Auteur: Marc Genevrier
Date: 12-11-2002 16:06
François, votre message m'aide un peu à répondre à Philippe.
C'est vrai qu'en grand format, la technique est plus rude et plus présente qu'en 24x36 ou avec un instamatic. C'est peut-être pour cela qu'il paraît difficile de réaliser des images plus spontanées, si tant est que cette spontanéité est nécessaire pour retranscrire dans une image l'émotion d'un instant, d'un coup d'oeil, bref, d'une rencontre souvent furtive. Trop de technique tue l'art, en somme... C'est pour cela que j'aime un matériel plus léger, une chambre qui s'installe très rapidement, pour être encore capable de réagir sous le coup de l'émotion, pas seulement d'utiliser avec dextérité un instrument de géomètre ou d'arpenteur.
François, je crois que cette difficulté explique aussi pourquoi nous parlons beaucoup de technique, et nous regardons souvent nos tirages d'abord sous cet angle. Les contraintes sont énormes, donc ça paraît presque miraculeux que ça ait vraiment marché. Ou bien, pourquoi est-ce que ça n'a pas vraiment marché ? Quel chouilla manque-t-il encore pour parvenir à nos fins ? Pour certains, le GF, c'est aussi le moyen de donner corps à une image qu'ils ont en tête plutôt que de glâner des images autour d'eux. Pourquoi pas ? Mais c'est aussi une composante de ce perfectionnisme : difficile de trouver l'adéquation parfaite entre une vision mentale et une image papier.
A l'inverse, prenez un 35 mm sur un 24x36 et shootez presque à l'aveuglette, vous êtes quasiment assuré de moisonner quelques images intéressantes, des images qui auraient plu à Barthes pour peu qu'il y ait du flou, du fugitif, de l'instant, parce qu'elles soulignent beaucoup le sentiment de perte, de fragilité, de souvenir. Barthes a beaucoup de mérites, mais la réflexion photographique ne s'arrête pas à La Chambre Claire (sans doute la fierté nationale française a-t-elle un peu débordé de nos frontières, Philippe... ?). Ce qui me gêne dans son analyse, c'est qu'il considère un peu que tout est dans le sujet. Or tout résulte à mon sens d'une rencontre entre le photographe et son sujet. François Soulages, dans "Esthétique de la Photographie", propose de remplacer le "ça a été" par un "ça a été joué". Je ne peux que renvoyer à la lecture de cet ouvrage pour lire son analyse, passionnante, et qui aide à sortir de ce qui peut être une impasse, une sorte de blocage : à quoi bon photographier si toutes les images disent la même chose, à savoir la perte de la maman ?
Je crois que le GF n'est pas condamné pour autant à fabriquer des images froides, analytiques, qui ne convaincraient que par leur perfection technique. Ce serait peut-être le reproche que je ferais parfois à l'école allemande, où la résolution devient presque envahissante. Par opposition, et pour revenir au sujet initial de la discussion, je citerais volontiers Jean-Louis Garnell, qui travaille en 4x5, mais chez qui le formel ne prend jamais le dessus sur le sens de l'instant ou de la durée. http://www.jeanlouisgarnell.net/
Enfin, à tout seigneur tout honneur, Henri Peyre nous a montré ce week-end à Vienne deux images qu'il avait amené pour illustrer une comparaison entre les possibilités techniques du 6x6 et du 4x5. C'était d'excellentes images, qui auraient sans doute plu à Barthes, et que j'ai savouré pour cette qualité-là, en oubliant totalement leur dimension technique. Voilà pour répondre à la question de François, dans le cas où je suis spectateur. En tant qu'auteur, oui, j'ai aussi des images GF dont je suis satisfait en tant qu'image et dont j'ai oublié les conditions techniques de prise de vue. Elles sont peut-être moins nombreuses que lorsque je promenais mon Leica M dans les rues d'Allemagne, j'ai encore des progrès à faire, mais j'ai plutôt l'impression que le passage au moyen et au grand format a élargi mes possibilités d'expression, alors que j'avais fini par ne plus faire et re-faire somme toute que la même image en 24x36.
Marc
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