Auteur: Jean-Louis Llech
Date: 11-08-2004 09:54
Nous travaillons probablement mieux avec un outil moins bon mais que nous aimons qu'avec un excellent outil avec lequel nous n'avons pas d'affinités.
Je crois que la photographie à la chambre est quelque part une oeuvre sensuelle. Nous pouvons utiliser des appareils autofocus, motorisés, légers, avec un système de mesure intégré spot multizones, affichant la totalité des informations dans un viseur très lumineux, avec des objectifs extrêmement perfectionnés.
Au lieu de çà, nous utilisons des appareils lourds, encombrants, avec peu ou pas d'automatismes.
Nous passons notre temps à contourner des limitations techniques, des contraintes innombrables.
Nous faisons une ou deux photos dans une journée.
Mais nous ne changerions pas ce matériel anachronique pour un empire. Le travail à la chambre correspond à une sorte de cérémonial, qui commence par l'installation du trépied, du matériel.
Nous avons une sorte d'affection pour cet assemblage de métal ou de bois, nous le connaissons, nous connaissons ses limites, que nous avons faites nôtres.
Autre élément important, nous savons comment cela se passe à l'intérieur.
Prenez un magnifique Canon EOS 1 V : magnifique appareil, doté de tous les automatismes nécessaires, équipé d'optiques haut de gamme.
Vous voulez travailler la profondeur de champ ? aucun problème : vous sélectionnez le programme correspondant, faite la mise au point sur le premier plan que vous voulez net, appui sur un bouton, puis sur l'arrière plan que vous voulez encore net : re-appui sur un bouton. Et la mise au point de votre photo sera entièrement maitrisée. Merci l'autofocus.
Mais cela passera par des cartes électroniques, des puces, des micro-moteurs, de la RAM etc... Nous sommes dépassés par cette technique, qui nous isole de la réalisation de la photo. La même chose en jouant finement sur les bascules, à travers un verre de visée plus ou moins clair, est beaucoup plus complexe, les résultats plus aléatoires, mais nous préférons cela.
Il y a de la sensualité à utiliser une chambre. Je parlais un jour de tomber amoureux de son matériel. Je ressens en effet vis à vis de ma chambre une affection, un attachement, que je ne ressentais pas pour un 24x36 tout automatique.
Je me suis fait "allumer" parce que je parlais de tomber amoureux. Mais le français est ainsi fait qu'il n'y a pas de mots différents pour "aimer sa femme" et "aimer la choucroute". Je n'y puis rien.
Quand j'ai reçu ma chambre d'Allemagne il y a quelques années, j'avais monté le trépied et la chambre dessus, et de temps en temps, je la regardais. Il est vrai que j'en avais révé pendant seize ans avant de pouvoir me l'offrir !
Depuis, je reconnais que si elle est montée dans un coin, posée sur une table, je la regarde comme je ne regardais pas mes autres appareils, (à part, peut-être, mon Rolleiflex).
L'utilisation d'une chambre est quelque chose de sensule, je le répète. La mise au point et le glissement doux du chariot sont autre chose que le ronronnement d'un autofocus. Les commandes sont peu nombreuses, tombent bien sous la main. La chambre est beaucoup plus le prolongement du bras et de l'oeil que le 35mm.
Je ne veux plus d'autofocus, d'automatismes. J'ai l'impression d'être un peu dépossédé de mon pouvoir de création.
Non, la technique n'est pas neutre, non, un appareil tout automatique ne permet pas de se concentrer sur l'essentiel, comme l'ont prétendu beaucoup de publicités.
Je prétends que le maniement de l'appareil photographique fait aussi partie de la création artistique, et concourt aussi à la réalisation d'une photo.
Alors, un outil, rien qu'un outil, oui. Mais si en plus il est beau, agréable à utiliser, à toucher, à manipuler, cela nous stimule. Nous essayons de photographier ce qui nous semble beau. Alors, pourquoi ne pas commencer par l'outil ?
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