Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 17-01-2006 17:44
Comment alors comprendre la motivation réelle d'un photographe à utiliser un outil, ou une technologie, plutôt qu'une autre ? S'agit-il finalement, d'une réalité économique ou est-ce selon le goût et les habitudes de chacun ?
Il y a tout d'abord les réalités économiques exprimées en termes de temps de travail. Henri Gaud qui connaît bien le monde de l'édition le dit et le redit, toute image imprimée dans un livre, une revue, un journal, ... l'est aujourd'hui à partir d'un fichier numérique.
Mettons donc cela de côté, ce qui n'est pas rien et regardons l'aspect artisanal du travail.
Les progrès de la technique photographique tendent à éloigner la main de l'artiste et son habileté de la fabrication de l'image finale. On peut penser que c'est un bien dans le monde industriel moderne où le robot est censé éviter toutes les erreurs humaines.
La prise de vue numérique directe fait simplement un pas de plus dans la mise hors-course de l'habileté manuelle du photographe. Plus besoin de posemètre indépendant, une lecture d'histogramme suffit.
Plus besoin, pense-t-on, de s'embêter à régler sur le terrain, on prend tout ce qui tombe, on retouche après. Mais on fait tout de même cela manuellement !
Il y a aussi l'idée de dématérialisation des images et de leurs supports. Ou plutôt, le fait que l'image n'est plus humainement perceptible sauf dans un viseur ou tout à la fin sur écran. Dans la photo traditionnelle, la vision de l'image est directe. Vision directe sur le dépoli, vision de l'image qui se forme sur le négatif si on peut développer par inspection, vision directe de l'image à l'agrandisseur, vision directe des épreuves en photochimie traditionnelle. Sur ce point le tirage-contact a quelque chose de magique.
Tout au contraire on mesurera le degré de dématérialisation que représente la photo numérique d'amateur sur un appareil sans viseur, dès le départ l'image est un fantôme sur un écran, et entre cette vision pas très confortable (pour les presbytes ;-) et le tirage final, rien, absolument rien. Pour certains c'est un progrès ! on ne s'embête plus avec... etc, etc...
Le triste format APS proposait comme un progrès que l'amateur ne voie même plus son négatif !
Pour moi il est donc clair que le photographe-artisan-manuel, disons photographe d'art pour faire court et susciter des discussions, trouve un certain intérêt à ce que son oeil et sa main interviennent directement de bout en bout : de la prise de vue au montage final des épreuves pour l'exposition. Mais cela a un coût... au prix des heures « chargées-environnées », prenez le barème que vous voulez, j'aime bien prendre le barème des réparations dans les grands garages, c'est assez parlant pour ce qui est du travail manuel spécialisé ;-)
Sur ce point un photographe de paysage comme Ansel Adams représente une espèce de modèle qu'on aime bien ici, montagnard qui porte son matériel sur son dos, qui charge ses châssis, qui contemple et rêve devant les Temples Naturels de l'Amérique du Nord, qui développe ses films à la maison, et qui tire manuellement lui-même.
Comme Saint Ansel nous a quitté avant que la révolution de l'image sur silicium n'atteigne le degré de qualité d'aujourd'hui, inutile d'espérer le faire témoigner.
Mais on est libre de rêver au modèle qu'on veut.
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