclencheur à ce moment et pas dix secondes avant ou après...
Vous avez eu devant ce paysage "le moment de décryptage, la recherche de signification, la mise en valeur, la comparaison avec vos connaissances j'y souscris tout à fait. Mais vous avez oublié quelque chose : vous avez dû ressentir une émotion.
Peut-être que cette émotion est la résurgence ou la réplique – au sens sismique du terme - d'une émotion passée, que vous seul avez eue. Était-ce devant un paysage comme celui-ci que vous avez déclaré votre amour à quelqu'un, était-ce devant un paysage semblable que vous avez senti un jour un profond sentiment de quiétude, de paix, après une période chaotique de votre existence ?
Vous seul le savez - et encore, pas toujours. Vous pourriez aussi bien être incapable de dire pourquoi ce jour là vous avez éprouvé l'irrésistible pulsion de faire cette photographie. Quand nous photographions, nous refaisons à l'envers un parcours initiatique que nous avons déjà fait, une quête permanente de nos émotions passées, ou de quelque chose qui y ressemble, une recherche de ce qui satisfait notre aspiration au beau. Nous sommes décidément seuls avec nous même, avec notre passé, nos valeurs, notre culture et notre vécu.
Nous ne nous préoccupons pas de savoir si l'image va plaire. C'est la définition du mot "amateur" dans lequel il y a "amour".
Je ne nie pas qu'à l'autre extrémité, mais beaucoup plus bas, il y a l'image "vendeuse", complaisante, complice, dont on sait qu'elle va plaire. Quand on a l'assurance qu'elle va plaire, c'est que ce n'est déjà plus tout à fait une partie de nous. Mais pour ces images-ci, combien de photographes vendent tout ou partie de leur âme ?
Sur ce forum, comme dans la vie courante, j'ai un jour décidé il y a fort longtemps que désormais, je ne dirais strictement que ce que je pensais. C'est parfois peu poli ou "policé", bien que j'y mette les formes. N'étant pas doué pour le fayotage ni pour le populisme, si je considère quelqu'un comme un imbécile ou un fainéant, je le lui dirai, quoi qu'il puisse m'en coûter ensuite. (Je ne dis pas ce qu'effectivement cela m'a coûté, professionnellement et socialement parlant.)
Je ne dis jamais que "le repas était délicieux" ou "la réunion a été parfaitement menée", ou que "le dossier est parfait", si la bouffe était dégueulasse, la réunion n'avait pas atteint ses objectifs et dégénéré en foire de village, ou le dossier est inconsistant. Je me sens toujours bien dans ma peau. En contrepartie, je sais que, quand je fais un compliment, il est accueilli à sa juste valeur par ceux qui me connaissent.
Quand je dis que j'adore telle ou telle photo, ce que j'écrivais plus haut à propos des vôtres et de celles de Mrs Carter, j'ai réellement passé un excellent moment de pur plaisir à parcourir vos images. Cela me mène à un comportement excessif, passionné, mais authentique.
Contrairement au professionnel, l'amateur n'a pas de clients,. Il ne reçoit de commandes que de ses émotions, de son cœur, de sa conscience ou de son passé. Pas de cahier des charges, pas de certificat de conformité entre l'exigence préexistante du commanditaire et le négatif ou la diapo qui en sont le résultat. Pas de complaisance, pas de compromis non plus. Rien que l'honnêteté, l'authenticité. Je ne photographie pas pour prouver, ou pour démontrer, ni pour caresser les spectateurs dans le sens du poil. Je photographie pour figer un instant où j'ai éprouvé des sensations de plaisir ou de déplaisir, je photographie pour me sentir aimer et souffrir. Je photographie pour me prouver que je suis vivant.
Quel sentiment de liberté ! Mais quelle responsabilité, aussi, vis à vis de nous mêmes.
PS : ayant mis un certain temps à rédiger ce message - (le "Mane, Tecel, Fares" sur le mur du temple de Balthazar) il n'est vraisemblablement plus à jour, quelques réponses se sont intercalées entre le sujet et la réponse. Tant pis.
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