Auteur: Henri Peyre
Date: 18-09-2008 07:34
"Notre vision, amenant eventuellement a critiquer l'aspect "systematique" du recours a la serie, n'est elle pas biaisee par notre education a la photographie, souvent faite de "best of", alors que leurs auteurs travaillaient eux meme en serie, ne serait ce que pour des necessites de commande ou de facilite de travail, l'Histoire ne retenant qu'une ou deux images "icones" de ces series, faisant oublier le reste..."
Sur ce point précis d'une éducation qui nous aurait porté au "best of" : la peinture, avant la photo, nous a aussi éduqué à l'idée de série (le style). Penser un auteur au travers d'une série, d'un style, est notre habitude et notre attente, et ce depuis longtemps en art. Nous reconnaissons rarement le (soit-disant) génie au travers d'une seule oeuvre, plus souvent nous l'acceptons au travers de la reconnaissance d'un style. Ce qui est un peu désagréable avec l'idée de série en photographie, c'est cette impression qu'un photographe pourrait avoir un style, par une série, puis brutalement un autre, dans une autre série. Du fait de notre perception traditionnelle de la notion de style, nous sommes fatalement amené à soupçonner le photographe d'avoir le talent léger, et d'être donc un artiste un peu faible, suivant les critères de la reconnaissance par le style. Au pire pourrions-nous même avoir le sentiment que c'est un imposteur !
Faut-il donc pour être reconnu avoir le même style, travailler à la même série toute sa vie ?
La réponse est évidemment oui.
Même si on a souvent tenté de montrer que les oeuvres ne sont que la cendre du feu qui a animé l'artiste, que la démarche doit être perçue derrière l'oeuvre, il ne reste pas moins que les productions matérielles sont bien plus directement palpables que le chemin qui les sous-tend. Le public qui croit aux chefs d'oeuvre n'a ni la connaissance, ni l'intuition, ni l'intelligence de percevoir les chemins derrière les oeuvres. C'est trop compliqué.
Le chemin le plus court pour la reconnaissance en photographie est donc probablement de ne faire qu'une série toute sa vie et
- soit de se faire passer pour un innocent ou un débile profond (ce fait justifiant qu'on reste "bloqué" toute sa vie sur une seule idée),
- soit de détruire systématiquement toute autre série de moindre valeur parce qu'on a la conscience aigüe qu'elle est moins bonne, ce qui demande une puissance et une sûreté de jugement d'autant plus grande qu'on va vers un conflit direct entre émotion et raison. En ce dernier cas il faudra non seulement s'affronter soi-même, mais affronter également un public qui ne pardonne jamais à l'artiste d'arbitrer pour la raison et contre l'émotion : l'émotion, air du temps et société de consommation obligent, est forcément légitime parce qu'antérieur à toute réflexion !
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