Auteur: mougin
Date: 16-10-2008 13:02
A propos de Bourges et de l’esprit du forum :
Comme d’autres je pourrais à mon tour distribuer des compliments et des remerciements tous amplement mérités . Mais d’une façon plus générale j’aimerais dire ce que m’apporte, ce que nous apportent Galerie Photo et les rencontres qui en sont le prolongement.
Alors que le monde était au bord du gouffre, (peut-être touche-t-il déjà le fond, ce qui n’empêche pas certains de continuer à creuser) ; alors qu’un système de relations basé sur le seul intérêt individuel, sur la seule valeur de l’argent, et sur des rapports de pouvoir de plus en plus féroces, branle de partout, nous avons vécu à Bourges pendant trois jours sur une île déserte, dans une sorte d’oasis au milieu d’un « désert qui croît », comme dirait Nietzsche. Nous avons vécu une forme de sociabilité très ancienne, aujourd’hui presque disparue qui est l’amitié . Le mot lui même, banni de la Novlangue est devenu presque indécent. Nous n’avons plus d’amis, nous avons des relations, (copains et coquins)
Il faut revenir à l’aube des temps modernes disons Montaigne et La Boétie et à l’Antiquité pour redonner un sens à un mot auquel on a substitué celui de relations. L’homme est un « animal politique » disait Aristote, certains entendent par là qu’il aurait besoin d’une autorité, pas du tout, cela veut dire qu’il est né pour la sociabilité, pour l’amitié. L’homme n’aime pas la solitude, mais il aime la compagnie. Cette compagnie est celle des hommes libres, des égaux (il est vrai que les esclaves en sont exclus) qui différents s’affrontent dans l’agon, cette relation de rivalité amitié que l’on retrouve dans la discussion, dans le jeu, dans le désir de reconnaissance, car chacun ne vit pas de soi, mais se place sous le regard d’autrui, et s’il se veut vertueux c’est pour ne pas avoir à rougir devant son ami, être à la hauteur de son amitié, d’où la recherche de l’excellence comme dirait H. P.. Etre vertueux au sens antique, c’est être brillant, obtenir le reconnaissance de ses pairs. Il n’y a dans cette relation somme toute naturelle aux homme aucune perversion, mais le bonheur de partager cette diversité des excellences ? Car comme le disait si bien La Boétie, nous sommes tous « unS », c’est à dire tous uniques, et notre particularité est notre excellence, ce que nous pouvons donner aux autres.
Rousseau avait déjà énoncé ces deux grands principes de la politique moderne, politique au sens où nous l’entendons, autorité, rapport de force, domination, surveillance, protection par la violence des dominants contre la férocité potentielle des dominés.
« Tenir les sujets épars, telle est la première maxime de la politique moderne »
« Plus l’homme est socialisé, et moins il est sociable »
Se rencontrer est déjà un complot, et les Rencontres de Bourges, comme le forum, et l’Internet dans ce qu’il a d’incontrôlable sont déjà un premier pas contre cette somme de bêtise consommatrice que nous impose le système.
Car l’amitié, c’est le refus de la servitude volontaire, c’est le refus de l’uniformité qui se veut désormais mondiale, c ‘est la revendication au droit à la différence et à la diversité.
Vu par un extra terrestre notre congrès serait apparu comme une assemblée d’excentriques se livrant à des activités hors d’âge, au pire à une partouze entre vieux fétichistes exhibant qui son Arca, qui sa Linhof. Enfin cerise sur le gâteau, deux anglaises sur le continent, étaient venues tout exprès de leur îles nous montrer leur Ebony. Or il est notoire qu’en dehors de la soie, le fétichisme n’est pas une perversion pour les dames.
Alors que s’écroulait Wall Street, et que le monde tremblait sur ses bases, nos conférenciers, des scientifiques de haut niveau nous proposaient des expériences avec du papier de chocolat. Nous eûmes droit à une vaste synthèse sur l’histoire de la photographie avec des ronds dans l’eau, à la fabrication d’un faux chef d’œuvre plus beau qu’un vrai, enfin à l’urgent problème de savoir composer un livre. Enfin tard dans la nuit nous avons appris qu’entrer dans une cathédrale, c’était prendre une autoroute.
Bref tout cela n’est que prétexte à se voir, à se revoir, à faire connaissance. Dans les congrès de Galerie Photo, il n’y a de rencontres que des plus improbables. S’y rencontrent des gens qui dans la vie ordinaire ne devaient pas se rencontrer, et qui ont pris plaisir comme dirait La Boétie à être « compaignons », à manger ensemble, et à s’entreconnaître. Et quand on revient chez soi, on se trouve tout bizarre, et bien seul, comme si on était de retour d’un voyage extra terrestre.
Ce que chacun donne, et les organisateurs ont beaucoup donné est pour le seul plaisir. On peut les remercier, mais c’est par pure convention, puisque cela ne leur a rien coûté, j’entends en peine, en contrainte. A la fin du congrès ils ont manifesté quelques embarras, la peur sans doute qu’on les prenne pour des avides de pouvoir, (la gratuité dans notre société est suspecte, on soupçonne toujours un intérêt un désir de pouvoir caché). Qu’il continuent surtout, ils font cela tellement bien et avec tellement de plaisir ? C’est leur excellence, la notre est de nous enchanter de leur propos, du flare, du flare, nous voulons du flare, nous en fabriquerons si nécessaire quand nous aurons mangé la tablette de chocolat. Faites nous un autre livre aussi beau, aussi cohérent que celui de Noirlac, et qui à lui seul montre ce à quoi on peut arriver par la seule amitié, pour le seul plaisir en dehors du parcours obligé de l’édition. Voilà ce que peut faire une bande de copains, bravo.
De même le forum est ce lieu de rencontre, où l’on finit par connaître des gens sans même les avoir rencontrés, et ils sont nos amis avant même que de les avoir fréquentés.
Bien sûr, il y a des polémiques, des mots qui ne devraient pas être dits, mais il n’y a pas de violence, on n’ y brule pas les voitures, même l’agressivité y prend la forme du jeu.
C’est ici que s’invente une nouvelle sociabilité, une nouvelle intelligence des rapports humains désintéressés qui se dresse contre la bêtise ambiante qui progresse. Mais cette sociabilité n’est pas si nouvelle que çà, elle ressemble à celle qui conduisait dans l’antiquité les hommes libres à se rendre au forum où à l’agora pour y rencontrer leurs égaux. C’est peut-être cette nouvelle sociabilité que nous sommes en train de réinventer et dont nous aurons peut être besoin demain si l ‘humanité se décide à sortir de son trou.
Merci à tous
Mougin
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