Auteur: E. Bigler
Date: 09-03-2004 13:11
Le dernier numéro du "Monde 2" nous propose un article délectable qui pourrait s'intituler "Portrait officiel d'un ex-premier(-ière) ministre de la République Française". Dans le protocole, le Portrait Officiel du Président de la République Française est parfaitement codifié avec la ligne budgétaire ad hoc puisqu'il faut en équiper toutes les mairies, préfectures, etc... et maintenant cela pourrait être tous les cinq ans !! Mais quid du Premier Ministre ? À part la photo de groupe d'un nouveau gouvernement, je ne suis pas certain que la notion même de portrait officiel du Premier Ministre existe. Alors quand "Le Monde 2" invite six hommes et une femme à poser chez Harcourt en tant qu'ex-Premier(-ière) Ministre, on pourrait craindre, sachant la connotation terrible du terme "l'Ex" dans le Canard Enchaîné, qu'il y ait là quelque terrifiant chausse-trape photo-journalistique.
Rien de tout cela, au contraire, le ton de l'article est très finement diplomatique, il y a un jeu très remarquable entre le Respect et l'irrespect, la fonction officielle la plus sérieuse qui soit, opposées au témoignage personnel de l'homme ou de la femme qui occupa la fonction. Une grande leçon de photo humaniste, en quelque sorte, et qui rend si bien en noir et blanc !! Les grands serviteurs de la République Française se prêtent donc au jeu du portrait posé de très bonne grâce ("Mazette !! Chez Harcourt !! Y s'refusent rien") et livrent, au passage, quelques anectodes savoureuses tout en restant de bon ton.
Parmi les sept portraits très professionnels il y en a deux qui me plaisent particulièrement, et on me pardonnera d'être naïvement, au premier degré, admiratif devant le métier du studio Harcourt.
Le premier portrait est celui de M. Pierre Messmer, classique, strict sans être froid, lumière pas trop contrastée, impeccable. Bref tout ce qui sied au fidèle collaborateur du Général, celui qui fut Ministre de la Défense. On pense à la France de Tante Yvonne, aux ministres en rangs d'oignons aux conférences de presse officielles à l'Élysée ; seul Malraux pouvait se permettre d'avoir la mèche en bataille, mais c'était Malraux, et c'était le Géneral.
Le deuxième portrait épatant est celui de M. Raymond Barre. Là, la lumière est plus contrastée jusqu'à être un peu fantaisiste. Le photographe a saisi le Professeur les yeux mi-clos, comme si c'était pour blaguer, avec son consentement, sur les fameuses siestes pendant certaines séances barbantes à l'Assemblée. Mais un travail millimétrique sur la profondeur de champ nous montre, ultra-nets, en Haute Résolution, des yeux vifs et pétillants qui semblent nous dire malicieusement : « Je ne suis pas dupe, mais je me prête volontiers au jeu » !! Du grand art, on en redemande.
Techniquement, on ne s'attendra pas à avoir de détails ; tout au plus entre aperçoit-on en clair obscur un appareil qui pourrait être un gros reflex moyen format. On espère, vu l'aréopage à photographier, que le photographe a enlevé le prisme-redresseur pour pouvoir s'incliner au-dessus du capuchon avec respect devant son modèle, pour rappeler une fois de plus le mot de Robert Doisneau.
Nos lecteurs québécois, belges ou suisses pourraient être tentés de faire la fine bouche et de ne voir dans cet article qu'une arrogante auto-célébration très parisienne : il n'en est rien, bien au contraire, lisez le texte, il vous plaira. Mais, évidemment, le lecteur suisse dira avec un fin sourire "Un Premier Ministre ? Qu'entendez-vous par là ? Nous avons des ministres, certes, mais un Premier Ministre ? Quelle drôle d'idée ! Pourquoi pas, pendant que vous y êtes, un Président dont la durée de mandat serait notablement plus longue qu'une seule année civile !!"
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