Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 11-11-2004 00:13
Jean
Vous posez les questions les plus délicates de la technique photographique, celles qui consistent à trouver une correspondance entre les impressions visuelles et esthétiques, définies par des termes comme piqué, modelé, sécheresse... et les modèles physiques qui décrivent la formation et la qualité des images par des équations et des notions qui se sont raffinées de plus en plus au cours du XX-ième siècle et jusqu'à nos jours.
Autant dire que le sujet est passionnant jusqu'à être passionnel, un bon sujet pour galerie-photo, donc ;-)
Pour commencer, il serait de très mauvais goût de critiquer une citation sortie de son contexte, d'autant plus que nous la sentons tout empreinte d'admiration pour les images haute résolution qui nous rassemblent sur ce forum. On enverra donc seulement une petite pique gentille à la fin de ce petit "essai".
Commençons par un détour par l'acoustique et la musique.
Les musiciens emploient un vocabulaire consacré pour définir le timbre et la hauteur des sons, depuis le XIX-ième siècle au moins les physiciens se sont attachés à trouver des correspondances entre le langage des musiciens et leur langage scientifique. Au premier r'abord, les choses sont simples, la hauteur de la note correspondrait à la fréquence du fondamental, le timbre de l'instrument correspondant à son contenu en "harmoniques", fondamental et harmoniques étant définis au sens de l'analyse de Fourier, domaine créé justement au XIX-ième siècle par un physicien français prénommé Joseph et que les grenoblois célèbrent chaque jour dans leur université.
Le Joseph-physicien n'a rien à voir, soit dit en passant, ni avec les fourriers distributeurs de guêtres chez les bidasses de la Comtesse, ni avec notre vénéré Charles Fourier franc-comtois, l'homme des phalanstères : eh oui la Franche-Comté est à la fois la terre d'élection de certains doux utopistes et celle de certains fabricant de chambres photographiques monorail ;-);-)
On se serait arrêté là s'il n'y avait pas eu quelques empêcheurs d'entendre les sons en rond, et je ne parle pas ni de la stéréophonie ni des sons inouïs issus de l'électro-acoustique (je pense à la montée infernale d'un son synthétique où timbres et hauteurs glissent dans une boucle sans fin qui donne l'illusion d'une montée infinie vers les hauteurs de la gamme) ; non, le très classique gros tuyau d'orgue de seize pouces se rebelle déjà contre la théorie en affichant avec insolence la valeur 'zéro' pour l'amplitude du fondamental. Et pourtant on entend sa hauteur et son timbre ! On en saura plus en lisant cet ouvrage capital : E. Leipp, "Acoustique et musique", Masson, 1971.
Emile Leipp nous fournit avec malice un exemple assez abominable pour ceux qui ne jurent que par la musique classique et qui suivent à la lettre le Jacques Brel de "Vesoul" dans son rejet supposé de l'accordéon : Leipp nous dit que si l'on trafique un enregistrement de piano en coupant toutes les attaques, le son de régime permanent qui résulte lorsqu'on "tient" la note a un contenu en harmoniques très voisin de celui du piano, du moins c'est ce que les électroniciens peuvent mesurer, mais l'impression auditive est exactement celle d'un... (horresco referens) ... accordéon !! Donc exit la simplicité du modèle de départ qui ignorait les phases transitoires dans l'attaque des notes.
Autrement dit, les notions carrées et simples des physiciens tentent d'expliquer les termes employés par les musiciens, mais il y a toujours un petit truc qui cloche. Le piano indiscernable de l'accordéon dans le modèle de Fourier sec et simpliste du régime permanent, Jean-Louis Salvignol en grand amateur de musique moderne appréciera à sa juste place : même Olivier Messiaen n'aurait pas osé remplacer les ondes Martenot par l'accordéon dans son Saint François ; les physiciens n'ont pas ce scrupule vis à vis du piano du moins dans leur modèle de base ;-);-)
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Revenons à nos images. La notion de piqué serait donc reliée à la résolution des images, cette résolution dont nous devons bien avoir une idée puisque nous la portons si haut dans notre estime sur ce forum.
Alors on se lance : piqué = serait-ce paires de lignes par mm (pl/mm)??
Pas si simple. L'analyse des pl/mm c'est, transposée au domaine des images, l'analyse de Fourier. Peu de choses à critiquer si ce n'est que l'oeil a la capacité de regarder l'équivalent des attaques en acoustique, c'est à dire en image : les bords de plage, ces bords qu'on aime bien accentuer par traitement numérique pour donner à l'image un peu plus de... piqué ? ou de contraste ? ou de micro-contraste ?
Lorsqu'on observe une image haute résolution agrandie 10 fois, la limite intrinsèque de résolution de l'oeil à 5 pl/mm (vus à 25 cm, distance de référence) nous renvoie à 50 pl/mm sur le film. Autrement dit le piqué n'aurait a priori aucune chance, s'il n'est que l'expression des pl/mm que l'oeil voit, à 10x et en-dessous, d'être relié aux paires de lignes ultimes de l'ordre de 80-100 pl/mm qu'on peut atteindre optiquement en test sur mire même sans sortir le grand jeu d'Oberkochen (qui monte officiellement à 250 pl/mm avec certaines optiques photo moyen format bien choisies.)
Donc le piqué c'est quoi ? ... on va se hasarder, en suivant la recommendation de Fabrice-des-Optiques. C'est sans doute un mélange entre le contraste de l'image de fines grilles périodiques au sens de l'analyse de Fourier, pour les pl/mm jusqu'à 5 fois le grandissement du tirage ; mais très certainement comme pour les attaques du piano, le piqué est aussi lié au contraste des bords de plage uniques à grands sauts de densité, indépendamment --en étant un peu simpliste-- d'éventuelles petites grilles périodiques. Donc c'est compliqué.
Quid de la "sécheresse" ? sur ce point, je suis.... sec, comme je ne sais pas ce que cela veut dire sur le plan visuel et esthétique je ne peux même pas commencer à sortir du tiroir un modèle de physicien qui tenterait d'expliquer.
Reste le modelé. Là c'est plus facile. C'est lié à la dimension des grains d'argent et au bruit de granularité et donc à notre capacité à discerner de nombreuses nuances de gris avec un film ou un déteteur "bruiteux". Pour une détection silicium les choses sont différentes mais plus on montera en dimension de capteur plus on amélirera la qualité des images au sens piqué, bruit et modelé.
Les niveaux de gris sur un film résultent de la moyenne visuelle obtenue par la couverture partielle du film à l'aide de grains noirs mats très aborbants séparés par du vide. Plus le grain est fin, moins il y a de bruit lorsqu'on regarde la valeur de densité moyenne au densitomètre à travers, par exemple, le cercle nominal de 48 microns définisant la granulatrié RMS autour de la densité de 1.
Plus le grain est fin, plus on peut représenter de nuances de gris en variant le taux de remplissage des grains d'argent. À l'extrême, il y a le modèle académique un peu loufoque du film "rustique-binaire". On aurait le film binaire idéal à damiers carrés noir/blanc disposés sur une grille à mailles carrées fixe. Si on cherche à exploiter l'image jusqu'à la dimension du carré élémentaire du damier, on n'a plus que deux niveaux de gris possibles, tout noir si le carré du damier est rempli, tout blanc s'il est vide. Plus la dimension du damier sera fine, plus pour une fente d'analyse donnée on aura de possibilités de remplissage du damier binaire pour un même nombre de carrés noirs définissant le taux de couverture et donc la densité. Et donc plus de niveaux de gris intermédaires possibles, en corrélation avec une baisse des fluctuations de bruit. Là cela devient très compliqué parce que déjà ce modèle binaire-aléatoire-rustique n'est pas facile à expliquer mais il faut en plus faire évoluer le modèle vers une grande complexité en introduisant une distribution de grains de taille variable en volume !! Vive la simplicité de l'échantillonage fixe sur un silicium plan !
En résumé, il est possible mais pas toujours facile d'essayer de mettre des quantités physiquement mesurables derrière une notion censée être bien connue des photographes comme le "piqué" ou bien connue des musiciens comme le "timbre". Souvent il faut mélanger plusieurs grandeurs physiques pour commencer à représenter de façon non caricaturale une notion comme le piqué ou le modelé d'une image ou le timbre musical.
Il est donc légitime d'employer les termes de piqué et de modelé indépendamment des notions de pl/mm de FTM, de résolution, etc.. Un objectif qui aura un nombre de pl/mm médiocre en tests sur mire ou en test FTM n'aura certainement guère de chances de nous émouvoir en termes de piqué, sauf s'il est extra-bon jusqu'à 50 pl/m puis subitement très médiocre entre 50 pl/mm et 100 pl/mm. Un tel objectif s'il existait serait d'une rareté prompte à faire monter les enchères chez les passionnés d'optique-photographique-à-vendre-sur-Internet ;-);-)
Reste la petite pique finale : en MF, ce n'est pas tant en piqué qu'on gagne.
http://www.zeiss.de/
Camera Lens News N°20. Septembre N°20.
Thus, in terms of resolving power, Carl Zeiss medium format lenses beat most 35 mm lenses by far contrary to popular belief.
Enfonçons le clou : pour un rapport d'agrandisseent final donné, on agrandit linéairement deux à trois fois moins en moyen format que d'après 24x36. La cause est entendue. Mais il faut parfois de bons yeux pour le voir.
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