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 La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: robert colognoli 
Date:   29-10-2005 11:12

Merci à tous ceux qui ont apporté un commentaire le mois dernier.

A propos de « la phrase du mois » de juin 2005 et de celle du mois dernier, la discussion est allée se promener vers la pratique de la photo sur un engin en mouvement.
C’est loin, ou à l’opposé, de la photographie à la chambre, sur pied avec tout son rituel…
Peut-être un peu hors sujet pour les pratiquants du grand format?
Mais pas forcément inintéressant à discuter.
Des photographes ont utilisé ce procédé ou en ont parlé…

Walker Evans, qui utilisait la chambre grand format, a fait une expérience éloignée du rituel d’installation et de cadrage classique à la chambre grand format, dans ses « vues du train », où il déclenchait l’appareil sans viser pendant la marche du train.
« …le déclenchement aléatoire, le déclenchement le plus automatique et impersonnel possible permis par le dispositif photographique, pour obtenir la quintessence de ce qu’Evans continue d’appeler « le document brut », fidèle à la terminologie de son temps, et qu’il accepte de voir baptiser « le quotidien art ».
Walker Evans – La soif du regard.
Gilles Mora et John T. Hill.
Seuil – Close up – L’œuvre photographique, octobre 2004.
ISBN 2.02.068647.3


Stephen shore, qui n’a pas précisément utilisé ce procédé mais qui dit avoir découvert les paysages d’Amérique à travers le cadre de la fenêtre passager de l’automobile au cours de son premier voyage hors de sa ville.
« Until I was twenty-three, I lived mostly in a few square miles in Manhattan. In 1972, I set out with a friend for Amarillo, Texas. I didn’t drive, so my first view of America was framed by the passenger’s window. It was a shock.”
Stephen Shore – 1982.
http://seesawmagazine.com/shore_pages/shore_interview.html


Eric Rondepierre, à propos de la série (Stances, 1996/1998), sur ce que l’on voit des fenêtres de couloirs de trains, nous incite à prendre en quelque sorte sa place et à partager une expérience singulière de la vue.
« Un homme qui voyage souvent par le train sait ce qui se passe entre le paysage qui défile par une fenêtre du couloir et son propre regard. Une apparition-disparition permanente, une désidentification des arbres, des paysages, et même des maisons, des villages, trop vite aperçus, sauf, mais rarement, un monument lointain, ou à l’approche ralentie d’une gare. Presque tout ce que voit le voyageur du train, debout et immobile dans son couloir, lui échappe.
Mais c’est dans cette échappée du réel que réside la fascination. Moins le voyageur reconnaît les choses, plus ça va vite, plus il est attentif – mais à quoi ? A la disparition même ?
Mais si ce voyageur est photographe, ayant acquis la connaissance du réel à travers différentes expériences photographiques, tout change. Le voyageur-photographe du train va tenter de fixer ce qui, précisément, disparaît. Ses photos ne reflètent pas seulement du « bougé », elles accumulent le temps qui passe. Elles font corps avec ce temps, le sauvent de l’amnésie et s’introduisent efficacement dans la mémoire. Des fuites d’images, des évanescences, des lambeaux de paysages se changent en images durables, des évanescences en icônes. Le cadre de la fenêtre ne débouche plus sur du néant mais sur de l’être. L’appareil photographique a arrêté le processus de désagrégation du monde par la vitesse : une autre vision du temps en surgit. »

Editions Leo Scheer – 2003.
ISBN 2-914172-97-4
Eric Rondepierre, visionneur – texte de Alain Jouffroy.



Bernard Plossu : «J’ai tourné des images il y a deux ans avec une caméra 8/mm, pendant un voyage en train entre La Ciotat et Lyon. Au départ j’ai filmé, j’ai fait des photos aussi, et puis à un moment donné je me suis amusé avec les deux appareils. C'est-à-dire que j’ai placé le viseur de la caméra derrière le viseur du Nikkormat… Avec ce film…, je crois qu’il y a quelque chose de bien à faire, c’est d’en tirer des photogrammes.»
« Le train a en effet constitué pour les photographes, dès les années 1840, non seulement un vecteur de déplacement, mais un appareil de vision à part entière.
Les véhicules sont comme des appareils-jouets, à une échelle différente, bien évidemment, à la fois réceptacles et moteurs d’une perception fugitive. »

Les Pratiques Pauvres – du sténopé au téléphone mobile.
Jean-Marie Baldner et Yannick Vigouroux.
Isthme Editions – Pôle Photo.
Février 2005. ISBN 2 912688 47 7

A propos des trajets en autobus : « C’était un aquarium. L’on était dedans. Mais le spectacle était dehors. De l’aquarium, on assistait au spectacle ».
Gil Jouanard/Bernard Plossu, « Marseille en autobus » -
Anatolia Editions – 1996
ISBN2-909848-33-7

Hervé Guibert, « L’autobus me semble une grosse machine photographique, un pied miraculeux où l’on fixerait un appareil imaginaire, un pied tournant et dynamique. La vitre, qui découpe une succession d’extérieurs, est un cadre tout tracé. Le feu rouge, qui arrête la machine, comme le déclic. L’autobus imprime une mobilité photographique que ne pourrait donner ni la marche, trop lente et laborieuse (combien faut-il de kilomètres pour attraper une bonne photo?), ni la voiture, trop rapide et trop basse : il y a aussi que l’autobus surplombe un peu tous les encombrements, et dégage la vue comme le menthol dégage les sinus : il est à la fois travelling, grue, panoramique… L’autobus saisit en un clin d’œil une multitude de corps, de visages, de mouvements et d’attitudes. Il est comme un gros œil de mouche, un œil à facettes, un œil rotatif si l’on imagine que chaque facette de l’œil de l’insecte détermine une vision distincte. Il est génialement voyeur parce qu’on y voit sans se faire voir : les gens dans le rue ne prennent pas garde aux autobus comme aux autres passants, ils ne cherchent pas à voir à l’intérieur, et d’ailleurs, avant la nuit, contrairement à une terrasse de café, ils sont beaucoup plus sombres que la rue. C’est une machine photographique double, en ce qu’à l’intérieur, dans cette demi-obscurité (mais rien de meilleur qu’un double éclairage de côté), il se crée des associations imprévues de physionomies. D’un côté l’infini, à l’extérieur, et à l’intérieur la distance minimale. On profite d’une proximité qu’aucun photographe de rue ne pourrait obtenir : le sujet choisi est comme plaqué, immobilisé, épinglé, démuni à sa place. On peut le surprendre, il n’oserait protester… »
Hervé Guibert, « L’Image Fantôme ».
Les Editions de Minuit – 1981.
ISBN : 2 -7073 – 0585 – 5

Un article du - Le Monde - « les mues du paysage de Emmanuel de Roux du vendredi 10 juin 2005 à propos du livre « Paysages en mouvement » de Marc Desportes – Gallimard, «Bibliothèque illustrée des histoires» ; et le livre lui-même bien sûr.
«La lucarne de la berline, la portière du wagon de chemin de fer ou la glace de l’automobile modifient le paysage, ou plutôt l’œil qui le découvre : «chaque grande technique de transport modèle une approche originale de l’espace traversé, chaque grande technique porte en soi un paysage».

Lors de la discussion de « La phrase du mois – juin 2005 » :
Auteur: stephane.s
« un" truc" qui me trouble depuis toujours
et depuis toujours c'est un" truc" qui me suit depuis que je suis enfant et que ma taille (assis) me permet de voir le paysage et ce dans la 404 blanche intérieur skaï rouge de mes parents c'est un exemple ... une ambiance rien de plus ... mais ....
40 ans plus tard ... je suis le conducteur de ce véhicule ... certes plus une 404
tout vas si vite !!
Et soudain le paysage me semble digne ! Digne entre guillemets de stopper l'engin ... boîtier à la main ....cadrer le paysage. Visualisé plus loin et ce qui me semble superbe oui superbe !! Et bien à l'arrêt relève de la plus triste déception ...
oui le paysage que je souhaitai prendre avec mon appareil et d'une banalité affligeante, pire:
ce que je vois dans mon cadre est grotesque.
C’est penaud que je remonte dans mon véhicule ...compteur du boîtier figé, comme à l’arrêt, brutal ..... L’image n'existe pas ... elle ne peut exister.
Elle n'a existé qu'un instant et associée au lien (magie) du déplacement propice au rêve ... un véhicule qui roule par exemple crée cet univers, stopper ce véhicule le détruit immanquablement et ramène la vision, le cadre et son image à une vision déplacée et destructrice la photo puisqu'il s'agit de cela n'est pas possible. Plus possible.
J’ai possédé un Leica M et la seule chose dans ce boîtier (revendu depuis) qui me plaisait c'était l'instant ... le moment ou le choix ...
de faire l'image, de déclencher ce moment, permettait encore de voir hors image (hors cadre) ce qui ce passait ... le hors cadre, peut être l’insinué ... ce que le négatif ne retient pas ...comme une 404 à vive allure une forme d'impossible ... »




Lors de la discussion de « La phrase du mois – octobre 2005 » :
Auteur : Henri Gaud
« C'est ainsi que ma meilleure source d'inspiration reste le pare brise de ma voiture,
Qui me sert de grille de cadrage et guide mon cheminement photographique au long des kilomètres.
Bientôt un sujet sur l'autoroute s'impose à moi,
Avec qq amis bien sûr, un projet collectif ;-))) »


Auteur : ASj
« Et votre cadreur « parebrise », on pourrait aussi l'appeler « syndrome sncf » (parce que plus difficile encore de s'arrêter et de poser le trépied …) … Cela dit, suis sur un projet pas très éloigné (voiture), pour lequel j'aurais d'ailleurs un de ces quatres conseils de fabrication à demander par ici … (amortisseurs dédiés à la photographie …). Un projet collectif (d'édition ?) pourquoi pas …? »


Reponse de HG
« Il n'est pas question de s'arrêter, c'est juste une construction mentale qui se développe pour donner lieu à des images, beaucoup plus tard.
Mais plus je roule, plus j'ai d'idée, c'est peut-être la route, le pare brise qui les fabrique. »




Si son utilisation reste peu fréquente, ce procédé fait parler jusque et y compris sur ce forum!
La Photo c’est «le temps arrêté?», mais là, c’est l’appareil lui-même qui est en mouvement.
Un univers s’enfonce dans un autre univers. On ne peut passer de l’un dans l’autre.
L’appareil est à la frontière ; que va-t-il enregistrer?
Que vous inspirent ces réflexions?
Connaissez-vous d’autres références sur cette pratique?
Avez-vous pratiqué ce type de prises de vues, (y pensez-vous, en avez-vous l’intention), avec quels résultats?
RC.

P.S. : ne me dites pas qu’il y a plus d’«une phrase»!


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Claude Eichel 
Date:   29-10-2005 11:41

Bonjour,
c'est amusant, je rejoins les réflexions de certains : j'ai toujours considéré la vitre d'un bus, d'un train ou d'une voiture comme une espèce de cadre mobile de prise de vue. L'agréable est justement le côté un peu aléatoire de la chose, c'est un peu comme si un gros animal me faisait voir sa façon d'aborder le monde.
Depuis quelques mois j'ai envie de bricoler un système d'attache sur tableau de bord afin de me permettre de prendre des clichés. Problème avec les appareils mécanqiues dont je dispose il faut mesurer la lumière, la reporter puis déclencher et faire avancer le film. Il faudrait aussi que ce support soit monté sur cardans pour toujours garder l'horizontalité (pas trop difficile cela se fait sur les cuisinière de bateaux).
Cordialement
CE


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: marinoel 
Date:   29-10-2005 15:20

Photographier à travers le pare-brise de ma voiture est une tentation qui remonte à... déjà fort loin. Une chose m'a retenue cependant : déclencher ou conduire, il faut choisir ! Je préfère, pour le moment, essayer d'assurer mes trajets et arriver à bon port saine et sauve!
Ce n'est pas seulement l'enregistrement du temps qui passe par la fenêtre qui m'importe le plus dans ce cas, c'est cette superposition d'images qui construit en fait une sorte de "paysage rêvé"...
Ce matin, j'ai découvert par l'intermédiaire du forum f.295 consacré au sténopé (in english, of course) les images d'un sténopiste néerlandais qui enregistre le déplacement... ça ne va pas assez loin à mon sens, mais c'est déjà un élément de réponse.
A voir sur : http://www.xs4all.nl/~dkalkhov/dynamics/index.htm

A+
Marinoel


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: romain 
Date:   29-10-2005 15:25

les plans de Jim Jarmusch dans le début du film Dead Man où l'on peut suivre l'évolution du paysage à l'extérieur cadré par la fenêtre avec en parallèle l'évolution du paysage hors cadre à proximité de Johnny dep cette fois-ci. Ce début de film est un régal. Il y a un jeu qui n'est pas un champ contre champ mais un cadre contre cadre (je ne pense pas que cela se dise..mais bon) où l'on voit le type de passager évoluer au fur et à mesure que le paysage évolue; on passe peu à peu à une population civilisée à des cow boys, repris de justice, des ours qui peuplent l'ouest américain de cette période.

une grande séquence!!


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: pier eno 
Date:   29-10-2005 16:19

L'expérience (jouissive) de la vision en mouvement, en particulier dans le train où on peut se croire statique devant un paysage qui bouge, me semble irréductible à la photographie. C'est une expérience de la durée, quelque chose de plus cinématographique où chaque image chasse la précédente et où sont sans cesse convoquées des images mentales, comme un mouvement intérieur parallèle au défilement.
Prendre une photographie dans ces conditions de mouvement donne une vue que par habitude culturelle on pourra reconnaître comme 'en mouvement' (le flou, la traînée), mais qui sera en définitive aussi éloignée de cette expérience qu'un photogramme prélevé dans un film (ou une vidéo) le serait de la narration.

Je crois que la photographie échoue à rendre le mouvement quand elle se met elle même en mouvement. Ce n'est pas son domaine. Mais par contre, là où elle excelle, soit dans la description, elle peut offrir au spectateur la possibilité de ce mouvement intérieur par la multiplication des points de vue.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Jean-Louis LLECH 
Date:   29-10-2005 17:06

Déjà tout petit, j'aimais, dans la voiture de mes parents, regarder le monde par la lunette arrière.
Maintenant, dans le train, je fais pareil. Chaque fois que je peux, je voyage le dos tourné à l'avance du train. Dans le sens de la marche, j'ai toujours eu l'impression qu'on me volait quelque chose, parce que le paysage défilait trop vite.
Dans l'autre sens, je déguste le paysage, je le savoure longuement. Avec le délice supplémentaire d'apercevoir des détails dont je sais que ceux qui sont assis dans le sens de la marche n'auront pas eu le temps de les voir.
Peu m'importe ce qui arrive, je le verrai plus longuement que ceux qui regardent dans l'autre sens. Les pauvres, ils ne savent pas ce qu'ils perdent.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: stéphane.S 
Date:   29-10-2005 19:54

bonsoir,

en somme, peut on montrer ce que l'on voit ?
peut on donc , photographier ce que l'on voit ? ...

... et en roulant , vaste question !

au stade actuel en menant un travail sur" la route" et ses espaces proches, une solution que j'ai trouvé a été de filmer un peu avec une Nizo la route.
mais je ne suis pas cinéaste , je reste donc sur ma faim .
mon projet sera livre d'image fixe et texte point... je renonce et c'est peut être la , (les) limites de la photographie :-)


Hervé .G ce fil me donne envie de le relire et je suis tombé en recherchant ses livres sur "LE DÉSERT AMÉRICAIN" de R. depardon , un livre triste , un livre sur la route ...
page 89 :
" mais pourquoi faire des images?
un voyage sans appareil
un voyage sans mémoire.
le voyage est fiction. "

ce que dit HG est juste :

« Il n'est pas question de s'arrêter, c'est juste une construction mentale qui se développe pour donner lieu à des images, beaucoup plus tard.
Mais plus je roule, plus j'ai d'idée, c'est peut-être la route, le pare brise qui les fabrique. »

justement le tort, est certainement de vouloir s'arréter à ce moment là
de vouloir photographier alors qu'il ne sagit que de fermer les yeux ...

et pour finir un livre de TODD HIDO Roaming chez Nazraeli press

désolé pour le vrac des remarques :-)


S.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: stéphane.S 
Date:   29-10-2005 20:09

un lien sur le bouquin:

http://www.photoeye.com/templates/mShowDetailsbycat.cfm?Catalog=TR150


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: henri peyre 
Date:   30-10-2005 18:13

Robert, d'abord merci pour cette longue compilation !

Je pense que la citation d'Evans fait référence à une période où le photographe évolue vers le petit format et la photo à la sauvette, dans le métro ou ailleurs. Evans cherche ainsi plus l'objectivité qu'autre chose, et il croit la tenir par un procédé choisi parce qu'il cesse de faire intervenir le regard du photographe.
Il s'agit donc de quelque chose qui est très loin du regard "par la fenêtre" comme les citations suivantes peuvent le décrire.

Je m'intéresse donc aux suivantes où on est moins dans le truc et plus dans la poésie !

Qu'est-ce qui peut être intéressant dans ce regard par la fenêtre ?
Je pense que c'est avant tout le fait que ce qu'on voit va disparaître : c'est un poncif notoire de la photographie, qu'on retrouve chez la plupart des auteurs, malgré l'usage différent qu'ils en font : Atget et les vieux quartiers de Paris, Evans et ses maisons de banlieue, Abbott et le vieux New York, les mariés avec la photo de la cérémonie, la maman avec ses gamins... on est dans l'essence même de la photo. Ce qui est là, devant nous, le temps va le faire disparaître.

Avec le transport, l'idée de l'effacement par le temps se trouve renforcée par l'idée d'effacement géographique, dans l'espace. Du coup le photographe, traditionnellement concerné par la question de l'effacement (temporel) est forcément doublement en alerte.
On pourrait aussi dire qu'il se trouve devant une concrétisation réelle d'effacement, alors que dans une photographie, il projette la mort et l'effacement dans le temps, et qu'il prend la photographie avec, dans la conscience, cette idée par lui fabriquée que la chose va disparaître. Cet urgence qu'il se fabrique dans le schéma temporel, il l'a sous les yeux avec le déplacement dans l'espace.

Allons plus loin : si l'acte photographique (au moins documentaire) consiste, en partie, à :
1. imaginer que la chose va disparaître
2. appuyer sur le bouton (dans cette urgence fabriquée) pour témoigner de ce qui va mourir
on constate qu'en roulant dans sa bagnole on roule en quelque sorte dans une chose qui se comporte comme l'imagination du photographe documentaire. Si on veut bien accepter de penser qu'appuyer sur le bouton (2) est plus facile que concevoir (1), il est bien évident qu'on va se trouver tout démuni sur le bas-côté lorsque le véhicule sera arrêté. Il restera à appuyer sur le bouton. Science sans conscience ! Et on ne sera plus dans la photographie !



Pour les photographes non documentaires, la satisfaction est grande aussi, mais pas pour les mêmes raisons - je pars comme d'habitude sur les schémas musiliens :
dans le véhicule en mouvement je suis dans le paysage mais je ne lui appartiens pas. Il est à l'arrêt mais je suis en mouvement. Il a ses sons que je n'entends pas. La route me conduit mais c'est moi qui conduit. Il fait froid mais j'ai chaud. La nuit est angoissante mais j'ai la radio etc. etc. ... plein de braves petits couples d'oppositions absolument délectables qui échappent un peu à la photo évidemment, mais qui donnent pas mal de jouissance à celui qui arrive à rester en conscience sur leur limite, et à les éprouver tous à la fois !
Si je m'arrête pour prendre une photo au bord de la route, je perds tout d'un coup, évidemment.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: stéphane.S 
Date:   30-10-2005 18:47

bonsoir,

pour en revenir à cette" problèmatique " de l'arrêt du mouvement , et de ce film qui défile ...
que l'on tente de mettre sur PAUSE en stopant l'engin ,

l'un des problèmes réside aussi dans le cadre offert à ce moment ( à l'arrêt)
il ne resemble en rien à ce que l'on à vu avant, on se retrouve avec des avants plans fixes, donc exagérés, donc omniprésents .

l'arrêt sur image est alors un mensonge , ce rajoute à cela ce dont Henri parle: le chaud ,le froid , les odeurs ... le rêve est rompu.
il ne reste plus alors qu'a retourner dans l'engin est continuer la route ...
bercé par le bruit du projecteur .

S.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Gabriel 
Date:   30-10-2005 18:47

Je suis très gauche avec les mots, alors simplement dire merci à Robert pour son fil du mois; ma fenêtre à moi est fixe, ce sont les gens qui passent pendant les jeudis interminables de mon enfance,, le temps...... J'aurais bien aimer disserter sur nos premières photos, quand le cadre était une fenètre de train ou d'auto et la surface sensible nos souvenirs.

Gabriel


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Claude Eichel 
Date:   30-10-2005 19:06

Oui a y bien réfléchir ce fil nous ramène à des souvenirs lointains mais répétés : souvent pour moi les vacances en famille lorsque nous passions d'année en année aux mêmes endroits.
Henri a bien trouvé les mots pour définir les rapports entre voyage et paysage, mouvement et disparition.
Un autre point qui se rajoute à tout cela est le fait que lorsque nous prenons l'autoroute nous sommes dans un monde à part, séparé physiquement de la vraie vie, l'un traverse l'autre mais ne doit pas s'y mêler. Ce monde a ses propres règles, le but y est le mouvement mais tout y est immuable.
CE


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: jocelyne 
Date:   30-10-2005 19:34

Bonsoir,
Les cinéastes ne se privent pas de filmer un paysage qui défile. Certains le font avec un grand bonheur. Ils ne s’y trompent pas et savent que beaucoup y sont sensibles. Henri a très bien décrit ces oppositions qui restent quand même plus de l’ordre du « foyer ». Ce sentiment de plénitude décrit, on l’a de la même manière devant un feu de cheminée lorsqu’il fait très froid dehors. On peut dire qu’on contemple le feu comme on contemple le paysage. On aimerait de la même manière fixait l’instant mais en mouvement (les flammes qui dansent, les grosses gouttes de pluie sur la vitre ou le paysage qui défile) mais aussi les bruits que font ses gouttes, le crépitement du feu ou encore le bruit de la route etc. Difficile de fixer tout ça sur une pellicule photo.
Bonne soirée
Jocelyne


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: ASj 
Date:   30-10-2005 22:41

Et que serait-ce donc que déjà simplement « tourner autour de son sujet » ? pour mentalement construire la photographie que l'on arrêtera « juste » (à supposer que ce sujet-ci n'est pas de ceux que l'on fabrique de toutes pièces devant la camera – paysage, espace architectural)
Seulement au moment du déclenchement, faudra bien maintenir l'appareil fixe qque part (ou ce sera la durée d'expo qui fixera l'espace et le tps)
Le pb avec le « syndrome sncf », c'est que depuis sa fenêtre on oublie qu'il y a une voie ferrée qui déchire cruellement le paysage (vu par exemple d'en face)

Le train ou la voiture ne produiraient-ils pas aux yeux du photographe une extraordinaire accéléreration de cette sensation du « voir le cadre », de cette spéculation du « construire mentalement de l'image » (une accélération neuronale comme une nouvelle et fantastique drogue hypothétique)
– c.à.dire ici ds le sens de la citation de Eric Rondepierre ; (et décidément Hervé Guibert est surtout bon écrivain) ;
et semble que cette hypertrophie des sens ne serait pas loin du « shock » originel de Stephen Shore …

Et bien sûr qu'est très recevable ce que dit Henri Gaud (« pas question de s'arrêter (…) ») ; maintenant, comment s'y prendra-t-il donc pour son sujet sur l'autoroute ?

Pour la pratique : un ami peintre shoote avec un 24x36 d'une main pendant que de l'autre il conduit ; puis il peint des paysages d'après ces prélèvements arbitraires ;
un ami vidéaste « vide » littéralement son dslr par la fenêtre de tout véhicule en mouvement qu'il peut être amené à emprunter, fait le tri plus tard et infographiera les très peu nombreuses vues finalement retenues ;
bcp plus prêt d'ici, David Giancatarina affiche sur son site qques réalisations ds la même idée, panoramiques/prélèvements de vues d'espaces parisiens en mouvement …

… (n'oublions pas que l'accident non plus n'est pas loin)

Et c’est ds un fameux bouquin de Bouillot des 70’s (l’objet et son image – pas les réf exactes ici), que l’on trouve un furieux ayant arrimé un boitier à l’habitacle de sa porsche, histoire que l’on voit bien le compteur bloqué à 250 … (on s’éloigne un rien, mais tant le parebrise que le paysage derrière sont également à l’image)


Bonnes sensations (et pour P.E., même si c’est de saison, ne forcez pas sur les petits champignons) ~ Bonnes journées et bons voyages

À suivre donc ~ Salute ~ AlexSj


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Gérard F. 
Date:   31-10-2005 15:13



Le net, la mort et le flou

Il y a deux espèces de photographes : ceux qui recherchent la netteté et les autres qui ne refusent pas le flou.
Les uns sont sensibles à la sérénité de ce qui est, les autres préfèrent le dynamisme de ce qui bouge ; ces derniers se mettent eux-mêmes en mouvement pour arriver à leurs fins.

Le net est la fixation du paysage comme l'instantané est l'arrêt du temps. Donc un arrêt sur image. Ce qui est paradoxal dans le mouvement du sujet, mais conforme aux vœux initiaux de la photographie.
Mais, la pose est toujours suspectée de préparation, de conformisme, de statisme renvoyant à l'angoisse de la mort.

Ainsi, photographier à travers une vitre d'un véhicule mobile revient à jouer le flou contre le net. La photographie qui figeait naguère le temps veut soudain, et dans un mouvement de rage, témoigner du mouvement, de son propre mouvement et dénier ainsi le statisme du sujet classique, la pose. Angoisse, rage parfois non dénuée de simple curiosité.

Le flou illustre la vitesse, le mouvement de l'espace, signe la fuite en avant, marque le refus de l'arrêt.

Le floutage brouille volontairement la vision pour perdre les repères visuels habituels ; il est à lui seul une espèce de dérèglement du traitement traditionnel de la photographie qui veut donner à voir le plus nettement possible.
C'est la tentative de voir au-delà de l'image, de saisir une autre réalité : une surréalité comme un refoulement obsessionnel de la mort.

Grâce à la maniabilité de la caméra, la meilleure sensibilité de la pellicule, à l'attraction de la couleur, le preneur de vues réalise son obsession : préférer les sensations du mouvement au bonheur statique.
Comble de paradoxe, c'est, en étant calé assis ou debout dans le mobile, que le prédateur photographique doué de la vitesse de la machine, arrête le temps au profit de l'image floue.

Refus de voir net, c'est comme s'aveugler pour s'autoriser des sensations nouvelles et palpitantes.
Tant que le cœur tient ! Comme un enfant qui ferme les yeux en descendant en courant une rue en pente.
La vision rapide de l'abîme mobile remplace la mise en abyme statique. Elle brouille la vision dans le mouvement.
Par un instinct de survie qui n'a jamais existé ou dans un mouvement de panique devant la mort des choses et des êtres, nous préférons fuir plutôt que de rester arrêtés à attendre la fin de la pellicule.

Comme dans l'épopée mythique du Far West américain et l'épopée tragique du Near-East mésopotamien, on tire d'abord par pur "réflex ", pour calmer sa peur d'être arrêté - descendu du mobile - et l'on regarde le résultat après.
" Smile, Shoot, Smile" répète comme au drill le professionnel anglais échoué sur 'l'Euphrate…

Vite, flou, vite…


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: pier eno 
Date:   31-10-2005 16:06

L'idée d'images prises dans le mouvement rappelle certaines œuvres de William Turner, mais là où la peinture donne une maîtrise totale des effets, la photographie ne peut que s'en remettre qu'au hasard.

---

Une question à gérard F.
L'acuité photographique, qui va au delà de nos capacités de perception, n'est-elle pas un moyen d'atteindre la surréalité que vous évoquez ?


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Gérard F. 
Date:   31-10-2005 17:15

De Pier Eno, cette question :

"L'acuité photographique, qui va au delà de nos capacités de perception, n'est-elle pas un moyen d'atteindre la surréalité que vous évoquez ?"

La question est difficile. Je ne suis pas certain qu'il y ait une réponse. Unique et définitive, s'entend.

De quelle acuité parlons-nous : celle de la pellicule et de la prise de vue, celle du coup d'oeil du photographe, de l'amateur ou celle de l'expert?

A priorité, certaines acuités créent de la surréalité. L'exemple-type est la peinture américaine à l'acrylique et à l'aérographe qui s'appelle précisément l'hyperréalisme. C'est la reproduction parfaite pour le peintre, le client et le spectateur de la réalité qui dépasse la réalité. Celle-ci devient surréelle à force d'acuité de la vue - parfois réalisée d'aprés photographie- et de précision de la peinture. Un critique dirait péjorativement que c'est de la cuisine lèchée.

Le surréel est apr définition ce qui dépasse ce qui est. En un sens, une photogrphie floue peut dépasser la réalité. Des effets peuvent créer un monde paralléle, non vue ou incroyables (Man Ray comme Lartigue).


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Xavier R 
Date:   31-10-2005 21:01

Merci Gérard F
Vive le flou et le bougé.
Vive le bougé flou.
Merci pour votre explication du surréel.
J'avais le moral en dessous de zéro suite à certains débats déprimants mais nécessaires et pour une fois je ne pouvais participer à la phrase du mois.
Me voila presque requinqué et près à courir après les images floues de mon enfance vues au travers d'un pare-brise d'une fenêtre de train
ou au cinéma et ses travellings et plans séquences caméra épaule.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: rvlna 
Date:   01-11-2005 11:35

Sur le sujet, une bibliographie interessante (je suis en train de le lire)

Marc DESPORTES, paysages en Mouvements, Gallimard
(c'est sorti récemment)

Il y est question de la modification de la percepetion du paysage avec la création des routes, trains, voitures et autoroutes...bien documenté, assez érudit.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: robert colognoli 
Date:   01-11-2005 12:54

Le livre est déjà cité plus haut, merci de le rappeler, c'est une référence intéressante.
Je n'avais lu que l'article du "Le Monde".
RC.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: rvlna 
Date:   01-11-2005 13:49

Pardon, je lit trop vite...


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: robert colognoli 
Date:   01-11-2005 16:12

Je l'ai cité mais pas lu. J'avais seulement lu l'article du journal.
Quand vous l'aurez fini, faites nous un résumé, à la suite sur ce fil, ça intéressera tous les participants.
Merci d'avance.
RC.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: caro 
Date:   02-11-2005 10:39

Bonjour,

Cette idée de déclenchement aléatoire m'a été demandé , il y a quelques années en reportage:
une soirée juive , trés gaie comme toujours et les personnes qui dansent et s'agitent sur la piste: une ambiance de folie et il faut faire les photos de la soirée.
Hors je suis trop petite , bousculée .Montée sur une chaise , le boitier au bout des bras et au dessus de cette foule , le déclenchement aléatoire: de l'ambiance à l'état brut.
(c'est juste un exemple)

le "document brut" tente, la vision qui défile à travers la vitre de la voiture est intéressante , les images s'étirent et se superposent mais lorsque je demande au conducteur de s'arrêter ( souvent deux kilométres plus loin)
le cadrage devient statique et il n'y a plus rien ...
je n'ai jamais réussi à saisir cette image...
peut-être avez des expériences plus positives ???

bonne journée à tous
Caro


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: pscl 
Date:   04-11-2005 15:23

"Avez-vous pratiqué ce type de prises de vues?"
Non, je préfère placer ces visions furtives dans ma boite à images-fantômes, celles que je ne réaliserai pas.


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Henri Gaud 
Date:   04-11-2005 15:27

<<le "document brut" tente, la vision qui défile à travers la vitre de la voiture est intéressante , les images s'étirent et se superposent mais lorsque je demande au conducteur de s'arrêter ( souvent deux kilométres plus loin)
le cadrage devient statique et il n'y a plus rien ...
je n'ai jamais réussi à saisir cette image...
peut-être avez des expériences plus positives ??>>

J'ai pu obtenir des vues intéressante (le déchet est énorme) de la portière de ma voiture en roulant tranquillement, au Leica M6 ou au Rollei 6008, le Leica s'est révélé plus adapté, mais je ne désespère pas de tenter la même chose en grand format.

HG


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: patrick cartou 
Date:   04-11-2005 19:34

beaucoup de clichés avec (aïe !) un APN en conduisant, surtout de nuit et en ville........très amusant !
récemment au Canada avec un Hexar chargé en N&B, dans une région habitée par une communauté de Mennonites, une petite calèche fouettée par le vent et la pluie, sortant comme de nulle part, prise à travers la vitre...voyage dans le temps à tout point de vue !

PC


 
 Re: La phrase du mois - novembre 2005.
Auteur: Xavier R 
Date:   08-11-2005 15:55

La route, c'est une ambiance.
Les photographes de la route ou de son ambiance sont a mon humble avis R.Franck et B. Plossu nul besoin de pdv systèmatiques derriére un pare-brise ou une fenêtre de train pour donner cette ambiance qui en fascine plus d'un.
Il me viens à l'esprit le nom de deux autre photographes dont les photos de paysages me donnent l'impression du mouvement. Il s'agit de joseph Sudek y compris pour ses photos prise à la fenêtre de son atelier, et de Sarah Moon dont je regardais hier encore les images de "Coïncidences".
L'atmosphère qui se dégage de leurs photos me fait penser inévitablement au voyage, au mouvement, à la route.




 
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