Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 23-02-2007 11:45
L'ami Henri Gaud avoue qu'il a passé des heures et des heures à tester des optiques sur mire. Donc depuis cela ne l'amuse plus et on le comprend.
Je pense au contraire que si l'un de nos lecteurs n'a jamais fait ce genre de test, il faut qu'il se lance. Cela fait partie de cette appropriation de la technique du grand format dans un monde qui veut au contraire limiter notre action photographique à cadrer-déclencher-payer-les-tirages.
Nos lecteurs ont dans cette discussion pratiquement tous les renseignements techniques nécessaires pour se lancer dans l'aventure. La réunion des passions et des compétences est là pour ne laisser dans l'ombre aucun détail technique.
Les lecteurs sont donc prévenus. Mais c'est la règle sur galerie photo.
J'ajouterais même : le simple fait qu'Henri Gaud me déconseille de faire tel ou tel test stérile sur le plan artistique est pour moi une incitation puissante à ne pas se plier à l'argument d'autorité, bien au contraire, mais à voir par moi-même, ne serait-ce que pour dire après coup : Monseigneur ! vous aviez bien raison ! ah si j'avais écouté votre sage conseil !
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Sinon en ce qui me concerne, je pratique la mire de définition par contact en travaux... pratiques avec mes étudiants. C'est un exercice que j'avais fait autrefois par contact d'une mire USAF sur photomasque chrome/verre pour découvrir avec émerveillement la finesse de grain des papiers photo. C'est une expérience à faire au moins une fois ! Mais là, un tirage sur transparent du fichier pdf référencé ci-dessus ne suffit évidememment pas !!
J'avais également regardé au microscope les fins détails qu'une plaque haute résolution est capable d'enregistrer... c'est une expérience fascinante, Henri Peyre parle sur le plan esthétique de la plongée dans les détails d'une image haute résolution, de l'aller-retour entre la vision globale et la vision des détails... d'une certaine façon l'exploration des mires les plus fines, surtout avec cet agencement en spirale de la mire USAF, a quelque chose de fascinant. À mes yeux, il n'y a pas de mal à se laisser griser à ce jeu, au moins une fois, mais à condition de disposer d'un petit microscope capable d'un grossissemnt total d'au moins 20X, sinon 50X ! une loupe 10X est insuffisante.
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Avec mes étudiants, comme les groupes sont différents chaque année, ils n'ont pas le temps de se lasser du test sur mire de la séance N°1 ;-) mais je dois dire que le sourire réjoui des néophytes qui ne savent pas ce qu'est un trait de 3 microns, lorsqu'ils repartent en fin de séance avec leur petite plaquette gravée est l'une des joies de l'enseignement. Mais il est certain que si les travaux pratiques de microtechnique se limitaient à tester dans tous sens les limites de résolution en photolitho de contact, j'aurais la trogne et la grogne avant la fin du cycle ;-)
Sinon, pour arrêter un peu le persiflage, et pour aller tout à fait dans le sens d'Henri Gaud, je dirais qu'un test comparatif agréable que je fais de temps en temps est une photo de la vieille ville de Besançon depuis l'une des collines. Plus précisément il s'agit du point de vue du fort Chaudanne pour les connaisseurs de la capitale régional comtoise.
http://www.flickr.com/photo_zoom.gne?id=399611771&size=o
Ne cherchez pas les fins détails dans cette image, c'est du 600 dpi-de-vieux-scanner, c'est juste pour vous montrer à quoi peut ressembler ma mire de définition favorite lorsque celles du CST ou de l'USAF sont dans le placard. Avec l'apo-germinar de 750 montré par Joerg Krusche à Fontfroide, on pourrait presque voir le prof du lycée en train d'aligner ses lentilles devant les potaches ! ou bien on verrait presque Martin Vogt en train de faire la démo de la nouvelle m3d à un visiteur venu de loin ;-)
Il y a pas mal d'avantages à ce sujet-test et évidemment pas mal d'inconvénients. Au chapitre des avantages, d'abord c'est un sujet que je connais bien, ensuite c'est un sujet agréable, on monte tous les visiteurs à l'endroit en question pour leur faire admirer les vieux édifices. Je me rappelle ce cri du coeur d'une ingénieure californienne lors de sa première visite sur le Vieux Continent : « Ah ! the red roofs of Europe ! »
Il y a des rangées de petits tuiles vernissées à la manière bourguignonne qui font une excellent mire. Il y a même un dôme à tuiles vernissées qui balaye un intervalle de luminances assez grand, entre le « point chaud » réfléchissant le soleil et les parties à l'ombre, on sait qu'il y a aura au moins une partie du dôme où les paires de lignes à compter seront correctement exposées ;-) (ce qui permet d'éviter l'achat d'un spotmètre)
De plus, ce dôme de la chapelle du Refuge, à côté de l'Hôpital, est chargé d'histoire, et je ne résiste pas à raconter cette anectode pour les ecclésiastiques qui nous lisent.
À la fin du XVIII-ième siècle, la ville de La Chaux de Fonds, dans les montagnes Neuchâteloises, fut détruite par un grave incendie. Un grand nombre d'ouvriers horlogers se retrouvèrent donc au chômage. La jeune République Française décida d'installer une manufacture d'horlogerie à Besançon, un certain Mégevand, genevois, fut le maître d'oeuvre de l'affaire et il réussit à convaincre ces ouvriers chaux-de-fonnniens à descendre à Besançon. Ces horlogers posèrent un certain nombre de conditions, au chapitre desquelles une importante question de pratique religieuse. En effet ces ouvriers étant de religion réformée, exigèrent de pouvoir aller au culte le dimanche. Or la ville de Besançon était le bastion avancé de la papauté face à très luthérienne Montbéliard et face aux cantons réformés suisses, il fallut donc l'autorité de la République pour imposer qu'un pasteur fût nommé et qu'un lieu de culte fût affecté à ces ouvriers. On fit donc pire que de transformer la chapelle du Refuge en grenier à foin, comme cela arriva à
pas mal d'églises pendant la Révolution, on transforma cette chapelle en temple protestant ! Le traumatisme dans la ville qui servit de modèle au roman « le Rouge et le Noir » perdure jusqu'à nos jours, car les visiteurs de la chapelle peuvent encore aujourd'hui lire l'anectode dans les plaquettes d'information.
Je mets au défi quiconque de raconter une histore semblable en photographiant des mires ;-) quoique, avec la mire USAF, on pourrait parler de l'affaire de l'U2 pendant la Guerre Froide ;-)
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Une autre avantage des vieux toits de tuiles est que le sujet est à l'infini, c'est donc parfait pour tester l'application de l'objectif en paysage. Il y a aussi les textures des vieilles pierres ce qui est fort intéressant, le rendu des matières, d'après ce que j'ai pu comprendre, est un point sur lequel les photographes professionnels sont assez exigeants. Un autre avantage non négligeable est que le problème de l'uniformité d'éclairement est résolu a priori : le bon soleil éclaire tout le sujet de la même façon, inutile de passer le luxmètre au niveau du sujet pour voir si c'est bon. Encore un appareil qu'on n'aura pas besoin d'acheter. Un bonne vieille règle de seize, ou une bonne vieille sélénium en mesure incidente, et l'affaire est faite ;-)
Au chapitre des inconvénients, ils sont évidememnt nombreux, outre que le test n'est guère praticable les jours gris ou pluvieux, il y a l'effet du voile atmosphérique, éminemment variable d'un jour à l'autre. Rendre le test quantitatif semble donc a priori impossible à la fois en contraste et en mesure des périodes enregistrées, quoique si on dispose d'un microscope avec un réticule gradué, rien n'interdit de mesurer la périodicité des rangs de tuiles dans l'image. Mais il n'y a, évidemment, pas beaucoup de façons de faire varier les périodes dans un large intervalle.
Le test s'effectue uniquement à l'infini, ce qui n'est pas forcément pertinent pour une optique de chambre qui doit, à usage général, fonctionner entre l'infini et les distances de quelques décimètres du studio.
En essayant de compter les rangs de tuiles, on s'apercevrait sans doute, comme sur la photo dont parle Henri Gaud, et qui représentait (surprise !) une abbaye cistercienne à toit de tuiles romaines, que ces rangs de tuiles (qui sont souvent associés à l'impression visuelle de grande netteté), ont une période assez large, du genre 30 à 40 microns ou plus, soit moins fin que 25-30 pl/mm....
Mais avec du contraste ! encore du contraste, toujours du contraste !!
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