Auteur: varec
Date: 13-04-2005 23:10
TRIBUNE dans "le photographe" (page 68) de mars 2005
"ON VOUDRAIT NOUS FAIRE CROIRE" par Mr Jean-François Fortchantre
--> Une récente enquête sociologique auprès des Français faisait apparaître qu’ils ne croient plus en rien. Qu’ils ne croient plus aux promesses de leurs dirigeants qu ils continuent a penser par exemple, que les changements brusques de climat ne sont pas normaux ou encore que le passage à l’euro a bien fait augmenter les prix à la consommation, ceci malgré tout ce qu’on peut leur dire dans les médias. Bref, beaucoup se disent: «On voudrait nous faire croire ». Modestement, je vais vous dire ce qu’on voudrait nous faire croire sur le marché de la photographie professionnelle aujourd’hui.
On voudrait nous faire croire qu’un appareil 24x36 peut remplacer un moyen format : faux. On voudrait nous faire croire que la photo pro c’est essentiellement la photo de sport ou de reportage avec un boîtier moteur: faux, les reporters ne sont qu’une partie des pros. On voudrait nous faire croire qu’il faut absolument des optiques spéciales pour la photo numérique: faux. On voudrait nous faire croire que le tirage sur papier jet d’encre a une durée de vie aussi longue que le papier argentique: nous ne serons plus là pour le constater dans 150 ou 200 ans. On voudrait nous faire croire que le numérique est toujours moins cher que l’argentique: en oubliant soigneusement les nombreuses heures passées devant l’ordinateur. On voudrait surtout nous faire croire que l’argentique c’est fini, que c’est ringard, que c’est un combat d’arrière-garde: faux, mensonge, terrorisme intellectuel, le marché de l’art qui explose est là pour prouver le contraire. On voudrait surtout nous faire croire que l’image numérique ne s’altère pas avec le temps: vrai pour les pixels et les fichiers mais faux pour les supports et les formats de stockage.
Jean Dieuzaide, auquel Reporter Sans Frontières rend hommage en ce moment, s’était battu il y a déjà de nombreuses années lorsque les fabricants de surfaces sensibles voulaient arrêter le papier baryté au profit du papier à support plastifié plus rentable. C’est grâce à lui que nous pouvons encore aujourd’hui voir de superbes tirages fait main.
Pour ma part, je défends la diversité de l’offre, car la diversité: c’est la liberté, Ce qui me plaît au marché le dimanche, c’est de pouvoir choisir entre dix variétés de pommes et non pas d’en avoir qu’une seule, fût-elle délicieuse, Dans les produits photographiques, il y a (encore) le choix entre différents produits (argentique, numérique, 24x36, moyen ou grand format). Comme dans le domaine automobile, chaque choix doit correspondre à une utilisation précise pour laquelle il a été conçu (on ne fait pas la même chose avec un 4x4 et un coupé sportif). De même, en photo pro, on ne fait pas du studio au 24x36...
Il y a trois ans maintenant avait germé dans ma tête l’idée du “Collectif du moyen format”. Avec l’ensemble des acteurs de ce secteur nous défendons depuis les particularités et les qualités du moyen format. Il s’agit d’abord d’une démarche intellectuelle pour défendre une certaine idée de la photographie. La photo en moyen -format est une photographie différente faite de réflexion de composition plus aboutie, grâce simplement au confort de visée. Ce n’est pas seulement du 24x36 amélioré, c’est autre chose. Elle participe à la diversité des approches d’un sujet. Le même photographe ne fera jamais les mêmes images avec du petit, moyen ou grand format. Il est, me semble-t-il, de notre devoir de défendre la diversité. Rationalisation, Globalisation, Normalisation, Standardisation, Mondialisation... Ces mots-là ont pour moi un parfum carcéral et me rendent un peu anarchiste, pas vous? Continuons à exercer notre esprit critique, c’est une des choses qui nous différencie des moutons de Panurge. Voilà pourquoi, comme la majorité des sondés, je dis: «On voudrait nous faire croire.
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