Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 21-10-2009 11:56
Bonjour Pierre !
Pour des témoignages de photographes pro utilisant une chambre numérique en architecture vous avez cet article de Brice Desrez
http://www.galerie-photo.com/brice-desrez.html
Vous pouvez (non : vous devez !) également solliciter l'avis de Stéphane Spach du forum qui après de longues années à utiliser du plan film en archi à la chambre travaille avec un dos numérique derrière une chambre-de-précision.
Quelques points techniques : désolé, c'est TRÉS long, mais çà fait déjà quelques temps qu'on tourne et retourne ici ces questions, autant mettre tout à plat, surtout s'il s'agit de s'engager financièrement pour un budget total assez joufflu (optiques de course plus chambre de précision plus dos silicium).
Il s'agit de bien poser le problème en complément de l'expérience de terrain que Philippe de F. vient nous faire partager.
En photo traditionnelle sur film, on utilise une chambre pour différentes raisons (liste non exhaustive à compléter)
- 1 - pour avoir des images de la plus haute qualité possible
- 2 - pour la maîtrise parfaite des perspectives et des projections grâce aux mouvements
- 3 - pour l'extension des zônes de netteté, sous certaines conditions, via la règle de Scheimpflug
- 4 - et accessoirement pour la possibilité de vérifier directement le résultat sur un grand dépoli sans besoin d'aucune source d'énergie d'aucune sorte.
La question qui se pose avec l'actuelle génération de capteurs moyen format genre 36x48 mm (pour rester dans du prix raisonnablement inabordable comme le dernier Leaf Aptus 22 Mpix) est : peut-on faire aussi bien qu'avec un plan film en grand format, tout en bénéficiant de tous les avantages de l'acquisition numérique directe ?
Concernant le point - 1 - : il me semble que la cause est entendue, le silicium & l'ordinateur ont gagné, surtout lorsqu'on essaie de comparer la performance, le prix et le temps passé avec un plan film scanné, mis en face d'une capture directe. On peut évoquer : l'absence de bruit, la colorimétrie plus facile, la possibilité d'enregistrer et de visualiser plusieurs images devant le sujet en un clin d'oeil, plus tout le traitement derrière,.. on ne va pas refaire le débat ici.
Un bémol cependant : si on veut comparer un tirage N&B à l'agrandisseur, ou par contact, disons : un tirage d'art, avec ce qu'on peut faire via une filière numérique, c'est une autre histoire, le film & la chambre ont (me semble-t-il) de beaux jours devant eux. Pour la machine de production intensive... exit le film (me semble-t-il également).
Concernant le point - 2 - maîtrise parfaite des perspectives et des projections, en archi en décentrant l'objectif on fait très rapidement le réglage des fuyantes, reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle en termes de temps passé entre la prise de vue ou le post-traitement numérique qui permet de bricoler pas mal les perspectives après coup.
Toujours est-il que la chambre plus un petit dos 36x48 ne pose aucune difficulté de principe pour décentrer, c'est très vite fait. Donc sur ce point aucun problème vive le dos numérique derrière une chambre.
Plus délicate est la question de la gestion des perspectives et des projections. je pense aux cours de photo à la chambre, le rendu d'une chaussure à talons hauts pour un catalogue à l'ancienne, et toutes les photos d'objets en studio nécessitant de peaufiner les réglages des mouvements de la chambre pour une maîtrise parfaite des volumes et de leurs projections. La question pourrait être : qui a besoin aujourd'hui de faire cela ? Oui on peut faire la même chose avec un capteur 36x48 ! Le problème est que visualiser directement l'effet des mouvements sur un petit dépoli est plus que malcommode. Si on dispose de la répétition directe de type « live video » on peut faire ses réglages sur un écran informatique confortable qui sert à la fois de loupe de mise au point et d'intensificateur d'images. En studio avec toute l'énergie disponible à gogo. Sur le terrain avec des accus.. c'est une autre histoire.
Car si on ne veut pas avoir un ordinateur directement attaché à la chambre numérique pour tester ses images sur le champ, on tombe sur les difficultés de la visée optique directe sur petit dépoli surtout en grand angulaire.
Concernant le point - 3 - profondeur de champ et zônes de netteté.
Le premier point à voir pour celui qui veut monter des courtes focales sur sa chambre est de bien avoir en tête les déplacements nécessaires à faire passer la netteté de 1m à l'infini. Avec un 100 mm de focale, ce déplacement est de 1 cm. Aucun problème avec une chambre dont les boutons de mise au point ont une sensibilité de 2 cm de translation par tour de bouton. Sur le rolleiflex-bi on est à 1 cm environ par tour de bouton, pour une focale de 75-80 ; avec un 75 de focale, le passage de 1 m à l'infini demande un déplacement de 5,6mm. Aucun souci avec une bonne chambre de précision, çà fait 1/4 de tour. En courtes focales les choses se gâtent : avec un 35mm par exemple le déplacement nécessaire à ce passage de 1 m à l'infini n'est plus que de 1,2 mm. Et avec un 24mm on tombe à 0,6mm. Ces valeurs ne sont liées qu'à la focale et n'ont rien n'a voir avec le format couvert !
En petit format on a une bague hélicoïdale et une butée d'infini, donc aucun problème pour mettre au point avec un 35 mm ! Sinon à se saurait !
Mais avec une chambre (monorail ou pas, peu importe) et des boutons à 2cm par tour, çà devient de l'acrobatie. D'où la nécessité de passer à une rampe hélicoïdale pour avoir une sensibilité d'une fraction de millimètre. Et se pose la question d'une bonne butée d'infini !!
Il est courant d'entendre dire que les focales étant plus courtes, la profondeur de champ est plus grande donc on n'a moins besoin voire plus besoin du tout de Scheimpflug. De mon point de vue ceci est souvent une illusion ou un malentendu car on ne compare pas les images faites en petit format numérique directement avec des grands tirages de même dimension faits à la chambre en grand format.
La réalité est qu'il n'y a absolument aucun gain en profondeur de champ si on examine des tirages de même dimension enregistrés avec le meilleur diaphragme d'une optique pour petit ou moyen format, en prenant les focales équivalentes de même couverture angulaire, avec des tirages mis en face d'un prise de vue à la chambre.
La raison en est que plus le format est petit, plus le meilleur diaph est ouvert ; pour toutes les optiques de chambre de course récentes de focale normale, on a une loi d'échelle qui donne : meilleur nombre d'ouverture = focale en mm divisée par 11. Cette loi est valable pour les nouivelles séries d'optiques de chambre digitales qu'il ne faut surtout pas fermer à f/16 !!
Un rapide calcul montre que dans ces conditions il n'y a aucun gain en profondeur de champ en petit format, tout le monde est logé à la même enseigne. Entendons-nous bien, il s'agit d'obtenir la même qualité en partant soit d'un petit capteur soit d'un grand capteur en travaillant au meilleur diaph. Souvent le petit format n'est utilisé que pour des petits tirages, dans ces conditions les critères de netteté ne sont pas les mêmes, le gain en profondeur de champ à critère de netteté différent est évidemment une illusion et ne mérite pas qu'on en discute, c'est une fausse route.
Donc même avec un capteur 36x48 la règle de Scheimpflug garde tout son sens pour étendre la zône de netteté à un sujet en profondeur qui rentre dans un coin. Il n 'est pas très facile de voir ce qui se passe, mais la comparaison entre formats, du pur point de vue géométrique et profondeur de champ est qu'il est parfaitement possible d'obtenir les mêmes zônes de netteté côté objet avec un petit capteur et une petite bascule qu'avec un grand plan film et une grande bascule, toujours en travaillant dans les deux cas au meilleur diaphragme. La différence majeure est que l'angle de bascule du petit format avec des petites focales devient très petit, il diminue en proportion directe de la focale.
Par exemple dans le scheimpflug de paysage classique avec un 150 mm de focale placé à 1,50m du sol l'angle de bascule qui met le plan de netteté au sol est de 6° environ. Du même point de vue pour avoir le même rendu de perspective avec une focale de 60 mm (60 mm = de diagonale du format 36x48) l'angle de bascule vaut 6 x 60/150 = 2,4 degré. Passons au classique 90mm grand angulaire du 4x5 pouces, placé à 1,5m du sol l'angle requis pour mettre le plan de netteté au sol est de 3,5° environ, passant à une focale équivalente de 90x(60/150) = 36mm, l'angle de bascule tombe à moins de 1,5 degré..
Donc on résume : travailler sur capteur 36x48, pas de problème, on peut faire aussi bien et même mieux (par exemple : en bruit et gestion colorimétrique) mais attention !
- la mise au point en archi sur capteur de 60 mm de diagonale avec des grands angulaires de focales 35 et inférieur demande une sensibilité mécanique pour la mise au point qui soit de l'ordre du dixième de millimètre c'est quasi incompatible avec un bouton à 2cm par tour ; de plus se pose la question d'apprécier la bonne mise au point sur un petit dépoli... surtout avec des bascules.
- les bascules doivent pouvoir être réglées très finement par fraction de degré.
Certes, on peut toujours diaphragmer pour rattraper le coup ! Mais avec une optique digitale de course, si vous fermez le diaph à f/16, alors vous perdez par diffraction toute la belle netteté chèrement acquise avec ces nouvelles optiques de chambre à 8-10 lentilles, top-du-top !!
Donc la notion de "chambre numérique" pour de l'archi, qu'on le veuille ou non, doit tenir compte de ces exigences particulières de précision optique et mécanique.
On peut aussi renoncer aux images à faible distorsion et dire que le client se contente de ce qu'on fait avec un bon reflex 24x36 numérique plus un coup de retouche derrière.
C'est un choix, mais il ne faut pas rêver à essayer de rivaliser avec ce qu'on faisait avec une chambre en grand format sur film en gardant la même chambre mais à laquelle on greffe un capteur 36x48, avec la mise au point à 2cm par tour de bouton, des bascules graduées par 2 degrés minimum à la louche (combien de chambres de campagne en bois sont, par exemple, incapables de faire un réglage de bascule de 3 degrés au voisinage du cran de bascule nulle !), et les mêmes optiques pour film couvrant un cercle image inutilisé sur 90% de la surface possible !
En agrandissant le fichier numérique à 800% par la suite, il ne faudra pas s'étonner que l'image ait des défauts qu'on n'avait pas avec le film agrandi beaucoup moins fort...
Donc chambre numérique, ou mais.. de précision et cela reste tout de même difficile de faire une visée optique sur petit dépoli si on n'a pas de live video pour contrôler très finement la netteté et les mouvements.
Difficile mais il y a des solutions en dehors du live video en studio. Par exemple j'ai pu voir côte à côte sur deux chambres identiques à dépolis identiques une image donnée par le dernier 40mm de chez Rodensstock, en comparaison de l'ancien 35 digital de la même maison. Le nouveau 40 qui est un poil rétrofocus donne une image beaucoup plus lisible car moins affectée par l'assombrissement dans les coins.
Bref, toutes ces contraintes étant posées, il ne reste plus qu'à manipuler les différentes chambres "numériques" de fabricants, et de poser les bonnes questions au vendeur !
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