Auteur: Jean-Louis Llech
Date: 27-02-2005 10:45
La confusion entre l'artisan et l'artiste vient de leur racine commune «Art». Mais je pense que la comparaison devrait s'arrêter là.
Quelqu'un écrivait plus haut : "C'est vrai que l'expression " belle photo" prête à confusion, elle fausse un peu le débat. Mais je ne vois pas quel mot substituer à "belle"."
Cette phrase démontre une fois de plus la difficulté qu'il y a à vouloir à tout prix faire rentrer quelque chose dans un ensemble normatif, dans un cadre.
Je ne sais plus qui disait : "Si le cadre vous gêne, si vous avez des difficultés à entrer dans le cadre, cassez le cadre".
Mais je crois que cette possibilité, cette liberté de casser le cadre constitue la première différence entre l'artisanat et l'art.
Pour les mêmes raisons, faut-il tenir compte du public ? N'y a t-il pas là dedans une autre différence entre l'artisanat et l'art ?
L'artisan a besoin de clients pour vendre son travail. Je ne mets aucun connotation péjorative dans cette notion commerciale. L'artisan a besoin de vendre son travail, c'est tout. Il n'y a pas d'"artisan maudit", il n'en va pas de même des artistes.
Une définition de l'artisan : "Personne exerçant, pour son propre compte, un art mécanique ou un métier manuel qui exige une certaine qualification professionnelle."
"Outre la mise en œuvre des procédés qui font l'objet de l'apprentissage, un ouvrage réussi exige de l'artisan quelque chose d'autre, quelque chose qui ne s'apprend pas et qu'en désespoir de cause nous appelons le « tour de main »..." (V.Jankélévitch "Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien")
Sous l'ancien régime, les artisans étaient regroupés en corporations. Toutes les corporations avaient leurs symboles, leurs armoiries, leurs représentants et leurs règlements.
Leur discipline fortement hiérarchisée servait à préserver la continuité de leurs méthodes, et permettait parfois également de garder les secrets de fabrication et les tours de main, garants de l'habileté des membres et de la réputation de la corporation.
De nos jours, le mot "artiste" appliqué à celui qui pratique un métier manuel est un compliment, mais peut être aussi parfois ironique et moqueuse.
De même, "artisan" qualifiant un musicien, un peintre ou un sculpteur peut avoir un sens très nettement péjoratif, qui le sous-entend "besogneux", et appliquant sans cesse les mêmes recettes.
Les deux mots, artisan et artiste, ont été couramment synonymes jusqu'à la fin du XVIIème siècle, d'où la confusion. On a néanmoins assisté à une évolution et à une séparation progressive des deux mots. Mais il peut y avoir des "résurgences", comme on le voit ici.
Les définitions les plus anciennes de l'artiste le définissaient comme "Un artisan qui excelle dans son travail, qui a acquis une technique, une maîtrise d'exécution, un savoir-faire qui lui permet de reproduire habilement un modèle ou même d'en inventer de nouveaux". On voit que le lien entre l'artiste et l'artisan n'était pas encore rompu.
Une autre tentative de définir l'artiste pourrait être : "Est artiste celui qui est capable de transposer les éléments de la réalité dans le cadre privilégié de son art".
André Malraux disait "J'appelle artiste celui qui crée des formes... et artisan celui qui les reproduit, quel que soit l'agrément ou l'imposture de son artisanat." (A.Malraux - Les Voix du silence)
Et Raymond Ruyer, dans sa thèse "Esquisse d'une philosophie de la structure" écrivait :"Les artistes les plus personnels n'ont pas créé un monde de toutes pièces, ils ont reflété à leur manière le monde qui les entourait."
En ce sens, un photographe ne saurait être un artisan, mais un artiste.
Le pouvoir du beau est de produire des émotions au fond de nous. Mais avoir le goût du beau et s'intéresser à l'art ne sont pas l'apanage de l'artiste, puisqu'il le partage avec l'artisan mais aussi avec l'amateur d'art, "l'esthète". Mais je crois que ce qui différencie fondamentalement l'artiste de l'artisan et de l'amateur d'art, c'est que l'artiste, quand il est lassé de devoir évoluer dans un cadre, de devoir faire rentrer sa création dans un cadre prédéfini, décide de casser ce cadre. C'est la base de la création, sans laquelle l'art n'aurait jamais pu évoluer.
Il y a dans la notion de beauté quelque chose d'universel qui me gêne un peu. En effet, on qualifie de beau ce qui plait, qui provoque des émotions agréables au plus grand nombre.
De là à dire qu'il y a dans la beauté une idée de "norme", il n'y a qu'un pas. Le "hors norme" n'est pas beau, il ne suscite pas d'émotion, sauf parfois de rejet, chez ceux qui le regardent. On connait trop d'artistes dont le travail a été décrié pendant des années, et qui n'ont été reconnus que bien plus tard, quand la "norme" a évolué. L'impressionnisme a été rejeté avant de devenir une forme de peinture reconnue et appréciée. Des dizaines d'artistes sont morts dans la misère avant que leurs oeuvres ne s'arrachent à prix d'or.
Donc en ce sens, c'est la loi du plus grand nombre qui "décrète" le beau, à un instant donné. Caractère éphémère du beau, mais aussi soumission à des modes.
Une belle photo, comme un beau tableau c'est aujourd'hui, dans un contexte esthétique précis. Le "laid" d'aujourd'hui deviendra peut-être le beau de demain.
Il y a pourtant dans la sculpture, dans la peinture, une beauté intemporelle. Rembrandt, Michel-Ange, De Vinci, et tant d'autres ne se voient pas remis en cause, pas plus qu'ils ne l'ont été de leur vivant.
La photographie serait-elle un art trop jeune et trop récent pour subir les effets de cette intemporalité ?
Par exmple, non, Henri Gaud n'est pas un artisan, même si cette notion le flatte, au sens du travail bien et "honnêtement" accompli. Dans la mesure où, comme l'écrivait Raymond Ruyer, il essaye de "refléter à sa manière le monde qui l'entoure", il est un artiste. Ne lui en déplaise.
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