Auteur: henri peyre
Date: 01-01-2003 10:18
C'est toujours intéressant ce moment (et cela nous est tous arrivé ou nous arrivera à tous... et même plusieurs fois !) où nous acceptons que la réalité, le monde que nous voyons autour de nous ne devienne qu'une abstraction, ou plutôt que nous acceptons que nous ne puissions voir de lui que le regard que nous en avons. C'est le regard du poète : "un seul être vous manque et tout est dépeuplé".
C'est vrai, c'est peu agréable, et on a souvent envie de revenir aux bonnes vieilles définitions : la photographie c'est ceci, la peinture c'est cela... Cela me fait penser aux accidents de la circulation. Cela arrive devant vous... un instant le monde bascule, les pires horreurs sont possibles, rien n'a de sens. Puis les premiers uniformes arrivent. C'est important l'uniforme, c'est l'éternité du sens. Un pompier, un policier, et tout reprend du sens. Vous imaginez qu'après un accident autre chose qu'un uniforme apparaisse pour organiser les premiers secours, un martien avec un seul cheveux vert, par exemple, qui parlerait une autre langue...comme une autre définition pour qualifier de sens quelque chose qui aurait perdu tout son sens. On aurait le sentiment d'une longue glissade dangereuse du sens.
En photographie on en est exactement là, probablement. Tout est possible et le moyen de la photographie numérique commence semble-t-il à s'affranchir de l'illusion de la capacité à reproduire de la réalité. Plus exactement, de plus en plus de photographes qui baignaient dans l'illusion du reportage objectif (elle-même entretenue par le mythe affaibli du photo-reporter) commencent à contester en eux le "droit" qu'ils se sentent de "témoigner" ou pas du réel. Affreux ce combat en soi-même ! Cette légitimité interne qui s'effrite.
Mais si notre regard n'est plus légitimé par une "tradition" interne, hérité de nos parents ou de notre histoire, une tradition qui veut nous faire croire que ce sens que nous donnons au réel est le dernier et que nous voyons vraiment ce qui est, de quoi va-t-il être constitué ?
Et bien ce n'est pas difficile de répondre à cette question : notre regard va être constitué de ce que nous désirons y mettre, c'est à dire ni plus ni moins que nos valeurs morales, ce à quoi nous voulons bien croire. Ce que nous décidons que la réalité doit être, pour nous. Nous ne changerons rien à la maladie et à la mort, mais nous les prendrons différemment. Ce n'est pas que nous n'en ferons plus un fromage, nous en ferons un autre fromage ! Notre, définitivement "notre" fromage.
Le critère de jugement d'une activité, quelle qu'elle puisse être est donc purement et simplement moral. Mais entendons bien ce mot de moral au sens le plus large. Chacun fait et juge avec ses propres valeurs. La question est surtout de savoir si chacun comprend comment il fonctionne !
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