Auteur: robert colognoli
Date: 29-10-2005 11:12
Merci à tous ceux qui ont apporté un commentaire le mois dernier.
A propos de « la phrase du mois » de juin 2005 et de celle du mois dernier, la discussion est allée se promener vers la pratique de la photo sur un engin en mouvement.
C’est loin, ou à l’opposé, de la photographie à la chambre, sur pied avec tout son rituel…
Peut-être un peu hors sujet pour les pratiquants du grand format?
Mais pas forcément inintéressant à discuter.
Des photographes ont utilisé ce procédé ou en ont parlé…
Walker Evans, qui utilisait la chambre grand format, a fait une expérience éloignée du rituel d’installation et de cadrage classique à la chambre grand format, dans ses « vues du train », où il déclenchait l’appareil sans viser pendant la marche du train.
« …le déclenchement aléatoire, le déclenchement le plus automatique et impersonnel possible permis par le dispositif photographique, pour obtenir la quintessence de ce qu’Evans continue d’appeler « le document brut », fidèle à la terminologie de son temps, et qu’il accepte de voir baptiser « le quotidien art ».
Walker Evans – La soif du regard.
Gilles Mora et John T. Hill.
Seuil – Close up – L’œuvre photographique, octobre 2004.
ISBN 2.02.068647.3
Stephen shore, qui n’a pas précisément utilisé ce procédé mais qui dit avoir découvert les paysages d’Amérique à travers le cadre de la fenêtre passager de l’automobile au cours de son premier voyage hors de sa ville.
« Until I was twenty-three, I lived mostly in a few square miles in Manhattan. In 1972, I set out with a friend for Amarillo, Texas. I didn’t drive, so my first view of America was framed by the passenger’s window. It was a shock.”
Stephen Shore – 1982.
http://seesawmagazine.com/shore_pages/shore_interview.html
Eric Rondepierre, à propos de la série (Stances, 1996/1998), sur ce que l’on voit des fenêtres de couloirs de trains, nous incite à prendre en quelque sorte sa place et à partager une expérience singulière de la vue.
« Un homme qui voyage souvent par le train sait ce qui se passe entre le paysage qui défile par une fenêtre du couloir et son propre regard. Une apparition-disparition permanente, une désidentification des arbres, des paysages, et même des maisons, des villages, trop vite aperçus, sauf, mais rarement, un monument lointain, ou à l’approche ralentie d’une gare. Presque tout ce que voit le voyageur du train, debout et immobile dans son couloir, lui échappe.
Mais c’est dans cette échappée du réel que réside la fascination. Moins le voyageur reconnaît les choses, plus ça va vite, plus il est attentif – mais à quoi ? A la disparition même ?
Mais si ce voyageur est photographe, ayant acquis la connaissance du réel à travers différentes expériences photographiques, tout change. Le voyageur-photographe du train va tenter de fixer ce qui, précisément, disparaît. Ses photos ne reflètent pas seulement du « bougé », elles accumulent le temps qui passe. Elles font corps avec ce temps, le sauvent de l’amnésie et s’introduisent efficacement dans la mémoire. Des fuites d’images, des évanescences, des lambeaux de paysages se changent en images durables, des évanescences en icônes. Le cadre de la fenêtre ne débouche plus sur du néant mais sur de l’être. L’appareil photographique a arrêté le processus de désagrégation du monde par la vitesse : une autre vision du temps en surgit. »
Editions Leo Scheer – 2003.
ISBN 2-914172-97-4
Eric Rondepierre, visionneur – texte de Alain Jouffroy.
Bernard Plossu : «J’ai tourné des images il y a deux ans avec une caméra 8/mm, pendant un voyage en train entre La Ciotat et Lyon. Au départ j’ai filmé, j’ai fait des photos aussi, et puis à un moment donné je me suis amusé avec les deux appareils. C'est-à-dire que j’ai placé le viseur de la caméra derrière le viseur du Nikkormat… Avec ce film…, je crois qu’il y a quelque chose de bien à faire, c’est d’en tirer des photogrammes.»
« Le train a en effet constitué pour les photographes, dès les années 1840, non seulement un vecteur de déplacement, mais un appareil de vision à part entière.
Les véhicules sont comme des appareils-jouets, à une échelle différente, bien évidemment, à la fois réceptacles et moteurs d’une perception fugitive. »
Les Pratiques Pauvres – du sténopé au téléphone mobile.
Jean-Marie Baldner et Yannick Vigouroux.
Isthme Editions – Pôle Photo.
Février 2005. ISBN 2 912688 47 7
A propos des trajets en autobus : « C’était un aquarium. L’on était dedans. Mais le spectacle était dehors. De l’aquarium, on assistait au spectacle ».
Gil Jouanard/Bernard Plossu, « Marseille en autobus » -
Anatolia Editions – 1996
ISBN2-909848-33-7
Hervé Guibert, « L’autobus me semble une grosse machine photographique, un pied miraculeux où l’on fixerait un appareil imaginaire, un pied tournant et dynamique. La vitre, qui découpe une succession d’extérieurs, est un cadre tout tracé. Le feu rouge, qui arrête la machine, comme le déclic. L’autobus imprime une mobilité photographique que ne pourrait donner ni la marche, trop lente et laborieuse (combien faut-il de kilomètres pour attraper une bonne photo?), ni la voiture, trop rapide et trop basse : il y a aussi que l’autobus surplombe un peu tous les encombrements, et dégage la vue comme le menthol dégage les sinus : il est à la fois travelling, grue, panoramique… L’autobus saisit en un clin d’œil une multitude de corps, de visages, de mouvements et d’attitudes. Il est comme un gros œil de mouche, un œil à facettes, un œil rotatif si l’on imagine que chaque facette de l’œil de l’insecte détermine une vision distincte. Il est génialement voyeur parce qu’on y voit sans se faire voir : les gens dans le rue ne prennent pas garde aux autobus comme aux autres passants, ils ne cherchent pas à voir à l’intérieur, et d’ailleurs, avant la nuit, contrairement à une terrasse de café, ils sont beaucoup plus sombres que la rue. C’est une machine photographique double, en ce qu’à l’intérieur, dans cette demi-obscurité (mais rien de meilleur qu’un double éclairage de côté), il se crée des associations imprévues de physionomies. D’un côté l’infini, à l’extérieur, et à l’intérieur la distance minimale. On profite d’une proximité qu’aucun photographe de rue ne pourrait obtenir : le sujet choisi est comme plaqué, immobilisé, épinglé, démuni à sa place. On peut le surprendre, il n’oserait protester… »
Hervé Guibert, « L’Image Fantôme ».
Les Editions de Minuit – 1981.
ISBN : 2 -7073 – 0585 – 5
Un article du - Le Monde - « les mues du paysage de Emmanuel de Roux du vendredi 10 juin 2005 à propos du livre « Paysages en mouvement » de Marc Desportes – Gallimard, «Bibliothèque illustrée des histoires» ; et le livre lui-même bien sûr.
«La lucarne de la berline, la portière du wagon de chemin de fer ou la glace de l’automobile modifient le paysage, ou plutôt l’œil qui le découvre : «chaque grande technique de transport modèle une approche originale de l’espace traversé, chaque grande technique porte en soi un paysage».
Lors de la discussion de « La phrase du mois – juin 2005 » :
Auteur: stephane.s
« un" truc" qui me trouble depuis toujours
et depuis toujours c'est un" truc" qui me suit depuis que je suis enfant et que ma taille (assis) me permet de voir le paysage et ce dans la 404 blanche intérieur skaï rouge de mes parents c'est un exemple ... une ambiance rien de plus ... mais ....
40 ans plus tard ... je suis le conducteur de ce véhicule ... certes plus une 404
tout vas si vite !!
Et soudain le paysage me semble digne ! Digne entre guillemets de stopper l'engin ... boîtier à la main ....cadrer le paysage. Visualisé plus loin et ce qui me semble superbe oui superbe !! Et bien à l'arrêt relève de la plus triste déception ...
oui le paysage que je souhaitai prendre avec mon appareil et d'une banalité affligeante, pire:
ce que je vois dans mon cadre est grotesque.
C’est penaud que je remonte dans mon véhicule ...compteur du boîtier figé, comme à l’arrêt, brutal ..... L’image n'existe pas ... elle ne peut exister.
Elle n'a existé qu'un instant et associée au lien (magie) du déplacement propice au rêve ... un véhicule qui roule par exemple crée cet univers, stopper ce véhicule le détruit immanquablement et ramène la vision, le cadre et son image à une vision déplacée et destructrice la photo puisqu'il s'agit de cela n'est pas possible. Plus possible.
J’ai possédé un Leica M et la seule chose dans ce boîtier (revendu depuis) qui me plaisait c'était l'instant ... le moment ou le choix ...
de faire l'image, de déclencher ce moment, permettait encore de voir hors image (hors cadre) ce qui ce passait ... le hors cadre, peut être l’insinué ... ce que le négatif ne retient pas ...comme une 404 à vive allure une forme d'impossible ... »
Lors de la discussion de « La phrase du mois – octobre 2005 » :
Auteur : Henri Gaud
« C'est ainsi que ma meilleure source d'inspiration reste le pare brise de ma voiture,
Qui me sert de grille de cadrage et guide mon cheminement photographique au long des kilomètres.
Bientôt un sujet sur l'autoroute s'impose à moi,
Avec qq amis bien sûr, un projet collectif ;-))) »
Auteur : ASj
« Et votre cadreur « parebrise », on pourrait aussi l'appeler « syndrome sncf » (parce que plus difficile encore de s'arrêter et de poser le trépied …) … Cela dit, suis sur un projet pas très éloigné (voiture), pour lequel j'aurais d'ailleurs un de ces quatres conseils de fabrication à demander par ici … (amortisseurs dédiés à la photographie …). Un projet collectif (d'édition ?) pourquoi pas …? »
Reponse de HG
« Il n'est pas question de s'arrêter, c'est juste une construction mentale qui se développe pour donner lieu à des images, beaucoup plus tard.
Mais plus je roule, plus j'ai d'idée, c'est peut-être la route, le pare brise qui les fabrique. »
Si son utilisation reste peu fréquente, ce procédé fait parler jusque et y compris sur ce forum!
La Photo c’est «le temps arrêté?», mais là, c’est l’appareil lui-même qui est en mouvement.
Un univers s’enfonce dans un autre univers. On ne peut passer de l’un dans l’autre.
L’appareil est à la frontière ; que va-t-il enregistrer?
Que vous inspirent ces réflexions?
Connaissez-vous d’autres références sur cette pratique?
Avez-vous pratiqué ce type de prises de vues, (y pensez-vous, en avez-vous l’intention), avec quels résultats?
RC.
P.S. : ne me dites pas qu’il y a plus d’«une phrase»!
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