Revêche plutôt. Tu le sens comment?
Très difficile à dire.
Son succès l'âge venant, les prix record atteints par certains de ses tirages, nous cachent sa personnalité.
Seuls ceux qui l'ont connu personnellement pourraient le dire.
Sa sélection d'images imprimées dans des livres de grande diffusion, des cartes postales, des calendriers, nous occultent toute la partie de son travail de photographe "commercial", c'est ce que je disais plus haut.
De ses portraits je ne connais que ceux qui sont dans le "making of" et dans ses bouquins les plus connus, très peu d'images, très peu de protraits, surtout si on met en face le travail d'August Sander, que je ne connais que depuis quelques années seulement !
L'admiration dont AA fait l'objet aux É-U en remet une couche opaque qui nous empêche de comprendre.
Le connaissant surtout par ses bouquins didactiques et ses images consacrées, je n'en connais donc que sa face "très professionnelle" comme on dit là-bas. Et aux É-U, "very professional" implique : très sérieux, qui ne rigole pas.
J'ai un bouquin à la maison, où en plus de quelques images, il y a des textes de sa main, en particulier des lettres qu'il écrit à sa femme lorsqu'il est dans l'un des États autour des "4 coins" à faire des photos, hébergé chez des amis.
Ces textes en disent un peu plus sur la fascination réelle que les paysages de l'Ouest exercent sur lui. Ayant passé son enfance à San Francisco dans une espèce d'étrange oasis de fraîcheur brumeuse, il n'a aucune raison de connaître l'Arizona ni le Nouveau Mexique, mais il connaît très bien Yosemite qui n'est qu'à 4-5 heures de route de la côte, et qui est un lieu complètement hors norme par rapport à l'ennui pesant de la grande plaine centrale californienne, par exemple. Ceux qui fréquentent régulièrement le Haut Pays bernois ou qui connaissent la face du Piz Badile dans l'Engadine ne sont pas particulièrement impressionnés par El Capitan, un peu plus par la forme extravagante du Half Dome, e t reconnaissent que ça fait de toutes façons un beau sujet photographique (tout le monde n'est pas du niveau à gravir ces parois verticales).
Donc je dirais que Saint Ansel est un prophète de la nature, il transmet par ses images la vision de John Muir, à qui on doit la notion même de préservation de la Nature et l'invention des Parcs Nationaux aux É-U bien longtemps avant "chez nous".
Certes, on pourrait arguër très sévèrement, après avoir lu
"Ishi" dans la collection "Terre Humaine" qu'il était bien temps en Californie de s'occuper de préserver la Nature, après l'avoir totalement vidée de ceux qui y habitaient depuis quelques dizaines de milliers d'années. Et avant d'avoir tronçonné comme c'est le cas aujourd'hui, 90% des "redwoods" côtiers.
Autrement dit, il est difficile de comprendre le succès de Saint Ansel sans avoir parcouru comme lui les routes de l'Ouest et sans avoir partagé comme lui un enthousiasme simple et direct que nous autres Européens avons un peu de mal à comprendre. Du moins : avions un peu de mal à comprendre jusqu'aux années 1960.
Bref, le fait que AA s'intéresse plus aux rochers et aux yuccas qu'aux gens et n'ait fait que très peu de portraits ne me gêne guère, j'admets volontiers que Beethoven n'a pas été un grand compositeur pour orgue, où est le problème ?
Mais je suis monté au sommet du Half Dome de Yosemite par la voie normale (un magnifique sentier se terminant par une espèce de via ferrata boulonnée l'été sur le granit lisse). J'ai vu les cascades photographiées par Saint Ansel ainsi que la face verticale du Half Dome sous différents angles. j'ai vu l'effet produit sur le public par cet environnement magnifique.
Et concernant les hommes qui vivaient là bas avant le XIXe siècle, peut-être que mon plus beau souvenir est un tour à Navajo National Monument (Arizona) en hiver ; il y avait une bonne famille en visite pieuse comme à l'église, le père de famille lisait le texte pris au visitor's center à chaque "station" (voici le yucca dont les Indiens, etc, voici telle plante, voici telle roche ..), les enfants sages écoutaient religieusement en tenant la main de leur mère. C'était beau, il était très dificile d'ironiser, sur le terrain enneigé par un soleil radieux, les roches rouges, les genevriers verts, le ciel bleu, la vue à l'infini sans voile atmosphérique.
Et en ayant vu cela, et après avoir vu en ville à San Francisco quelques tirages originaux de AA dont le half dome de 1927, j'ai compris l'enthousiasme de Saint Ansel devant les paysages et son succès.
Mais pourquoi le portrait en tant que genre ne lui convenait pas, je ne sais pas.
E.B.