Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 07-10-2003 12:38
J'ouvre une autre discussion pour tenter d'apporter des éléments de réponse à Olivier A., suite à son interrogation concernant, au départ, des optiques particulières :
n-f-16657.html
Olivier nous dit :
Mais est ce que le piqué d'une telle optique dépend du contraste ? Personnellement j'aime les optiques moins contrastées mais avec un excellent piqué !!! Est ce que cela existe !!!!? (quelle naïveté) Peut-on dire par exemple d'une optique qu'elle est moins contrastée qu'une autre mais qu'elle est plus piquée ?
Olivier, comme vous l'aurez remarqué, sur le forum de galerie-photo on adore les questions prétendues naïves et on y répond sans broncher...
Tout d'abord on peut remarquer que les notions de « piqué » et de « contraste » sont censées être « bien connues » et très utilisées par les photographes, mais qu'il n'est pas forcément facile de mettre en face des quantités mesurables dont la définition soit assez universellement acceptée pour que les discussions deviennent parfaitement apaisées et les plus "objectives" possibles ;-)
Une situation analogue existe dans les rapports entre la musique et l'acoustique physique. Pardonnez cette digression, mais elle éclaire assez bien nos débats arts/science/technique en photographie haute résolution et grand format.
Tous les musiciens savent ce que « hauteur » d'un son et « timbre » d'un instrument signifient, mais lorsqu'il faut mettre des chiffres en face, le physicien doit élaborer des outils de plus en plus complexes. Au premier r'abord, on peut penser associer sans ambiguïté la notion de « hauteur » d'un son à sa fréquence, donc mesurable au fréquencemètre avec une précision extrême ; de l'autre on associerait la notion de « timbre » au contenu en harmoniques du son entendu. De fait, au deuxième r'abord, il faut creuser plus qu'un petit peu, et je recommande à ce sujet la lecture de l'excellent livre d' Émile Leipp « Acoustique et Musique » (Masson, 1984, 4ème édition) qui nous explique, entre autres, quelques facéties d'acousticien, par exemple celle consistant à « gommer » systématiquement toutes les 'attaques' dans un enregistrement de piano : bien qu'en apparence la hauteur n'ait pas changé et que le contenu en harmonique semble, à grand tort, peu affecté par cette opération sacrilège,
l'enregistrement ainsi traité se transforme en son d'accordéon, pour le plus grand bonheur de ceux qui préfèrent, en sortant de leur tournée habituelle au Boulevard B..., continuer rue de Lappe plutôt que salle Pleyel ;-);-)
En ce qui concerne le piqué et le contraste, les deux notions photographiques sont liées et difficiles à démêler. Écartons d'emblée la contribution du détecteur, film ou silicium, ce qui est peut-être le point le plus faible de cette discussion, car il est bien difficile, me semble-t-il, d'imputer à l'objectif seul tous les défauts de "piqué et contraste" dans l'image diapo ou tirage lors de l'examen final. Essayons de voir quelle peut être la contribution de l'objectif seul à ces deux notions.
Il faut distinguer le contraste de luminances entre grandes plages indépendamment de leur texture et de leurs détails, du contraste dans le rendu des fins détails, les fameuses 'petites grilles'. Certains parlent de 'micro-contraste' je ne suis pas certain de bien comprendre de quelle notion il s'agit, peu importe pour l'instant.
Le contraste entre grandes plages, c'est celui qu'on peut peut mesurer avec un posemètre à angle réduit, même si cet angle n'est qu'un modeste 15 degrés (il suffit de se rapprocher du sujet ;-);-).
Si l'objectif ne créait pas lui-même de lumière diffuse (par réflexions parasites, bulles dans les verres, qui donnent ensuite des rayons qui rebondissent dans les lentilles puis dans le soufflet, etc...) ce contraste entre grandes plages serait le même pour toutes les optiques. Même en présence d'un défaut de mise au point, terrible défaut "contrastophage" s'il en est pour les fins détails : nous parlons ici de grandes plages, qui ne sont pas affectées dans les rapports de luminance de leurs pseudo-images défocalisées.
Le fait qu'il peut y avoir de la lumière parasite créée dans l'objectif lui-même ou des réflexions parasites dans la chambre est une source première d'abaissement du contraste pour le rendu des grandes plages. En noir et blanc, un apport de lumière parasite distribuée de façon presque homogène sur le champ --on exclura la présence d'une image parasite de type 'sténopé' produite par un petit trou d'épingle dans le soufflet-- induit une montée de voile ce qui rend, a priori, les ombres grisâtres et réduit le contraste.
En couleur (je ne parlerai que de diapos pour ne pas faire intervenir une complexe chaîne de tirage) cela se traduit par les mêmes effets sur les ombres, mais c'est la dé-saturation des couleurs vives par apport de "blanc" parasite qui est sans doute l'effet le plus visible. Là on parlera donc plus de saturation que de contraste et la cause est bien identifiée. À ce sujet Henri Gaud, une fois n'est pas coutume, emploie un mot anglo-saxon (qu'il semble parfaitement comprendre néanmoins ;-);-) auquel je préfère tout simplement les notions bien francophones de lumière parasite, de lumière diffusée, de voile sur le film.
D'où la recommandation d'utiliser de préférence des objectifs modernes traités multi-couches, si possible de mettre un pare-soleil réglé en compendium le plus finement possible, et d'éviter les soufflets dont l'intérieur a été fraîchement repeint en blanc brillant ;-);-)
Olivier, si vous m'avez suivi jusqu'ici, je vous entends déjà protester : non cela n'est pas mon problème, je veux considérer le contraste et le piqué « intrinsèques » d'une optique, je ne veux plus entendre parler d'effets parasites ou de lumière diffuse. Dont acte.
L'autre question est donc celle du « piqué » et du « micro-contraste». En face de ces notions, pour ne prendre en compte que la contribution de l'objectif, on peut dire que la notion chiffrable de Fonction de Transfert de Modulation (FTM) est bien établie et assez incontestable. Néanmoins, un banc FTM ne regarde pas une image comme l'oeil le fait ; de plus les notions de piqué/contraste de l'image vont dépendre du grossissement avec lequel on scrute l'image. Idéalement pour s'affranchir de la contribution du détecteur, il faudrait observer l'image aérienne en dehors de tout dépoli, de toute lentille de Fresnel et de tout détecteur d'images. C'est bien difficile.
On peut imaginer un objectif A qui aurait une courbe FTM "d'enfer" limitée par la seule diffraction pour les fréquences spatiales de 0 à 40 pl/mm, ce qui le rendrait admirable aux yeux des lecteurs des fiches techniques de chez Z... qui s'arrêtent justement à 40 pl/mm. Radin, le constructeur malicieux aurait demandé à ses ingénieurs de laisser tomber tout ce qui dépasse les 40 pl/mm, parce que ce serait "finalement bien assez bon pour les gens qu'cest", et que, de même qu'on ne va pas tracer des boucles de ski de fond de 40 km pour trois clampins qui tournent à septante kilomètres en 3h1/2 (y n'ont qu'à faire quatre tours sur la familiale, çà coûte moins cher en gasoil de la chenillette et en salaire du dameur), de même au-delà de 40 pl/mm les gars ne voient plus rien alors on laisse comme cela.
Un autre constructeur proposerait une optique B fort honnête où on aurait à coeur de garder du contraste jusqu'à 150 pl/mm mais où dès 20pl/mm on tomberait pas loin d'une valeur de plateau quasi constante entre 30 et 80 pl/mm, pour chuter ensuite à zéro à 150 pl/mm.
Eh bien, sans discussion, c'est l'optique A qui gagnerait à l'inspection visuelle. De fait une optique telle que l'optique A ne me semble pas exister, du moins pas dans une description aussi caricaturale, évidemment. Le cas de l'optique B est plus proche de celui d'une optique ancienne qui conserverait un résidu d'aberrations se traduisant par une chute de contraste FTM assez rapide dès les fréquences visuellement importantes de 10, 20 pl/mm.
Le livre de Leslie Stroebel donne une illustration convaincante de cette comparaison A/B entre deux optiques servant à prendre une macro photo d'une carte à jouer. Sur l'optique A l'image est bien contrastée et apparaît finalement assez nette, alors que l'optique B semble donner une image "avachie" alors que la fine trame de photogravure qui disparaît avec l'optique A reste bien visible sur l'optique B.
En conclusion. Pour deux optiques modernes traitées multi-couches et pour lesquelles on est bien certain de ne pas être influencé par le film ou le silicium utilisé, si on exclut les effets de lumière parasite ou diffusée, ce qui est loin d'être négligeable en pratique, il ne reste que de fines variations des courbes FTM dans les fréquences de 10, 20 et 40 visuellement intéressantes sur des agrandissements pas trop géants. Entre deux combinaisons optiques exactement identiques comme un planar 2,8 de 80 ancien et le même traité extra-super-multi-coated-top-zustand-hochwertig-mehrsichtvergütung, j'aurais envie de dire que le piqué sera le même pour des photos peu exigeantes par rapport à la lumière parasite. En revanche en contre jour ou en studio de publicité avec des fonds blancs et des flashes partout, celui qui est traité "moderne" l'emportera sans discussion. Plus de contraste : certes, tel sera le verdict. Mais plus de piqué ???
Rappelons qu'une courbe FTM est par hypothèse renormalisée sans tenir compte d'une éventuelle lumière parasite à fréquence spatiale nulle (ç.à.d. un grand aplat de lumière parasite sans structure).
Ceci ne veut pas dire que les notions de « piqué » et de « contraste » d'un objectif telles que les photographes les emploient ne soient reliées qu'à la lumière parasite intrinsèque à l'optique ou à la courbe FTM. Et surtout si votre interlocuteur est un pro qui depuis des décennies suit le progrès des optiques de chambre et a conservé quelques clients qui ne se contentent pas d'une image 24x36 argentique à l'ancienne.
Si vous discutez avec un violoniste, il vous parlera pendant de longues heures des qualités et des défauts des différents violons avec son langage à lui, il n'est pas certain qu'on puisse modéliser même aujourd'hui tout ce qui fait la supériorité d'un Stradivarius par rapport à un violon "ordinaire". Les optiques de chambre de haute performance me semblent néanmoins un domaine où les créateurs maîtrisent plus de paramètres physiques et de simulations précises et réalistes que le célèbre luthier de Crémone en son temps. Cela vaut donc la peine, me semble-t-il, de regarder les quelques courbes qui nous sont soumises, même si rien, en fait, ne remplace la diapositive 20x25 à la table lumineuse (avec Chablis pas trop loin, mais pas le verre directement sur les diapos, SVP).
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