Auteur: Renan
Date: 16-04-2008 19:47
Bonjour Henri,
C'est vrai que tout le monde aime le "génie" en matière d'art.
Comme en amour, il y a une sorte de cristallisation toute stendhalienne dans le processus d'adoubement des artistes.
Tout cela a effectivement partie liée avec la croyance, et c'est bien souvent un peu ridicule.
Ce que je voulais dire, c'est que même pour un artiste relativement conceptuel (en opposition avec la queue de l'âne) je ne crois pas véritablement en l'existence d'une pré -conceptualisation totale. Pour moi la plupart des photographes posent des axiomes de base, conscients ou non, verbalisés ou pas, avant d'effectuer un travail.
Lors de la réalisation, l'ensemble de l'idée de base est souvent amenée à se transformer, il y a une intellectualisation dynamique qui se fait en même temps voire après la production de l'oeuvre dans ce que l'on pourrait appeler un système intellectualisation -production.
L'autre jour je lisais un article sur Wall, dans le blog de lunettes rouges. C'était un commentaire sur la photo du type à la bouteille de lait très justement appelée "milk". Bon, le blogeur pétri d'admiration (ce que je comprends) écrit:
"Mais regardons mieux: Jeff Wall n’a pas limité son image à l’homme et au mur de briques, regardons le tiers gauche de la photo; connaissant l’artiste et son souci de la composition, ce n’est sûrement pas innocent. Le sol d’abord: légèrement en pente, le béton net du trottoir se voit envahi de terre, de végétation, le minéral impersonnel laisse la place au flou, au vivant, au désordonné. Et les murs: après la brique régulière, un trou noir, inexpliqué, mystérieux, absorbant; puis d’autres briques, mais bien différentes, artisanales, petites, irrégulières, de différentes teintes, marquées par des traces, des cicatrices; enfin une vitre sale derrière laquelle on devine un escalier montant, une rampe. Et c’est vers ce tiers gauche de la photo que le flot du lait entraîne notre regard, vers cet univers moins normé, plus sauvage, plus vivant auquel aspire peut-être notre personnage, rageant d’être enfermé dans le monde trop rationnel, aux briques trop régulières; son rêve, sa frustration s’exprimeraient alors par l’envolée du lait vers un autre monde. En refusant de raconter une histoire, mais en composant ses photos avec science, Jeff Wall nous laisse aller là où notre imagination nous entraîne, mais ne nous y conduit pas."
Maintenant je vais te dire ce que j'en pense mais je vais avoir une approche de pratiquant. Il y a quelques indices à remarquer.
1) le sol n'est pas trempé à côté du bonhomme.
2) la photo date de 1984, époque à laquelle Wall ne vendait pas ses photos 400 000$ et on peut donc supposer que ses budgets n'étaient pas illimités d'autant plus qu'il bossait en 4*5: donc pas de rafale, et relativement peu de prises.
Conclusion pour moi: le critique exprime un a -priori de contrôle total par l'artiste qui confine à la cul -béniterie. En fait, on peut faire plusieurs suppositions:
1) soit Wall a effectivement été convaincu d'un cadre unique et alors il a dû attendre que le sol sèche à chaque prise. Ce qui nous fait quatre photos par demi journée avec un acteur qui pique une crise à force d'attendre (sans doute un élève ou un copain du reste).
2) soit il a décalé la prise à chaque fois de quelques mètres et à ce moment là tout l'argumentaire du critique sur ce que veut exprimer l'artiste tombe à l'eau. Or c'est la solution qui me paraît la plus vraisemblable.
On retombe donc bien sur l'expression d'une croyance qui porte les atours de la rationalité.
Voilà pourquoi je me méfie des interprétations, bien qu'il en faille, puisque de surcroît, elles nourrissent aussi les artistes.
Renan.
J'aime beaucoup ta dernière remarque sur l'art laïque. D'ailleurs on observe dans nos sociétés laïques, combien la défense de l'art a remplacé celle de la religion, ce qui donne lieu a une incompréhension avec les sociétés qui sont elles fondées sur la croyance religieuse.
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