Auteur: Marc Genevrier
Date: 11-04-2003 10:46
C'est marrant, vous parlez plus du texte que des photos !
C'est très intéressant ce que vous dites, je comprends bien le raisonnement et le questionnement de Tin. Mais je crois que c'est aussi très symptômatique de notre époque - et je ne veux pas nier la problématique de la destruction. Les photos nous montrent des situations temporaires - un chantier, ça ne dure qu'un moment -, mais parvient à nous les faire prendre (le texte aidant peut-être un peu) pour des situations définitives. D'une certaine manière, il transforme des lieux singuliers en des lieux génériques, c'est aussi la mise en série qui permet ça, mais je crois qu'il ne s'intéresse pas aux particularités de chaque endroit, plus à leurs points communs, à cette terre morbide comme l'écrit très bien Gauthier ailleurs, à propos de Bustamante. Je trouve ça très bien réalisé. Ça marche sans doute aussi parce que nous sommes tellement habitués à voir de partout des lieux comme cela que nous nous sentons submergés et nous nous disons que, quand ce chantier-ci sera terminé, celui-là, un peu plus loin, prendra le relais, de sorte que nous avons cette impression d'un immense chantier permanent dans lequel nous cherchons à nous situer.
Ce qui me frappe dans ces images, évidemment, c'est l'absence de vie, de mouvement. Quand Lewis Baltz a photographié des terrains vagues, il s'est mis au ras du sol, il a littéralement rampé, photographié des herbes folles, des cailloux, on sent parfois le vent, on imagine presque l'odeur de la poussière, et cela nous ramène à notre animalité dont parle Tin. C'est une autre démarche, bien sûr. Ici, on ne s'intéresse pas au devenir possible de ces endroits, à la vie qui va peut-être reprendre ses droits à la faveur d'une pluie et d'un arrêt du chantier, il suffit de peu de choses pour que des herbes poussent à nouveau. On ne s'intéresse pas non plus à des formes ou à des couleurs qui pourraient apparaître dans la terre, non, le sol est ici informe et mort. En regardant les images, j'ai presque l'impression d'un monde d'après l'homme. On dirait que tout est suspendu, comme si tout avait été arrêté d'un coup par une immense catastrophe. On aurait pu par exemple, au contraire, essayer de montrer la vanité des ces interventions humaines par rapport à la puissance de la terre (dans le genre, la vie reprend ses droits et trouve le moyen d'échapper à notre emprise ou de réaffirmer la finitude de nos moyens), mais le point de vue est ici beaucoup plus pessimiste : le combat est fini, la terre a déjà perdu.
C'est ce qui me paraît caractéristique de notre époque : outre le sentiment de gâchis et de destruction, il y a cette interrogation ou cet affollement face à un changement qui ne s'arrête plus, que nous ne maîtrisons plus et qui ne nous laisse même pas le temps de le penser. Ça nous laisse parfois un tel dégoût qu'on en vient à souhaiter la mort de ce monde, d'une façon un peu suicidaire, mais par une sorte de politique du pire, histoire de faire table rase.
Bon, je réfléchis à voix haute, donc je m'arrête là...
Marc
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