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phorum - esthétique et autres discussions - Rentrée littéraire, Jimmy Péguet critique, florilège 2007

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 Rentrée littéraire, Jimmy Péguet critique, florilège 2007
Auteur: François Besson 
Date:   19-09-2008 09:42

Nous sommes nombreux à apprécier sa prose et à regretter qu'elle disparaisse dans les méandres du forum... La suite est de Jimmy

François Besson


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Quelques mots sur quelques-uns des livres reçus en cadeau pour les fêtes.

Le premier, c’est « Fides » (non, on ne prononce pas pas faïd’s, fides, c’est la foi, en latin), de Jackie Nickerson, chez Steidl. Un ensemble de photographies en couleur faites dans des monastères et des communautés religieuses catholiques en Irlande. C’est un livre que je trouve magnifique. Bien sûr, on ne coupe pas aux poncifs du genre, le bol sur la table et les robes blanches accrochées au mur blanc, les couloirs et les rangées de portes, la table de travail dans la cellule. On attend le prie-dieu en clair-obscur dans un recoin d’alcôve. Le livre vaut mieux que ces clichés. Au final, ce qu’on va retenir du livre, ce ne sont pas seulement les banals lieux de travail ou de prière, les outils et objets de la vie quotidienne, les lourdes et omniprésentes icônes chrétiennes, photographiés en lumière naturelle, mais aussi les merveilleux portraits qui le rythment, comme éclairés de l’intérieur. La beauté des regards. Le livre est construit autour d’une alternance de portraits d’une même communauté et de lieux et d’objets qui les entourent. Répétition des portraits, monotonie des photos de l’environnement. Ce qui est beau dans ce livre, c’est que c’est l’ouvrage honnête de quelqu’un qui cherche à comprendre ce qui pousse à choisir cette vie réglée, qui, au travers de photographies très simples, cherche à transcrire visuellement une (ou des) expérience intérieure qui lui est étrangère. Les photographies sont suivies d’un intéressant entretien avec la photographe sur la manière de photographier, sur ce qu’elle recherchait, sur ce qu’elle a rencontré. Le livre, qui se termine par l’image d’un cimetière dans les herbes, est, ce qui ne gâte rien, joliment imprimé. La reliure toilée imprimée est un peu tape-à-l'oeil et racoleuse, est faite pour sonner "contemporain", mais donne une bonne idée du contenu. Un bien beau travail photographique.

Fides, de Jackie Nickerson. SteidlMack éditeur. ISBN 978-3-86521-541-3

Avec le second livre, on n’est pas vraiment dans la tendance. « Hazy lights and shadows », de Lynn Geesaman, publié chez un éditeur belge que je ne connaissais pas, Michel Husson, donne plutôt dans le pictorialisme. Ca me change de la plupart des livres de ces dernières années ! On connaît Lynn Geesaman pour ses photographies à la fois très nettes et éthérées, oniriques, très travaillées au tirage (j’ai la flemme de coller des liens, elle est représentée par pas mal de galeries que Google se fera un plaisir de vous indiquer). Ici, c’est du très beau noir et blanc travaillé tout en contrastes, en même temps détaillé, flou et velouté, le texte - sans grand intérêt à mon sens - évoquant justement le sfumato des peintres. Des photographies très géométriques de jardins à la française (Sceaux, Vaux-le-Vicomte), de Jeurre ou de jardins anglais dans un autre genre plus pittoresque et de canaux belges (le pays de Damme) à la structure également géométrique et parfois très fouillis où on s’égare. Perspectives rigoureuses et vertigineuses qui enferment souvent, arbres taillés et allées étranges, des objets qu'on connaît mais qu'on verrait pour la première fois dans leur étrangeté. Des photographies qui semblent sortir directement de la mémoire. Les cadrages presque inquiétants de rigueur font apparaître un univers dont on croit connaître les codes, protecteur et artificiel, prêt à se désagréger. Pour répondre à la grave question que tout le monde se pose, ben oui, j’ai hésité un moment, mais j’aime vraiment beaucoup ce livre aussi. Ca change de Bourguedieu. Très bien imprimé.

Hazy lights and shadows, de Lynn Geesaman. Husson éditeur (il y a un site web).ISBN 2-916249-08-7

Enfin, pour finir, un qui ne m’a pas passionné même s’il est loin d’être inintéressant, « L’œil du photographe », du défunt John Szarkowski. La réédition du livre publié en 1966, première traduction en français. Un livre signé Szarkowski, ça doit être comme quelque chose signé Cartier-Bresson aujourd’hui, j’ai un peu le sentiment qu’on cultive le nom pour faire des sous. Je sais pas, c’est peut-être bien, je suis peut-être injuste, il faudrait que je le reprenne tranquillement. Szarkowski part de la différence entre la peinture et la photographie au XIXème pour faire le tour en différents chapitres (en photos uniquement, avec une bonne iconographie) des caractéristiques de la photographie : la chose en elle-même, le détail, le cadrage, le temps, le point de vue. Ca me paraît après le premier regard (encore une fois trop rapide) un peu daté.

L’œil du photographe, de John Szarkowski, 5 continents éditeur (il y a de bonnes choses chez eux). ISBN 978-88-7439-397-0


Au milieu des livres commandés dernièrement, il en est arrivé un bien beau ce matin. Un petit livre dont on sait qu’on va l’aimer dès le premier contact, le toucher, l'ouvrir et le reprendre tout au long de la journée. Format carré, pas très épais, papier de la reliure (couverture blanche au titre vert acide, douce à la main, dure à l’œil agacé) et papier mat de l’intérieur se faisant écho, assemblage délicieux. L’impression noir et blanc est belle, lumineuse et profonde sur le papier velouté, un quelque chose des livres en hélio d’il y a des années, en plus nuancé. La maquette est très réussie avec des bornes vert-jaune surprenantes et de discrets rappels anciens encore, une maquette simple et subtile qui fait éclater l’énergie des photographies, avec quelques mots ici et là pour rythmer la lecture et accentuer l’impression hypnotique que produit le livre. Un plaisir de la main, de l’œil et de la tête. « Apples and olives » n’est pas nouveau puisqu’il date de 2005.

J’ai parfois un peu de mal à suivre Friedlander qui explore des choses très différentes. Ici, il s’éloigne du paysage urbain pour photographier au grand-angle deux des plantes des origines de l’humanité, le pommier et l’olivier. Photo après photo, entre les fulgurantes lignes brisées des pommiers, la lumière, les ombres et le vent dans les oliviers, on est lentement, progressivement saisi d’une joie profonde et sensuelle, porté par l’énergie des photographies. Bien à l’abri dans l’enchevêtrement transparent des branchages, remontant tranquillement le temps et l'histoire, regardant passer les saisons, de la dure lumière de l’été dans les oliviers à la neige dans les pommiers. Rien de spectaculaire, seulement la répétition envoûtante page après page des branches, de la lumière et de l'ombre dans le carré. Les formes et les structures qui changent sans fin, imperceptiblement. On s’enfonce dans l’abstraction, on tourne encore et encore les pages, on pose le livre, on y repense, on a envie d'y toucher, on lui revient.

Un des livres de photos qui m’a procuré le plus de plaisir depuis un moment.

Lee Friedlander : Apples and olives. Fraenkel gallery et Hasselblad center. ISBN 1-933045-32-9. J’ai dû le payer dans les 25 euros. On peut en avoir une rapide idée en feuilletant le livre chez PhotoEye.

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Reçu ce matin le tout dernier livre de Thierry Girard, « Voyage au pays du réel », une traversée photographique de la Chine sur les traces de Segalen, « dans une sorte d’affinité intellectuelle […] plus que dans la fidélité textuelle », selon une pratique plusieurs fois utilisée par Girard.

Ce livre est pour moi une des plus belles réussites de Girard dont connaît la proximité avec, entre autres choses, la peinture et la pensée chinoises. Le plaisir, lorsqu’on plonge profondément dans une œuvre, qu’elle soit photographique, littéraire ou autre, c’est de retrouver des traces, des obsessions, de remonter les fils d’un ouvrage à l’autre. On retrouve ici des images de la traversée de la France dans « D’une mer l’autre » ou du Japon de la "Route du Tokaïdo", on trouve les traces d’autres photographies et d’autres livres. Ici, dans les pas de Segalen, dans ce qui n’est évidemment pas un ouvrage documentaire, on rencontre, on étreint la Chine ordinaire, souvent rugueuse, les petites gens, après des images « sidérantes » et des «épiphanies sublimes », pour reprendre les mots de Girard. Je ne m’étais jamais non plus vraiment rendu compte auparavant que Girard était un vrai coloriste.

Je me permets de citer quelques extraits de la rapide introduction de Girard. « …Mais cette forme de sidération qu’exerce sur moi la prégnance du Réel vise avant tout à nourrir un propos essentiellement photographique, d’où, au fil des pages, un certain nombre de récurrences : interrogation du paysage contemporain à partir des critères esthétiques de la peinture classique chinoise ; petites chorégraphies incertaines dans l’espace urbain, sortes d’ukiyo-e photographiques, - images d’un monde à la fois flottant et terriblement englué dans l’épaisseur du Temps et de la Terre chinoise ; sans oublier ces vestiges divers, nobles ou triviaux, ces stèles véritables ou contrefaites, et toutes ces excavations qui nous renvoient à un état de fouilles, rappel quotidien, décalé et amusé, d’un lien non fortuit avec Segalen. »

Plus loin : « …Ce qui meut Segalen, ce grand mélancolique, c’est en quelque sorte une problématique de la déception, et de la jouissance qu’elle engendre. En fait, le vrai bonheur n’est-il pas de s’être trompé par rapport à ce que l’on imaginait, et d’avoir pu trouver dans l’adversité et l’altérité du voyage la réponse à ce que l’on était venu chercher ? […] L'imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au Réel ? Le Réel n’aurait-il point lui-même sa grande saveur et sa joie ? »

Fin des citations. En fin de livre, un texte de Christian Doumet que je n’ai pas encore lu.

Voilà. Pour dire le plaisir et l'intérêt éprouvés une fois de plus devant le travail de Girard et devant ce livre en particulier.

Thierry Girard, « Voyage au pays du Réel », Marval éditeur. ISBN 978-2-8623-4407-2

François

Les éditions du courlis déchaîné
Aux aimables cornichons


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