Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 21-09-2004 11:25
L'annonce d'un éventuel appareil 24x36 à capteur de 22 Mpix pose des questions techniques passionnantes qui mériteront le jour venu un bel article écrit par ceux qui ont la chance de travailler avec.
En gros la grille d'un tel capteur plein format 24x36 passe à 6 microns de période, pour une période spatiale limite au sens du théorème d'échantillonage des images (2x) de 12 microns. Donc une fréquence spatiale de coupure théorique de 80 pl/mm contre 56 avec le 1Ds à 11 Mpix. Si les optiques ont du mal à suivre à 56 pl/mm, il faudra qu'elles fassent un peu de sport pour se hisser jusqu'à la barre des 80 pl/mm.
Je voudrais aussi revenir sur la question du bruit.
Pour le film la cause est entendue depuis l'avant guerre, mais le compromis entre sensibilité et granularité (donc bruit) s'est encore amélioré en N&B comme en couleurs de façon fantastique depuis le début des années '60. Je ne dis pas cela pour décourager ceux qui fabriquent leur propres plaques gélatino-bromure, bien au contraire "ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul" étant en soi un auguillon qui balaye toutes les objections.
Pensons au quadruplement de sensibilité à granularité égale apporté par les grains plats. Pour dire les choses telles qu'elles sont, comparons le défunt KM-25 avec un 100 ASA E6 moderne.
Donc il est parfaitement possible que le compromis entre sensibilité et bruit que connaissent bien les utilisateurs exigeants de capture silicium des images s'améliore encore à court terme, enfonçant définitivement le film.
La dépendance du bruit d'un capteur par rapport à la dimension des cellules élémentaires ne me semble pas une affaire qui tombe sous le sens. Dans les cours des années '80 sur la détection ultime des photons pour applications scientifiques, on avait coutume de distinguer le cas du visible et de l'UV où le détecteur de référence était le photo-multiplicateur du cas de l'infra rouge proche où on devait utiliser d'autres détecteurs, silicium ou bolomètres detecteurs de chaleur.
Toujours dans la vision des limites ultimes, on disait alors que le rapport signal à bruit en photomuultiplicateur était déterminé par l'efficacité du détecteur (sa capacité à compter le plus de photons sans en perdre) et le nombre total de photons détectés dans un temps donné. Ceci pour un détecteur pontuel comme dans un spectromètre ou dans un instrument classique non-imageur. Pour un détecteur d'images où on travaille à éclairement donné, soumis à la loi d'airain de la conservation de la luminance, il est clair que plus la cellule détectrice est petite plus le nombre de photons détecté par cellule est faible, donc plus le bruit de photons augmente en valeur relative. Dans ces conditions on est dans une situation exactement analogue à celle de la loi de Selwyn de la granularité des films.
Pour une détection silicium en capteurs photographiques, je ne sais pas avec des cellules de quelques microns pour chaque couleur RVB où on se situe en nombre de photons par cellule si on photographie en plein soleil, au soleil d'Olympie (Grèce) ou au soleil de Oulu (Finlande). Visons une de ces bonnes vieilles cartes à 18% de matière grise avec une optique fermée à F/16, combien, non pas de divisions, mais combien de photon dans un p'tit carré de 2 microns de côté ?
Dans le capteur silicium, il y a génération spontanée d'électrons non corrélés avec les photons effectivement entrants. Plus la cellule est petite, plus ce signal parasite est petit. En parallèle le nombre de photons disponibles par cellule, à éclairement donné, diminue proportionnelement à cette surface, certes, mais le rapport signal à bruit, dans ce modèle, ne changerait pas ou très peu. On pourrait donc imaginer un mécanisme pour faire rêver les zélateurs du silicium, dans lequel le rapport signal à bruit serait indépendant de la surface des cellules détectrices en arguant que le bruit de photons est négligeable. Reste le bruit de numérisation, on numérise tout de même mieux, me semble-t-il, un bon gros paquet de photoélectrons (vrais ou parasites, ils sont indiscernables) en sortie d'une bonne gosse cellule déca-micronique que quelques maigres troupes issues d'un p'tit pixel micronique.
Enfin une dernière considération dont on parle parfois qui est l'effet de puits pour des cellules détectrices qui ne sont plus en surface comme dans un film mais qui sont un peu enterrées. L'obligation d'éviter les fuites de lumière diffuse d'une cellule à l'autre doit imposer des contraintes de conception délicates. Si la dimension latérale des cellules se réduit à profondeur donnée, bonjour l'effet de store vénitien. Bien d'accord avec Philippe de F. pour sortir les f/2, mais si les rayons les plus inclinés sont déjà bloqués par le store vénitien, même au centre, il y a problème. Problème également si ces rayons viennent chatouiller plusieurs cellules, on perd l'avantage d'avoir plus de pixels. On pourrait compenser par logiciel l'effet de vignettage ou de store vénition, cet effet étant variable sur le champ mais "étalonnable" en photographiant un mur blanc.
Je verrais donc aussi un mécanisme délétère limitant la résolution effective d'un détecteur à cellules microniques, la fuite de lumière d'une cellule à l'autre, équivalent lumineux de la diaphonie de la musique stéréo, qu'on appele parfois diaphotie. Ce phénomène existe sur les têtes de lecture optique CD et DVD. En CD, c'est minime, en DVD les pixels se réduisent, il faut y faire attention.
La réponse viendra donc vite et simplement des yeux affûtés de nos amis professionnels qui sont déjà équipés de 22 Mpix en capteurs détachables pour moyen format ou chambre, plus de ceux qui s'équiperont bientôt d'un éventuel 22 Mpix 24x36. La comparaison directe du rendu nous dira tout de suite si on plafonne, un peu comme un scanner 4870 plafonne en résolution optique effective par rapport à un 3200, ou si le progrès est indéniable entre un 11Mpix et un 22Mpix à optiques identiques.
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