Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 09-09-2004 10:44
Vincent. Corrélation ne signifie pas causalité.
La corrélation entre société et religion n'implique pas que la religion impose toujours sa règle à la vie économique. Comment expliquer la différence nord-sud en Italie ? Comment se place l'Écosse presbytérienne dans le classement européen ? La religion est-elle le seul aspect expliquant les différences entre Irlande du Nord et République d'Irlande ? Est-ce la poule qui précède ou l'oeuf ? On peut renverser l'argumentaire. Le fait que la Réforme ait pénétré sans problème en scandinavie mais ait été arrêtée en Bavière, Autriche et Italie est liée à l'histoire locale de ces régions. On pourrait dire pour la Scandinavie : les scandinaves travaillaient déjà plus, étaient moins stricts sur la morale sexuelle, etc... les idées de la Réforme s'y sont installées d'autant plus facilement que Rome était loin.
Regardez la Suisse et examinez le strict partage religieux des cantons. J'attends que vous me prouviez que l'Appenzell Rhodes-extérieures, protestant, est nettement
"en avance" vis à vis de l'Appenzell Rhodes-intérieures, catholique. Que les citoyens du Tessin sont nettement moins avancés en matière économique que les vaudois. Qu'un banquier valaisan fait moins de profit qu'un banquier genevois.
Néanmoins le fait d'être plongé dans une ambiance peu catholique, celle du Royaume Uni, semble vous faire découvrir avec passion les mêmes réalités que celles expliquées par M. Peyrefitte. Bravo !! Ce dernier, soit-dit en passant, se situait sur le plan de la spiritualité certainement plus près de Tante Yvonne que de M. Couve de Murville, ce qui donne poids à son argumentaire ; le Général aurait donc dû placer « Mon Couve » à l'économie...
Enfin, si j'en crois la CIA http://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/fr.html
qui est bien informée, la France est un pays catholique romain à 83-88%. Dommage qu'il n'y ait que 2% de protestants en France, quelques pourcents de plus nous assureraient aisément la première place dans le concert économique des nations. Et l'Allemagne, partagée religieusement en trois tiers par la barrière de la Réforme et celle de l'incroyance, souffre à l'évidence du lourd frein imposé à son économie par 1/3 de catholiques et 1/3 tiers d'agnostiques qui refusent de payer l'impôt ecclésiastique, ce qui fait de cette statistique des pratiques religieuses allemandes une référence fiable puisque fiscale et monétaire.
Non, Vincent, ce serait trop simple si la religion était un facteur déterminant en économie européenne en 2004. Par le passé, tout ce que vous voulez, c'est de l'histoire passionnante, j'y souscris et je connais mieux que vous ne le pensez. Souhaitons à l'évidence que les nouveaux Länder allemands, plutôt luthériens, surclassent bien vite la Bavière, une fois la chape de plomb communiste relachée.
Mais rassurez vous je connais parfaitement les thèses que vous soutenez, et je pourrais vous citer de nombreux exemples qui vont exactement dans le sens de ce que vous dites.
Par exemple le riche canton de Vaud protestant écrasant du haut de ses sacs d'or, au début du XX-ième siècle, le rude Haut Doubs archi-catholique ; la 'pauvre' région catholique du Jura suisse (D'lémont, Porrentruy) à la même époque, obligée d'exporter sa main d'oeuvre vers l'industrieux pays de Montbéliard, luthérien depuis le XVI-ième siècle !!! Et pour terminer en 2004, la différence des fiches de paye entre Mouthe (Doubs) et Les Charbonnières (Vaud), séparées à la fois par la religion et par le Risoux des contrebandiers !!
Un autre débat historique que vous connaissez sans doute : la perte économique causée à la France par la Révocation de l'Édit de Nantes en 1685. Je vous conseille d'en discuter avec un réformé ou un luthérien français de stricte obédience. Vous serez surpris de sa réaction. Après avoir flétri la mémoire de Louis XIV comme il se doit, on vous répondra de façon très modérée et très protestante : certes, les Huguenots ont apporté bien du savoir-faire technique et industriel dans les Pays du Refuge, on les a bien reçus, voir la Huguenottenplatz à Erlangen, le Französischer Dom à Berlin, mais il faut analyser très finement et ne pas exagérer, en regard, la perte effective causée au riche royaume de France, non, il faut regarder de très près, et ne pas se laisser emporter par le ressentiment d'une communautauté alors persécutée abominablement.
En revanche, pour revenir à la photo, on peut relancer la discussion sur le nombre d'édifices religieux photographiables à la chambre qu'ont laissé d'un côté les catholiques, de l'autre les protestants en Europe. On ne fait démarrer la comparaison qu'aux édifices dont la constructon commence après la Confession d'Augsbourg en 1530
Selon le Chanoine Gaud, y'a pas photo, heureusement que la Réforme n'a pas « gangrené » toute l'Europe, sinon on en serait réduit à ne photographier que les cathédrales du Moyen-Âge, plus, horresco referens, des temples de style suédois vides et frigorifiants comme dans les films de Bergman. La Réforme, toujours selon le Chanoine Gaud, bien entendu, n'a absolument rien laissé d'intéressant sur le plan de l'architecture religieuse. Dame : on ne peut pas mettre à la fois ses sous dans la banque calviniste et l'industrie luthérienne tout en bâtissant de coûteuses églises baroques dorées à la feuille !!
(c'est vrai que les églises d'Allemagne du nord postérieures à 1530, et surtout le Französischer Dom de Berlin, n'ont absolument aucun intérêt architectural;-);-))
Enfin : pour terminer, Vincent, on lance un p'tit observatoire économique tous les deux. On regarde les Pays baltes. La très luthérienne Estonie. La très catholique Lithuanie. La très équilibrée (religieusement) Lettonie. Top Chrono : c'est parti, on regarde l'effet du 'boulet catholique économique' dans cinq ans le long de la Baltique et on en reparle.
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