Tout était parti de l'évocation du posemètre Weston, que l'archevêque de Moisenay qualifia de « mythe ». Je contestai alors fermement l'usage du mot « mythe », J.C. Mougin me renvoya illico dans les cordes d'un coup de Barthes bien asséné.
L'affaire s'annonçait franchement rude.
Je me suis donc procuré l'ouvrage suivant (merci Jean-Claude) de Roland Barthes, pour une somme modique :
« Mythologies », Seuil/Essais, poche ISBN 978-2-02-000585-2
L'ouvrage comprend deux parties fort distinctes, d'abord un recueil de chroniques écrites entre 1954 et 1956 dans diverses publications :
Esprit, France-Observateur, Les Lettres nouvelles, puis un essais très savant intitulé « le Mythe, aujourd'hui », texte qui n'avait certainement pas été écrit pour la presse grand public.
Je ne peux que recommander, vu la modicité du prix de ce petit volume, d'acheter ce bouquin dont la partie « Chroniques » est étonnamment lisible par quelqu'un du XXI-ième siècle non entraîné à la langue de Barthes. L'essai « le Mythe, aujourd'hui » est nettement plus
raide et il me faudra sans doute un peu de temps pour le digérer.
Les lecteurs de galerie-photo liront avec intérêt ces chroniques liées à la photo et à l'image :
L'acteur d'Harcourt, Iconographie de l'Abbé Pierre, le visage de Garbo, Photo-Chocs, Photogénie électorale.
Après ce long préambule, j'aimerais lancer un débat sur le thème :
Avons-nous aujourd'hui besoin de mythes-barthiens en photographie ?
Je précise bien : mythe-barthien car je conteste toujours aussi formellement le glissement de sens que Barthes donne au mot mythe, mais ce débat est sans intérêt. Au début de la partie « le Mythe, aujourd'hui », Barthes réfute avant même de commencer toute objection protestataire contre ce glissement de sens : « Le mythe est une parole », Barthes note en bas de page :
« On m'objectera mille autres sens du mot mythe
. Mais j'ai cherché à définir des choses, non des mots.»
Rideau, donc inutile de discuter. Chacun peut prendre le mot comme il veut. Et Roland Barthes n'est plus là
(depuis 30 ans déjà !) pour argumenter avec nous, hélas.
Mon point de vue est simpliste,
nous n'avons plus besoin de mythes-barthiens photographiques.
Internet nous apporte des images, des débats sur nos forums, suivi de rencontres dans la vraie vie, Internet nous aide à acheter des bouquins inaccessibles auparavant, nous incite à lire, à voir et juger sur pièces et par nous-mêmes avec l'aide des copains plus calés que nous, dans un échange permanent. Les appareils photo, pellicules & outils photographiques professionnels classiques qui faisaient rêver les amateurs du siècle dernier se trouvent en occasion à des prix abordables, chacun peut les manipuler, se les approprier et confronter ses rêves avec la réalité. Vous êtes professionnels ? C'étaient vos outils, vous ne vous en servez plus, encore moins de mythologie là-dedans : direct-poubelle comme on dit parfois à Moisenay, une phrase-choc qui, heureusement, n'est jamais appliquée par l'Archevêque pour tout son matos-à-film !!
Ces échanges d'expériences devraient, en principe, exclure le mythe-barthien, la répétition bêtasse des propos communs sur tel ou tel matériel, tel ou tel auteur ; bref tous les
outils matériels et intellectuels sont à notre libre disposition, pour exercer notre habileté manuelle et artistique et notre esprit critique. Tout semble nous être donné comme jamais auparavant pour échapper à cette dictature publicitaire que Barthes déchire à belles dents au milieu des années 1950....
C'est un strict point de vue d'ingénieur, je le revendique, et sur ce point, Barthes est d'accord, car à la fin de l'essai il note :
« Une dernière exclusion menace le mythologue : il risque sans cesse de faire s'évanouir le réel qu'il prétend protéger. Hors de toute parole, la DS 19 est un objet technologiquement défini : elle fait une certaine vitesse, elle affronte le vent d'une certaine façon, etc... Et ce réel là, le mythologue ne peut en parler. Le mécano, l'ingénieur, l'usager même parlent
l'objet ; le mythologue, lui est condamné au méta-langage. »
En ce qui me concerne, je n'ai pas besoin qu'on m'explique en méta-langage ce qu'est un posemètre Weston ou un palladium de JC. Mougin !
Quant au portrait photographique, les méta-mangas de l'archevêque de Moisenay me suffisent ! ;-);-)
post-scriptum :
je suis d'accord avec Zoran pour rester insensible voire même franchement en désaccord avec ce que Barthes dit de la nouvelle Citroën de 1955 en page 140 de « Mythologies » ; mais hélas, je n'ai qu'un point de vue d'ingénieur, de mécano, d'usager... je trouve que le texte a mal vieilli. En revanche, la lourde charge militante contre la réclame des lessives, lue 55 ans plus tard, n'a rien perdu de son actualité !
Coluche dû lire Barthes !!
E.B.
Modifié 7 fois. Dernière modification le 29/05/2010, 13:37 par Emmanuel Bigler.