Bonsoir à tous,
Je vais tenter de répondre aux questions de Benjamin et André. Même si j’eusse préféré laisser ces photographies s’exprimer sans leur auteur.
--------Le choix de votre approche uniquement sous l'angle du malade lui-même est il délibéré ou est il venu au fil du travail?
Oui, j’ai voulu dès le départ photographier le patient et uniquement le patient. Que le spectateur soit seul face à ces visages comme je l’ai été, des heures durant, venue après venue. Vous savez, malgré tout le dévouement du personnel médical, ils sont très peu nombreux face au nombre de patients ( 1 aide soignant pour 14 malades tous dépendants avec troubles du comportement, qu’il faut habiller, laver, etc ). Souvent, dans l’après midi, j’allais dans les couloirs vides sans croiser quiconque. C’est ainsi, croyez moi. Quant aux familles, beaucoup n’en n’ont plus, ou celles-ci ne peuvent que difficilement et peu souvent se rendre à l’hôpital.
---------L'homme seul en fauteuil,un verre devant lui qui dirige son regard vers l'objectif, vous regarde-t-il vraiment?
Oui. Et il me sourit. J’aime beaucoup ce monsieur. Parfois on discute. Il peint. Ces tableaux parsèment les murs des couloirs de l’hôpital. Toujours le même sujet décliné à l’infini : les trois femmes de sa vie. Quand je lui ai donné son tirage il l’a affiché dans sa chambre.
--------Quant au portrait de la femme assise sur son lit les mains croisées.....je la trouve belle et digne.....dans cet instant,instant de la photo?instant de présence?simulacre de présence?allez savoir.
Nul simulacre de présence. Je lui ai demandé si elle voulait être photographiée. Elle m’a répondu oui… mais plus tard dans l’après midi. Après l’image, elle m’a embrassé.
--------La femme à la peluche
La femme et la peluche étaient assises l’une à côté de l’autre, comme si elles étaient l’envers l’une de l’autre. Le plus marquant pour moi était qu’au fil des heures et de la journée la peluche restait à sa place et la dame aussi. Peut-être, alors que j’écris ces mots, sont-ils encore à la même place ?
-------Le grand angle et le très grand angle ( 45mm et 35 mm en 6/7 )
Il m’arrivait souvent de ne pas photographier et de m’assoir dans une chambre ou une salle commune (lieu de vie) et d’attendre, seulement attendre au milieu des chants, pleurs, conversations solitaires. Je ne sais pas comment dire : tout devenait à la fois proche et lointain. D’où cette nécessité du grand angle : je suis proche de vous, mais nous sommes pourtant loin l’un de l’autre. Les fenêtres sont lointaines. L’objectif grand angle n’embrasse pas la solitude régnant en ces murs. Il se gonfle, il se tord d’un trop plein de solitude.
-------Etes vous photographe pro?Quel est votre degré de connaissance de la maladie par exemple?
Oui, je suis photographe. J’ai approché la maladie, sur le terrain et de manière plus « théorique et philosophique ».
-------Il eut été intéréssant de savoir comment êtes vous venu à faire ce travail ?
En 2003, j’ai fait mes premières photographies dans un service de gériatrie pour l’Espace Ethique des hôpitaux de Paris (http://www.espace-ethique.org/ ). Ces photographies m’ont hantées (un fragment ici [
www.espace-ethique] alzheimer.org/ressourcesdocs_galerievirtuelle_hervebaudat.php ) En 2010, j’ai voulu poursuivre ce travail qui, pour des raisons personnelles, ne m’a jamais quitté.
Ces photographies sont pour moi une invitation à prendre conscience de la dureté de cette maladie incurable qu’on montre souvent de manière peu crédible, artificielle, et éloignée de sa réalité concrète. Les sceptiques n’ont qu’à se rendre sur le terrain – et dans un service de gériatrie, de soins de longue durée, pas en court séjour ou en maison de retraite). J’ai fait ces images avec amour et j’ai reçu beaucoup d’amour et d’amitié de la part des patients, du personnel, et des familles que j’ai pu rencontrer.
Hervé
A lire, peut-être ? Annie Ernaux « je ne suis pas sortie de ma nuit » gallimard 1997 , le témoignage le plus poignant et le plus vrai que je connaisse sur la maladie d’Alzheimer. Une parole brutale parce que d’amour…