Auteur: Palette
Date: 24-12-2003 04:56
Bonjour,
A propos de Sugimoto, voici un lien en anglais (entretien assez concis mais intéressant):
http://www.eyestorm.com/feature/ED2n_article.asp?article_id=135&artist_id=13
Pour ce qui concerne la question initiale, j'ai envie d'essayer de répondre un peu à Nico et pierre, malgré mon inexpérience de photographe amateur débutant.
Je ne connais pas tous les artistes cités dans le fil, mais j'aimerais parler de Sugimoto qui synthétise assez bien ce que je peux ressentir devant des auteurs contemporains (et pas seulement en photo, ni même seulement en arts graphiques)
D'abord, je dois dire que je suis fasciné et touché par les vues de mers, par certaines autres photographies, mais assez sceptique devant le concept des "écrans".
Pour dire d'entrée ce qui me gêne dans ces concepts c'est qu'une fois le concept trouvé, mis en oeuvre et concrétisé ("rendu visible" comme dit Sugimoto), il perd selon moi beaucoup de sa "créativité", en tous cas de son intérêt!
Bien sûr, il faut la technique, la détermination pour reproduire infatigablement une idée initiale, l' "art "de vendre cette idée aussi, pourquoi pas? Cela demande des qualités... Mais...
Ensuite, si j'ai bien compris le propos de Sugimoto, son usage de la chambre est dû au souci du détail, du rendu exigé (?) par son concept.
La conséquence en est aussi des images de "qualité" qui retiennent (au sens fort) l'attention du spectateur.
La qualité visuelle obtenue ainsi (et également par le choix par exemple de cinémas "coquets") semble dans sa bouche un artifice, un surplus inutile mais pourtant peut-être indissociable de sa réussite, comme si le concept et sa matérialisation étaient encore les seules choses essentielle, le reste (en particulier l'écho pur de l'image au coeur du spectateur) n'étant que scories...
D'ailleurs il soutient apparemment qu'une vraie démarche artistique pourrait (devrait?) reposer sur de faibles critères esthétiques.
En schématisant, et à en croire les artistes parfois, la créativité contemporaine pourrait reposer sur un concept (né dans la pensée de l'auteur) rendu visible par les moyens d'un outil (et la haute résolution offre alors des possibilités spécifiques de rendu, de contrôle, de taille etc., comme dans le cas de Sugimoto, pour illustrer, appuyer ou traduire le concept).
Le traitement du concept en séries amplifie encore cet aspect totalitaire de l'idée régnant bien au-dessus de la trace qui n'en est qu'un avatar... On ne communiquerait alors au spectateur qu'idées sèches, surprises, malaises et autres vertigineuses mises en abyme à travers une oeuvre réduite aux fonctions d'interface, de cartouche...
Si l'art se réduisait à cela, pourquoi parler encore de créativité ? Le déroulement d'un concept me semble bien Paresseux, confortable, mort, aux antipodes de ce que m'évoque la créativité, la vie intellectuelle ou artistique.
Bon, nuançons un peu... Sugimoto explique dans l'entretien ci-dessus qu'il est lui-même surpris de prendre autant de plaisir à réaliser des séries de vues de mer des années après le commencement. Les différences subtiles qu'il perçoit peu à peu... Comment il en est venu à faire des vues de nuit...
J'aime ce vocabulaire du plaisir. Cela me rappelle une déclaration de Takeshi Kitano (cinéaste de Hana Bi, de Sonatine et du sublime "A scene at the sea"!) qui disait tourner beaucoup de scènes de plage tout simplement parce qu'il aime passer du temps au bord de la mer... Boutade? pas seulement?
(Cela rejoindrait aussi la délectation de l'usage de la chambre évoquée par Henri Gaud, à laquelle je souscris volontiers!)
Hors sujet tout cela? Pas sûr.
J'aime voir la recherche photographique comme le jeu d'un enfant.
Jeu infiniment sérieux. Jeu de vie et de mort, de détresse et de grâce.
J'aime imaginer le photographe comme un chercheur qui part toujours d'un sujet, d'une idée, qui joue avec son modèle, son outil, des instants, et puis qui toujours regarde son tirage, son ekta, son image et qui dit: "non, cela ne convient pas" ou "oui, ça va peut-être... il y a quelque chose" (voire "Youpiii!" mais bon cela dure rarement longtemps... :))
Alors pourquoi les vues de Sugimoto sont-elles si belles Malgré (ou un peu Avec quand même) leur côté conceptuel? Pourquoi nous touchent-elles?
(Pourquoi sommes-nous renversés par les surréalistes et juste intrigués par Dada? Pourquoi adorons-nous Bach et admirons-nous John Cage? Pourquoi Picasso est-il si universellement reconnu?)
Je n'ai pas l'audace ni la prétention de répondre à votre place; mais je crois que pour moi, le "contenu" finalement visible, transparent, sera toujours plus vivant que le concept, l'idée... Le sentiment dégagé par les vues de Sugimoto, dues à sa sensibilité, à ce qu'il a choisi, écarté, préféré (peut-être strictement pour illustrer son concept, mais sans doute parce qu'il l'a dépassé, qu'il a laissé parler quelque chose dans ses images, une sensation de l'intemporel et de l'infini au-delà d'une idée?) me les rendent touchantes, fascinantes, inoubliables (à l'intérieur de ma compréhension, de ma culture, certes, mais ça c'est une évidence...)
Elles sont belles tout simplement.
J'aimerais finir sur un autre exemple, encore cinématographique, celui de Dogma et de Lars Von Trier. Dogma était un projet visant à supprimer les artifices du cinéma contemporain en revenant à une ascèse, une sobriété dans la mise en scène (caméra à l'épaule, choix de pellicule, son live seulement...) et dans le scénario... Cela aurait pu être mortellement ennuyeux et anti-créatif... Cela aurait pu être seulement "Très intéressant et révolutionnaire"... Cela a été fertile et sublime amenant Les Idiots, Festen et moins rigoureusement Dancer in the Dark ou Dogville...
Plus près du sujet: je suis venu au GF en partie pour la netteté mais on y découvre bien d'autres choses: les polaroïds qui peuvent faire des images à part entière, certains flous et leur contrôle, les possibilités de recadrage à l'infini sous l'agrandisseur, et mille autres possibilités sans doute que je n'ai pas encore découvertes ou que je suis bien loin de maîtriser et... oui Henri, beaucoup de plaisir à l'usage...
Et vraiment si le plaisir ne stimule pas la créativité, alors...??
Pierre S.
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