Auteur: Jean-Louis Llech
Date: 28-02-2005 10:54
"Les Becher s’inscrivent dans un travail de regard photographique autour de l’inventaire. Atget ne fait que photographier tout."
J'ai un peu de mal à avaler cette présentation très réductrice et relativement lamentable d'Eugène Atget comme un "quincaillier de la photographie : vous voulez 8 vis de 12, voila 8 vis de 12".
C'est une présentation stéréotypée d'Atget, qui s'est répandue, par facilité, ou par incapacité à replacer son eouvre dans le contexte de l'époque. A persister de nier le caractère artistique des photographie d'Eugène Atget, on a fini par en faire une sorte d'épicier.
Travaillant à son compte - et il n'en a eu que plus de courage - sans subventions ni support administratif ou technique de quelque sorte, avec des moyens souvent "artisanaux", il a su noter le Paris de tous les jours, le quotidien, avec une acuité du regard et une persévérance qui n'ont à mon avis jamais trouvé d'équivalent depuis.
Eugène Atget était un des premiers - et des meilleurs - photographes sociaux, un documentariste. Aurait-il vécu au milieu ou à la fin du XXème siècle, qu'il aurait peut-être utilisé une caméra et fait des films.
La quasi totalité de ses photos était répertoriée, cataloguée. C'est ce qui a fait passer au second plan la qualité artistique indéniable de ses clichés, et qui lui a valu cette image de quincaillier. Un travail de fourmi, mais qui ne pourrait plus être réalisé de nos jours. Qui en aurait la patience, la force, ou les moyens ?
A l'inverse de Charles Marville ou de René-Jacques, qui avaient reçu un contrat de travail pour des missions photographiques bien définies, Atget était un "chineur de génie". Il butinait tout ce qu'il trouvait, mais le but sociologique et documentaire était toujours omniprésent dans son regard et dans sa pensée.
Bérénice Abbott, qui l'admirait profondément, l'avait un jour qualifié de "Balzac de la photographie". C'est grâce à elle que la plus grande partie de l'oeuvre d'Atget s'est retrouvée au MoMA. S'il a si profondément marqué des photographes comme Ansel Adams, Bérénice Abbott, Man Ray, René-Jacques, et bien d'autres, c'est bien parce que c'était un précurseur, et pas, comme je l'ai lu, de la carte postale.
La Bibliothèque Nationale, la Caisse Nationale des Monuments Historiques, la Bibliothèque de la ville de Paris, le Musée Carnavalet, le Musée des Arts Déco, ont acheté des photographies d'Eugène Atget, qu'on peut toujours voir. Mais c'est proprement scandaleux que la France ait laissé partir ce témoignage inestimable qu'était l'ouvre d'Atget outre atlantique. Mais elle a aussi laissé partir des cloîtres catalans entiers aux Etats-Unis. Il ne faut donc pas s'en étonner outre mesure.
Allez voir les quelque 500 photos d'Atget à la maison George Eastman.
Aucun autre photographe n'a jamais à ma connaissance fait un tel travail. Trente ans à arpenter les rues, avec une chambre 18x24, (jusqu'à l'âge de 70 ans, il faut le rappeler) à relever ces détails de la vie quotidienne qu'il savait probablement condamnés à disparaître.
Il devait sentir ces profonds changements de ce Paris du début du XXème siècle, il devait éprouver l'impression de photographier ce qui allait mourir bientôt, et cela a du lui donner la force de continuer.
De quelle autre pays que la France peut-on s'enorgueillir de pouvoir disposer d'un tel inventaire photographique ?
Les travaux des photographes américains, comme Stieglitz, livrent certes quelques témoignages - certes très forts - de la vie new-yorkaise, comme les immigrants encore sur le bateau, (The Steerage) ou les premières tours de New-York (Flatiron building). Mais il s'agissait de photographie purement artistique, qui au passage livrait un témoignage iconographique et documentaire, pas de l'inverse.
Eugène Atget à mon sens reste un des plus grands génies de la photographie, non pas par ses prouesses techniques ou artistiques, mais par cette énergie, cette persévérance, cette ténacité qu'il a mis au service d'une oeuvre unique, l'inventaire du patrimoine parisien.
Alors, qu'après, il ait été "récupéré" par les surréalistes, cela n'a pour moi strictement aucune importance.
Et le plus extraordinaire est qu'Atget a incontestablement inspiré d'autres photographes, comme effectivement Marville, René-Jacques et bien d'autres.
Henri Gaud avec sa photothèque de plus de 50000 photos n'a t-il quelque part été inspiré par Atget ?
Artiste, artisan, technicien, scientifique, enseignant, quelle est cette manie de toujours tout vouloir répertorier, classifier, étiqueter ? A quoi bon ?
On dirait que les gens ne peuvent retrouver la tranquillité d'esprit qu'une fois tout bien rangé, avec des étiquettes, dans des petits tiroirs ou sur des étagères.
Cette déviance très française et cartésienne de tout vouloir étiqueter ne diissimule t-elle pas un mal-être personnel ?
Est-ce que cela les aide au moins à se situer eux-même ?
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