Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 24-04-2006 10:51
Bon.
L'ami Stringa nous pose un problème très compliqué.
Il s'agit d'identifier les paramètres physiques, par exemple l'indice de réfraction, qui pourraient avoir un effet sur la beauté et la prodondeur des noirs dans un support à usage photographique artistique.
Avant de commencer, j'ai par hasard trouvé cette référence en me baladant dans une librairie de ma bonne ville :
"Le noir"
Auteur Gérard-Georges Lemaire
chez Hazan (03/2006)
ISBN 2850259632
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Je suis persuadé que l'indice de réfraction du milieu transparent qui sert de base à la couche pigmentée est important. Jean-Yvon, (que je remercie pour la référence aux mesures d'indices de la gélatine : tout n'est pas sur Internet !!) nous dit que cet indice est nettement plus élevé que ce que l'intuition laisserait penser au premier rabord : la gélatine étant censée faire partie de la matière molle, la tentation est grande de lui affecter d'office et sans réfléchir, comme je l'avais suggéré à tort, un indice compris entre celui des liquides (1,33 pour l'eau) et celui des verres, (p.ex. 1,45 pour la silice fondue mais 1,55 pour le même matériau sous forme de cristal de quartz, et à partir de 1,5 pour les verres, donc méfiance !!)
Par ailleurs je pense que la dimension et l'état de surface des particules noires dispersées dans la gélatine est fondamental.
Je me hasarde à une élucubration. Ne prenons pas en compte la réflexion en entrée, et ne considérons que les rayons qui rentrent dans la couche pigmentée. Plus l'indice est élevé, plus la direction de propagation après réfraction sera proche de la verticale, même pour les rayon les plus rasants. À peine rentrés, ces rayons tombent sur des particules absorbantes et diffusantes, donc les rayons repartent dans toutes les directeions et une bonne partie seront donc piégés et n'arriveront plus à ressortir, parce qu'ils vont se retrouver trop rasants en remontant vers la surface, lieu où ils subiront la réflexion totale.
Le raisonnement pèche parce qu'à l'inverse plus l'indice est élevé plus la réflexion vitreuse en entrée sera grande, renvoyant la lumière à la manière d'un miroir... donc à voir.
Le microdensitomètre projette une fente sur l'objet à analyser. et on regarde tout ce qui passe à travers cette fente, parfois il y a une deuxième fente de sortie. Je n'ai utilisé que des microdensitomètres par transmission, mais il doit bien exister des microdensitomètres par réflexion ; après tout un microdensitomètre est une espèce de microscope, il y des microscopes en transmission et réflexion.
Mais ce faisant on n'a pas accès à un paramètre important qui est la manière dont les particules diffusent la lumière, ce qui me semble un point capital. Il faudrait donc un appareil qui mesure la distribution de lumière diffusée/réfléchie... en fonction des angles mais comme c'est noir il y en a très peu qui ressort. Un densitomère ou un micro-densitomètre va donner une mesure qui intègre un certain ensemble d'angles en entrée et en sortie, il faudrait pouvoir régler ces différents angles indépendamment ; il me semble que certains densitomètres pour papier ont cette possibilité.
L'expert qui aurait pu répondre à ces questions de noirceur, c'est M. Vulmière, ingénieur de l'Institut d'Optique (F-91 Orsay) qui a inventé et breveté des pièges à lumière dont l'efficacité était fantastique. Le piège à lumière Vulmière est en fait une boîte noire mate au centre de laquelle il y a un cône noir mat. Tous les rayons qui rentrent en tombant sur le cône sont diffusés de telle façon qu'ils ne peuvent jamais retourner vers la sortie, les spécifications de la peinture mate et l'angle du cône par rapport au trou d'entrée étant calculés de façon astucieuse... et brevetée.
Donc je pense que les paramètres pertinents pour un beau support noir sont sans doute la granulométrie et l'état de surface des particules, il faudrait des études au microscope électronique à balayage pour voir la forme des grains.
Pour ce qui concenr l'influence de l'indice de la gélatine, il suffirait peut-être de substituer la gélatine à un polymère transparent d'indice plus faible sans changer le pigment, peut-être verrait-on avec l'oeil exercé du spécialiste que la gélatine surclasse les autres supports d'indice plus faible.. je ne sais pas.
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Pour terminer je me permets cette petite fantaisie.
Oui, j'ose trahir ici publiquement le secret des beaux pigments noirs de Pierre Stringa.
Un jour en redescendant d'une course dans les préalpes vaudoises, je rencontre notre ami photographe à Bex, pas loin de la gare CFF.
Je lui demande s'il était lui aussi en montagne, il ne me répond pas et prend un air mystérieux. Ma curiosté étant piquée, je rentre dans le village et j'aperçois des étals de foire en train d'être repliés, en particulier de curieux sacs de toile jute. Je me renseigne, on me dit que c'est la foire annuelle aux poils de vache, une spécialité du pays. J'interroge sur qui peut acheter des poils de vache, on me répond de façon aussi évasive qu'un sous-traitant horloger à qui vous demandez pour quelle grande maison il travaille.
Je finis à force de patience par apprendre que certains poils noirs sont utilisés par des artistes. On ne m'en dit pas plus, mais en interrogeant un retraité, l'ancien chauffeur du car postal habitant aux Plans, j'apprends que les vaches noires de l'Alpage de Bovonne (situé, comme chacun sait, à mi-chemin entre la Barboleusaz et Pont-de-Nant) sont réputées pour la noirceur de leurs poils ; elles perdent leur toison chaque printemps, cette toison est récolté et séchée avec soin.
Alors la vérité se fait jour : l'Alpage de Bovonne se trouve au pied d'une montagne appelée « l'Argentine », parce qu'autrefois on y extrayait des minerais argentifères (y compris du platine et du palladium). Les plantes que broutent les vaches sur l'alpage ont la capacité de concentrer ces minéraux, et c'est en fait un mélange intime de fines particules de carbone animal et de grains de métaux argentifères sub-microniques qui donne aux bovidés leur poil d'un noir si profond. Il se pourrait également qu'à l'instar des poils blancs des ours de la Baie d'Hudson qui agissent comme des fibres optiques, le poil des vaches noires de cet alpage aient une capacité à piéger la lumière supérieure à celle de tous les autres pelages. Il est vrai que les bêtes étant exposées à un fort rayonnement ultra-violet dû à l'altitude, la présence d'argent dans les plantes broutées est un avantage compétitif pour cette espèce, interdisant aux rayons nocifs d'atteindre leur épiderme. Une autre hypothèse qui pourrait être facilement vérifiée à l'aide d'instruments photométriques est de savoir si la présence des grandes dalles appelées « Miroir d'Argentine » juste à côté de l'alpage, n'agit pas comme un concentrateur de lumière, exposant les pauvres bêtes à un surcroît de photons contre lesquels, au cours des âges, la race Bovonne aurait développé une stratégie de défense fort astucieuse.
Les poils, une fois séchés, sont hachés finement avec un appareil qui rappelle le petit hachoir suisse pour oignons, mais dans sa version microtechnique. S'ensuit un procédé tenu secret (sans doute une lente calcination sous atmosphère contrôlée) qui, in fine, produit un fameux noir de carbone et d'argent absolument incomparable. Reste la question du choix de la gélatine, on prendra de préférence une gélatine fabriquée à partir des os est des peaux des vaches de race Bovonne, la seule gélatine dont l'indice de réfraction, égal à 1,618, correspond exactement au Nombre d'Or.
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