Auteur: E. Bigler
Date: 04-09-2003 10:20
Un amateur qui s'intéresse aux chambres photographiques grand format n'est, me
semble-t-il, pas soumis aux contraintes économiques d'un professionnel qui doit
vendre des images et qui a un coût horaire chargé et environné à facturer au
client. C'est me semble-t-il dans ce sens qu'il faut peut-être comprendre
l'aspect 'irrationnel' dont parle Henri Gaud.
On voit d'ailleurs que pour le professionnel, le prix d'achat d'une chambre
n'est sans doute plus en 2003 ce qui en restreint l'usage, mais plutôt le fait
que pour un travail donné et si le client est content, la productivité avec
d'autres appareils plus rapides en particulier les 24x36 numériques haut de
gamme est tellement supérieure que le bilan en termes de coût horaire est vite
fait. Signalons d'ailleurs que le prix des consommables et du labo pour un
professionnel qui tourne à 400 rollfilms ou quelques centaines de plan-films par
an pousse bien évidemment vers la détecion numérique directe des images, selon
le type de travail effectué, surtout si la destination finale est l'édition ; ce
point a été clairement posé par Henri Gaud qui sait de quoi il parle.
Partons donc de l'hypothèse que l'amateur ne se souciera pas de ce taux horaire,
mais qu'il sera plus effrayé par le prix d'achat du matériel et le prix des
consommables. Sous ces hypothèses, la pratique de la chambre photographique
grand format par un amateur ne me semble pas plus irrationnelle que la pratique
de nombreux loisirs créatifs, comme on dit maintenant ; je dirais plutôt, la
pratique des travaux manuels pendant ses loisirs. J'habite une région où le
travail du bois et la fascination exercée par les machines à bois sur les
amateurs sont une donnée première de la vie quotidienne. La justification des
beaux meubles faits maison est sans doute plus facile à faire vis à vis de sa
famille que ne l'est la pratique de la photo grand format ; mais vu le prix des
machines à bois sérieuses, et vu le prix du bois d'ébénisterie, même acheté
directement à la scierie et séché avec amour dans son cabanon de jardin à raison
du centimètre nominal en épaisseur par an (certains congèlent l'Agfapan 25, la
démarche est la même), ces travaux manuels-là me semblent beaucoup plus
consommateurs de temps et d'argent que la pratique modérée de la chambre
photographique par l'amateur.
En ce qui concerne les argumentaires techniques en faveur des chambres, il y a
bien entendu la qualité de l'image. Il y a aussi les possiblités de bascules et
de décentrement qui existent sur certains objectifs de petite et de moyen
format, mais que la chambre offre avec infiment plus de souplesse et
d'amplitude. Il y a un point très technique sur le compromis
performance/prix/poids inégalé des objectifs de chambre, surtout les grands
angulaires comparés aux lourdes et onéreuses formules optiques asymétriques
"rétrofocus" utilisées dans les appareils reflex moyen format à miroir mobile.
On peut privilégier l'un ou l'autre aspect. On peut arguer que les verticales
peuvent être redressées par traitement numérique a posteriori. Pour l'amateur la
numérisation d'un plan film 9x12-4"x5" à l'aide d'un appareil de bureau à prix
abordable fournit sur imprimante à jet d'encre des résultats époustouflants.
Personnellement, ce que j'aime beaucoup en plus des arguments techniques
présentés ci-dessus et que j'apprécie au plus haut point, en particulier
l'excellence des optiques de chambre et la finesse des détails sur les images,
la richesse des demi-teintes, c'est ce côté d'activité essentiellement
manuelle. Comme faire un tiroir assemblé à queue d'aronde. L'amateur de
belle ébénisterie faite main restera insensible si un professionnel lui vante
les fraises profil/contre-profil comme étant un progrès par rapport au
tarabiscot et au ravancement d'onglet « vous vous rendez compte, le temps que
vous allez y passer au tarabiscot ! vous êtes fou ; moi j'utilise les fraises
profil/contre-profil depuis 20 ans, aucun client ne voit la différence ». Vous
répondrez que vous, vous voyez bien la différence entre les moulures
d'autrefois, ce côté si nerveux, si raffiné et un peu imparfait des moulures
faites au tarabiscot, en particulier le si difficile ajustement du ravancement
d'onglet qui finit toujours par "bâiller" un peu avec le temps, et que vous ne
supportez plus les moulures standard "avachies" que donne la technique du
profil/ contre-profil. Et que vous ne vous souciez pas du temps passé, un point
c'est tout, mais que vous comprenez très bien les contraintes économiques de
l'artisan, que vous ne voulez certainement pas qu'il soit mis au chômage, que
peut-être même un jour vous lui achèterez un meuble sculpté, car la sculpture
dépasse vos compétences, mais que pour l'instant vous en restez à l'outil à main
d'autrefois. Ou éventuellement à la défonceuse portative « parce que vous avez
vu cela en Amérique du Nord et que cela a l'air d'être un bon outil, beaucoup
moins cher là-bas, du coup vous ne voulez utiliser que des fraises dont les
diamètres de pinces sont exprimés en pouces » ;-);-). Signalons que les
québécois appellent aussi "toupie" ce qu'on appelle "défonceuse " de ce côté-ci
de l'Atlantique. Ceci nous ramenant d'ailleurs vers ceux comme François Croizet
qui construisent eux-mêmes leur propre chambre grand format en bois : on peut
combiner les deux loisirs !!!
De la même façon, on peut avoir plaisir à utiliser une chambre photographique
rustique, comme celles d'autrefois, avec son voile de visée ; mais on peut aussi
apprécier le confort, la finesse et la précision des réglages de cette chambre
monorail métallique de fabrication européenne réputée que vous avez rachetée
récemment à un professionnel "qui passe au numérique" mais qui est très content
de remettre ce qui fut son outil de travail entre bonnes mains.
Pour moi tout cela fait partie de l'agrément de la chambre photographique. Et
nous n'avons pas parlé de l'aspect comtemplatif, le posage du pied-photo devant
l'abbaye de Solesmes dont l'image se forme sur le grand dépoli, etc....
Bonne réflexion et bonnes photos.
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