Re: Jean Vigne
Envoyé par:
JLLBVS
Date: 21/06/2010, 13:03
Pourquoi me suis-je re-connecté ce matin sur Galerie Photo où je ne suis pas venu depuis des mois ?
Comme si j'avais une prémonition.
Je suis allé directement sur le forum informations, et j'ai instinctivement cherché cette triste nouvelle, comme si j'avais su ou senti quelque chose.
Jean avait 77 ans. Certes il était âgé, mais certainement pas dans sa tête, où il était un des plus jeunes d'entre nous. Nous correspondions depuis quelques années hors forums, et nous éprouvions l'un envers l'autre une amitié certaine.
J'aimais son humour, parfois grinçant ou cynique, souvent désopilant, mais aussi très souvent tendre et nostalgique. Il avait par exemple coutume de dire "ma femme et moi vivons à Gennevilliers chez 24 chats"...
Il m'avait invité quelques fois à passer le voir et boire une Corona ensemble, mais pour des raisons de santé, cela ne s'est jamais réalisé. Je le regretterai le reste de ma vie.
Jean a fait toute sa carrière au cinéma et à la télévision. Assistant réalisateur puis réalisateur au cinéma, où il a travaillé avec de grands cinéastes (Boyer, Le Chanois, Albicocco et beaucoup d'autres) et cotoyé de grands photographes ou des écrivains comme Blaise Cendrars, entre deux tournages pour Pathé Journal, la BBC ou CBS...
Toujours modeste et léger, il en parlait comme de rencontres avec les voisins de sa rue de Gennevilliers, où il aimait à dire qu'avait vécu Manet.
il s'est ensuite reconverti à la télévision, où il a travaillé avec tous ceux qui - comme lui - ont fait à l'époque le prestige de la vraie télévision, comme les Stellio Lorenzi de la "Caméra explore le temps".
On a oublié qu'il a été - entre autres - réalisateur d'une émission qui était comme lui hors normes : "Dim Dam, Dom". Je m'en souvenais et je le lui avais rappelé, ce qui l'avait scotché mais aussi beaucoup touché.
Mais Jean s'est toujours modestement qualifié du qualificatif "d'intermittent du spectacle plutôt sporadique", qui laissait paraître son humour, parfois un peu grinçant, mais qui faisait toujours sourire.
Depuis ce matin, je relis la petite centaine de messages que nous avons échangé pendant quelques années. Et des souvenirs reviennent.
Je me souviens ainsi de ses périples photographiques dans Paris, qu'il me faisait parfois partager par mail.
La plus épique, c'est certainement celle-ci, survenue en avril 2005.
Je vais la laisser raconter par Jean lui-même : "par esprit d'imitation jalouse, (note : à l'époque, je me débattais avec une infection d'une prothèse de hanche) je me suis cassé la tête de l'humérus en faisant une photo - je cherchais l'emplacement de la guillotine, Bd Arago. Il n'y a plus rien, mais, à côté, la dernière pissotière de Paris. J'ai voulu immortaliser cet échantillon de mobilier urbain 3° République. Mon pied droit à fait un croche-patte à mon pied gauche, et j'ai volé dans la fonte peinte en vert. Heureusement, mon Nikon n'a rien.J'ai 5 points de suture sur la tête, et la perspective de 3 ou 4 heures de chirurgie orthopédique."
Ce plongeon lui avait valu ce qu'il appelait une "full metal shoulder", une superbe prothèse et plusieurs dizaines d'heures de rééducation, jusqu'à ce qu'il puisse de nouveau transporter les 40 kilos de ses RB67, certes avec l'aide de madame...
Jean avait l'image dans la peau. Il avait chez lui plus de 25 000 clichés et il continuait à photographier, à la chambre, au RB ou avec ses Nikon.
Et il alimentait régulièrement des institutions ou des revues comme Connaissance des Arts avec ces milliers de trésors iconographiques collectés au long de sa vie.
C'était une encyclopédie vivante, mais faite de souvenirs vécus, pas lus ou appris.
Voilà Jean. C'est un homme immensément attachant. Je ne peux pas - ou pas encore - employer le passé.
J'avais besoin de dire tout çà. Parce que, tant que quelqu'un se souviendra et parlera de lui, il sera toujours avec nous.
A bientôt, Jean.
Jean-Louis