Auteur: mougin
Date: 14-02-2008 09:11
Le théoricien du jugement esthétique est le philosophe Kant. Je vous propose ici un petit topo qui peut être mettra tout le monde d'accord. petit pensum très scolaire je le reconnais. Mais il est toujours possible de s'en remettre à sa théorie du jugement esthétique.
Quelle est la problématique kantienne ?
Le problème du jugement de goût et de l’art en général tient à ce qu’il entretient avec la science une relation à la fois d’identité et de différence.
1. De différence d’abord : il y a bien de la différence entre dire d’une oeuvre d’art qu’elle est belle et dire d’un raisonnement qu’il est vrai. Dans le premier cas, le jugement n’a pas de valeur strictement scientifique. Il n’y a pas d’indices objectifs qui permettent de reconnaître la beauté d’une oeuvre, de sorte que personne ne peut contraindre quelqu’un à reconnaître la beauté d’un objet, alors qu’il sera obligé de reconnaître la vérité d’un raisonnement ou d’une démonstration. Le beau ne peut être l’objet de démonstration. Peut-on alors en tirer la conséquence qu’en matière de jugement de goût c’est l’arbitraire qui règne. Comme le dit le sens commun, « des goûts et des couleurs on ne discute pas », « à chacun son goût’ , telle est l’opinion que Kant va remettre radicalement en cause.
2. D’identité ensuite : en effet, comme il en est pour la science, le jugement esthétique comporte une exigence d’universalité. En présence d’une oeuvre d’art que nous trou-vons belle nous ne pouvons contraindre les autres à partager notre jugement. Toutefois, il nous semble incompréhensible que les autres ne partagent pas notre jugement. Nous ne pouvons comprendre que les autres puissent déclarer laid ce que nous déclarons beau. Le 21e concerto de Mozart est beau, il est peau pour moi, il doit donc être beau pour tous, universellement. C’est en ce sens que le jugement de goût entretient bien une relation, sinon d’identité, du moins de proximité avec la science. Plus qu’un jugement d’opinion, il s’agit là d’un jugement qui prétend devoir être reconnu par tous comme s’il s’agissait d’une vérité scientifique universellement acceptable.
Le jugement de goût fait donc problème : trop loin de la science pour que la beauté puisse faire l’objet d’une apprécia-tion objective, il n’en est pas suffisamment éloigné pour que la beauté puisse être livrée à l’opinion de chacun. C’est à cette difficulté que Kant apporte une solution par sa théorie du beau.
Le jugement de goût est un jugement esthétique. Son principe est subjectif car il comporte un sentiment de plaisir ou de peine, portant sur des objets singuliers. Il faut alors le distinguer du jugement de connaissance dont le principe est objectif et qui porte sur les concepts des objets. Il a pour objet le général et ne peut donc faire intervenir le sentiment. « Les roses sont des fleurs » est un jugement de connaissance. « Cette rose est belle » est un jugement esthétique. Le jugement de connaissance porte sur la rose en général, sur l’espèce dont chaque membre possède les caractères communs. Le jugement esthétique porte sur ce qui est particulier, cette rose que je regarde. Et seule la rose peut être dite belle. Un concept, un objet en général n’a rien de beau : « Quand on juge des objets simplement par concepts, toute représentation de la beauté se perd ».
Kant ici se place aux antipodes de Platon pour qui la beauté concernait l’Idée, le concept de la beauté. La beauté, c’était le Beau en soi, l’essence ou l’Idée. Pour Kant, la beauté est toujours celle d’une chose sensible, d’un objet particulier. La raison de cette opposition tient à ce que pour Kant la beauté relève d’abord du sentiment de la beauté. C’est le sentiment de plaisir que j’éprouve en face d’une oeuvre qui me fait la dé-clarer belle et seuls des objets singuliers ont le pouvoir d’éveiller des sentiments. Le sentiment est nécessairement une affection qui ne peut porter que sur des objets singuliers. Le jugement de goût, ayant pour principe le sentiment, sera avant tout un jugement singulier et subjectif. Cette rose est belle pour moi qui la regarde et qui éprouve du plaisir à la regarder. En ce sens personne ne peut juger pour moi qui la regarde et qui éprouve du plaisir à la regarder. En ce sens, personne ne peut juger pour moi, parce que personne ne peut sentir à ma place. Pourtant, selon Kant le plaisir esthétique n’est pas un plaisir sensuel.
Le plaisir esthétique n’est pas un plaisir sensuel
Le plaisir sensuel est relatif à-ce qui est agréable. Est agréable est ce qui plaît aux sens.
1. C’est un plaisir intéressé, il n’a d’intérêt que pour l’objet, rien ne le dépasse.
2. C’est un plaisir naturel, il n’est besoin que d’avoir des sens pour l’éprouver
3. C’est un plaisir égoïste qui n’a de valeur que singu-lière. Dans le domaine du plaisir sensuel, tous les goûts sont dans la nature. Ce qui m’est agréable peut très bien être désa-gréable à autrui.
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Le plaisir esthétique est relatif à ce qui est beau. Le beau n’a rien de commun avec l’agréable.
1. Il est désintéressé. Il n’exprime aucun intérêt pour l’objet lui-même, son existence. Ce n’est pas l’objet, mais sa représentation qui suscite en moi un plaisir. La beauté n’existe que dans la relation de ce sentiment à l’objet. Les choses ne sont pas belles en soi, la beauté n’est pas une propriété objective des choses. Elles ne le sont que pour un sujet à qui elles procurent un sentiment de satisfaction. Aussi le plaisir esthétique est-il désintéressé. Si je juge beau le palais que j’ai sous les yeux, je ne m’intéresse pas du tout à son existence, ni à ce qu’il représente, ni à son histoire, ni à la vanité des grands. Je ne considère que le sentiment en moi qui me fait dire que ce palais est beau. De même il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour apprécier la beauté d’une église romane ou de la chapelle du Corbusier.
2. Le goût esthétique est acquis. Il s’éduque, se forme par la fréquentation des oeuvres. Il n’est pas donné naturellement comme l’est le génie, ce qui explique que certains en soient totalement dépourvus.
3. Le plaisir esthétique contient le principe d’une satisfaction pour tous. Il faut, en effet distinguer deux sortes de jugements. Celui qui dit que cette oeuvre me plaît, et celui qui affirme que cette oeuvre est belle. Le premier énonce un jugement singulier qui ne concerne que moi, qui n’engage que moi. Le second énonce un jugement singulier qui doit être accepté par tous, ou du moins qui en comporte l’exigence. Deux choses sont ici à remarquer. D’une part, je peux déclarer belle une oeu-vre qui ne me plaît pas. Quand j’affirme ne pas aimer la musi-que de Bartok, je dis par là qu’elle ne me donne pas de plaisir. Je n’en ignore pas pour autant sa beauté. D’autre part je peux déclarer que ce que moi je juge beau est valable universellement sans que pour autant tous partagent effectivement mon jugement. Par contre celui qui ne reconnaît pas comme moi la beauté de la musique de Mozart ne montre qu’une chose : il n’a pas de goût. Il faudrait donc que le goût soit développé chez tous les hommes pour que l’on puisse dire d’un jugement singulier qu’il est valable pour tous, universellement.
Que penser de la maxime : « à chacun son goût »
Le jugement de goût, la faculté de juger le beau a pour principe un sentiment. Son fondement est subjectif parce qu’il n’y a de sentiments que singuliers. Il faut donc le distinguer du jugement de connaissance dont le principe est objectif et dont la finalité est d’établir la vérité. Pour être vrai, un jugement doit être universel et tout homme nécessairement doit l’accepter. Il en est ainsi pour des vérités du type : tous les corps sont pe-sants,( a+b = a + b + 2ab).
Le jugement esthétique, quant à lui, fait problème, car bien qu’il soit singulier - c’est moi qui juge cette rose belle -, il prétend toutefois à l’adhésion de tous.
Il se distingue alors du jugement ayant pour principe le plaisir des sens. Celui-ci comme le jugement de goût est singulier. Par contre, il ne prétend pas l’adhésion de tous, et ne concerne que celui qui l’énonce. Si j’affirme : « le Chablis est un vin délicieux », ce jugement n’engage que moi et il serait absurde de prétendre qu’il puisse contraindre le goût d’autrui. « A chacun son goût »
Par contre dans le domaine du goût exprimé par un jugement esthétique, "Ôquelle belle trichrom'e" cette maxime « à chacun son goût » n’a plus aucun sens. Un tel jugement ne concerne pas un plaisir des sens, mais un plaisir esthétique. Ce que je déclare beau ne concerne pas ma seule appréciation mais engage le goût d’autrui. Je ne puis trouver du plaisir à contempler les fresques de Piero della Francesca que si je pense qu’il en sera de même pour quiconque entrera dans l’église d’Arezzo. Quiconque, comme moi doit y trouver le même plaisir, la même satisfaction. Par conséquent, le jugement de goût bien que singulier dans son principe prétend à l’adhésion de tous et rend donc inacceptable la maxime « à chacun son goût.
Il y a autant de plaisirs des sens que d’individus capables de sentir. Cela est vrai. Mais ce n’est qu’en cédant à l’opinion, à la doxa, que l’on pourrait admettre la maxime « à chacun son goût ». Il appartient en effet au sens commun de confondre le goût, plaisir des sens, avec le goût esthétique, de confondre le plaisant et le joli avec le beau.
Mon plaisir ne suffit donc pas à décider de la beauté. Une chose agréable n’est pas nécessairement une belle chose. La beauté participe bien d’une autre exigence, elle prétend à l’universalité.
Mais cette exigence ne va pas de soi, elle aussi fait problème. Tous devraient sentir la même satisfaction que moi devant l’œuvre que j’estime belle. « Tous devraient » , mais de fait il n’en est rien. Ce plaisir, je ne peux que le partager avec d’autres hommes de goût. Le goût résulte d’une éducation, d’une longue fréquentation des oeuvres et ne peut donc être universellement répandu. C’est seulement idéalement et non effectivement, en droit et non en fait que le jugement de goût est universalisable.
Aussi le problème du jugement de goût reste-t-il entier. Car comment expliquer qu’un jugement singulier dans son prin-cipe puisse prétendre à l’adhésion de tous donc à l’universalité ? Il ne suffit pas de dire « ah ! si tous les hommes avaient du goût ». Il faut aussi comprendre, comment d’autres que moi peuvent sentir comme moi. Et si le jugement de goût, dans sa prétention, comme dans ses exigences exclut bien la maxime « à chacun son goût », il n’empêche qu’on en revient toujours au même problème. Pourquoi l’œuvre qui me procure un plaisir esthétique doit-elle aussi procurer aux autres un même plaisir.
Il y a là une réalité de l’art qui nous dépasse, qui nous excède et que nous ne parvenons pas à nous expliquer. Faut-il alors en revenir à la thèse de Platon dans « le Banquet », selon laquelle la beauté serait dans les corps la trace visible l’Idée de Beau, sa mémoire. Le désir de ce qui manque, le désir de la beauté, l’émotion qui alors nous saisit, auraient le pouvoir de nous rappeler notre origine et notre destinée, notre part divine. L’expérience esthétique participerait alors à cette réalité excessive du désir qui selon Platon est désir de créer, d’enfanter dans le Beau, désir d’immortalité. La beauté, l’art et le désir ne sont-ils pas les signes excessifs et vivants d’une réalité autre, qui nous fait être sans que nous n’en sachions rien ; le divin. La beauté dans l’art, comme le désir ne font-ils pas de nous des êtres possédés, des “theios aner”, des hommes-divins, des hommes pour le divin ?
Mougin
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