Auteur: Vincent Ziegler
Date: 02-05-2003 17:20
Bonjour à tou(te)s,
trouvé sur artsud.com (http://www.artsud.com/7off/present.htm#FH), le texte ci-dessous.
Pour Henri (G) : tu verras, sur ce site, il n'y a pas que des "vieux" qui pratiquent une photographie engagée avec des procédés anciens ;-))
Pour Tin : tu ne devrais pas t'abaisser à répondre à des types dont la culture photographique se limite à "Chasseur d'images" (>qu'est-ce-qu'on se marre ici!!!
il y aura toujours des amoureux du grain flou (les objectifs d'agrandisseurs ne sont pas parfaits!), des mordus du "je developpe mes films moi meme dans ma salle de bain, c'est mieux". Voila une attitude que je meprise.)...
Extrait de la préface du très beau livre de Frank Horvat : " Entrevues ",
(Qui sera probablement réédité chez Nathan, l'année prochaine), que nous avons trouvée tellement juste et belle que nous n'avons pas hésité à la compiler, et à la reproduire, avec l'autorisation de l'auteur :
"Même si les Photographes réunis ici sont très différents entre eux, même si leurs voix sont parfois discordantes, je crois qu'il existe un pointillé qui les réunit et qui définit une sorte de frontière.
Quand on me demande ma profession, je réponds: "Photographe". Cela se dit facilement, ce n'est pas comme si j'avais à annoncer "je suis astrologue" ou "inspecteur des impôts". C'est pourtant moins simple que de dire "sculpteur" ou "plombier". Il me semble toujours qu'il faudrait préciser, ajouter quelque chose comme : "mais un Photographe n'est pas ce que vous imaginez" ou "mais il faudrait définir ce qu'on entend par photographie".
Je n'ajoute rien, bien sûr. Ce serait inutile : les gens croient savoir, tous prennent des Photos (ou se laissent prendre en photo). Quand ils en parlent c'est pour dire : "Si on fait dix bobines on a forcément une bonne Photo" ou "j'ai fait exactement la même Photo que vous, sur le pont de Brooklyn, seulement sans le personnage." (Propos rapportés par Edouard Boubat.) Les philosophes de la Photographie écrivent : "la voyance du Photographe ne consiste pas à "voir" mais à se trouver là" (Roland Barthes), ou bien: "Il n'y a pas de mauvaises photos : il n'y a que des Photos moins intéressantes, moins significatives, moins mystérieuses." (Susan Sontag)
Pour un Photographe, de tels propos sont aberrants. L'expérience quotidienne nous montre qu'il ne suffit pas de presser le bouton pour que ce qui était devant la boite soit dedans. Et que, même si on l'a, on n'a pas nécessairement une bonne photo. Une bonne Photo est une chose rare, presque miraculeuse, que même les meilleurs n'obtiennent que quelques dizaines (ou centaines) de fois dans une vie. Comment des gens tels que Barthes et Sontag peuvent-ils n'y voir qu'un produit mécanique ?
Nous nous sentons un peu incompris. Parfois cela nous irrite, parfois cela nous donne une sorte de satisfaction, comme si nous étions les détenteurs d'un secret, les initiés d'une secte. Nous reconnaissons les confrères de loin, même s'ils ne portent pas d'appareils, ne fût-ce qu'à leur manière de laisser traîner le regard, sur pattes de velours, comme des félins aux aguets. Je me souviens d'une promenade sur les contreforts de l'Etna, dans la voiture d'un Photographe que je connaissais à peine. Ses hésitations dans les tournants, ses petits coups de freins à l'apparition d'un arbre ou d'un rocher me remplissaient de joie :
Nous étions deux à regarder de la même manière.
C'est peut-être la même chose pour les plombiers et les inspecteurs des impôts. Ou peut-être pas : la solitude du Photographe est particulière, puisqu'il est forcément seul à regarder dans le viseur et à prendre la décision de déclencher. Bien sûr, l'aboutissement de la recherche, l'instant qui a été appelé décisif, sera partagé par les spectateurs de la Photographie. Mais les autres instants, tous les millions d'instants non décisifs, toutes les recherches non abouties se déposent en nous comme une lie et font notre solitude.
Quand je regarde une Photo, je me demande toujours (plus ou moins consciemment) si j'aimerais l'avoir faite. Dans la majorité des cas, la réponse est négative, soit parce que l'image ne m'intéresse pas, soit au contraire parce qu'elle ressemble trop à ce que je fais. Mais il m'arrive de voir des Photos que j'aimerais avoir faites et dont je me dis que je n'aurai pas su les faire : parce qu'elle sont le résultat d'une manière d'opérer - et surtout d'une manière d'être - qui ne sont pas les miennes. C'est de celles-là que je me sens jaloux - et c'est avec les Photographes qui les ont faites que j'ai eu envie de dialoguer."
Extrait de la préface du livre de Frank HORVAT : "ENTREVUES".
Vous pourrez voir ses images sur son site: http://www.horvatland.com
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