Auteur: erick
Date: 31-01-2008 18:44
C'étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte,
Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l'an de paille sur leur terre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Flairant la pourpre, le cilice, flairant l'ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d'athlètes, de poètes,
C'étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses...
Et d'éventer l'usure et la sécheresse au cœur des hommes investis,
Voici qu'ils produisaient ce goût de paille et d'aromate, sur toutes places de nos villes,
Comme au soulèvement des grandes dalles publiques. Et le cœur nous levait
Aux bouches mortes des Offices. Et le dieu refluait des grands ouvrages de l'esprit.
Car tout un siècle s'ébruitait dans la sécheresse de sa paille, parmi d'étranges désinences : à bout de cosses, de siliques, à bout de choses frémissantes,
Admirables folles ! Il ne vous manque que la paresse,
Comme un grand arbre sous ses hardes et ses haillons de l'autre hiver, portant livrée de l'année morte ;
Comme un grand arbre tressaillant dans ses crécelles de bois mort et ses corolles de terre cuite -
Très grand arbre mendiant qui a fripé son patrimoine, face brûlée d'amour et de violence où le désir encore va chanter.
"O toi, désir, qui vas chanter..." Et ne voilà-t-il pas déjà toute ma page elle-même bruissante,
Comme ce grand arbre de magie sous sa pouillerie d'hiver : vain de son lot d'icônes, de fétiches,
Cachée derrière un pilier, elle vit pivoter le sicaire,
Berçant dépouilles et spectres de locustes ; léguant, liant au vent du ciel filiales d'ailes et d'essaims, lais et relais du plus haut verbe -
Ha ! très grand arbre du langage peuplé d'oracles, de maximes et murmurant murmure d'aveugle-né dans les quinconces du savoir...
La sœur jardinière montrait un bel épi à l'arrivée des moines,
"O vous que rafraîchit l'orage... Fraîcheur et gage de fraîcheur..." Le Narrateur monte aux remparts. Et le Vent avec lui. Comme un Shaman sous ses bracelets de fer :
Vêtu pour l'aspersion du sang nouveau - la lourde robe bleu de nuit, ruban de faille cramoisie, et la mante à longs plis à bout de doigts pesée.
Il a mangé le riz des morts ; dans leurs suaires de coton il s'est taillé droit d'usager. Mais sa parole est aux vivants ; ses mains aux vasques du futur.
Les sœurs se lèvent au couchant et se passent de pain jusqu'aux matines,
Et sa parole nous est plus fraîche que l'eau neuve. Fraîcheur et gage de fraîcheur... "O vous que rafraîchit l'orage..."
(Et qui donc ne romprait, du talon ne romprait l'enchaînement du chant ?) Se hâter, se hâter ! Parole de vivant !
À force de butter, les hommes verront leurs mythes disparaître,
Le Narrateur monte aux remparts dans la fraîcheur des ruines et gravats. La face peinte pour l'amour comme aux fêtes du vin... "Et vous avez si peu de temps pour naître à cet instant !"
Jadis, l'esprit du dieu se reflétait dans les foies d'aigles entrouverts, comme aux ouvrages de fer du forgeron, et la divinité de toutes parts assiégeait l'aube des vivants.
Divination par l'entraille et le souffle et la palpitation du souffle ! Divination par l'eau du ciel et l'ordalie des fleuves...
Et de tels rites furent favorables. J'en userai. Faveur du dieu sur mon poème ! Et qu'elle ne vienne à lui manquer !
"Favorisé du songe favorable" fut l'expression choisie pour exalter la condition du sage. Et le poète encore trouve recours dans son poème,
Reconnaissant pour excellente cette mantique du poème, et tout ce qu'un homme entend aux approches du soir ;
Ou bien un homme s'approchant des grandes cérémonies majeures où l'on immole un cheval noir. - "Parler en maître, dit l'Ecoutant."
C'étaient de très grandes forces en croissance sur toutes pistes de ce monde, et qui prenaient source plus haute qu'en nos chants, en lieu d'insulte et de discorde ;
Qui se donnaient licence par le monde - ô monde entier des choses - et qui vivaient aux crêtes du futur comme aux versants de glaise du potier...
Au chant des hautes narrations du large, elles promenaient leur goût d'enchères, de faillites ; elles disposaient, sur toutes grèves, des grands désastres intellectuels,
Et sur les pas précipités du soir, parmi les pires désordres de l'esprit, elles instituaient un nouveau style de grandeur où se haussaient nos actes à venir ;
Ou disputant, aux îles lointaines, des chances du divin, elles élevaient sur les hauteurs une querelle d'Esséniens où nous n'avions accès...
Par elles prospéraient l'erreur et le prodige, et la sauterelle verte du sophisme ; les virulences de l'esprit aux abords des salines et la fraîcheur de l'érotisme à l'entrée des forêts ;
Par elles l'impatience aux rives feintes des Mers mortes, aux cimes peintes de vigognes, et sur toutes landes de merveille où s'assemblent les fables, les grandes aberrations du siècle...
Elles infestaient d'idées nouvelles la laine noire des typhons, le ciel bas où voyagent les beaux édits de proscription,
Et propageant sur tous les sables la salicorne du désir, elles promettaient semence et sève de croissance comme délice de cubèbe et de giroflier,
Elles promettaient murmure et chant d'hommes vivants, non ce murmure de sécheresse dont nous avons déjà parlé.
Achève, Narrateur !... Elles sifflaient aux portes des Curies. Elles couchaient les dieux de pierre sur leur face, le baptistère sous l'ortie, et sous la jungle le Bayon.
Elles libéraient la source sous la ronce et le pavé des Rois - dans les patios des Cours de Comptes et dans les Jeux de Paume, dans les ruelles juchées d'estampes, d'incunables et de lettres de femmes.
Elles épousaient toute colère de la pierre et toute querelle de la flamme ; avec la foule s'engouffraient dans les grands songes bénévoles, et jusqu'aux Cirques des faubourgs, pour l'explosion de la plus haute tente et son échevèlement de fille, de Ménade, dans un envol de toiles et d'agrès...
Elles s'en allaient où vont les hommes sans naissance et les cadets sans majorat, avec les filles de licence et les filles d'Eglise, sur les mers catholiques couleur de casques, de rapières et de vieilles châsses à reliques,
Et s'attachant aux pas du Pâtre, du Poète, elles s'annexaient en cours de route la mouette mauve du Mormon, l'abeille sauvage du désert et les migrations d'insectes sur les mers, comme fumées de choses errantes prêtant visière et ciel de lit aux songeries des femmes sur la côte.
*
Ainsi croissantes et sifflantes au tournant de notre âge, elles descendaient des hautes passes avec ce sifflement nouveau où nul n'a reconnu sa race,
Et dispersant au lit des peuples, ha ! dispersant - qu'elles dispersent ! disions-nous - ha ! dispersant
Balises et corps morts, bornes militaires et stèles votives, les casemates aux frontières et les lanternes aux récifs ; les casemates aux frontières, basses comme des porcheries, et les douanes plus basses au penchant de la terre ; les batteries désuètes sous les palmes, aux îles de corail blanc avilies de volaille ; les édicules sur las caps et les croix aux carrefours ; tripodes et postes de vigie, gabions, granges et resserres, oratoire en forêt et refuge en montagne ; les palissades d'affichage et les Calvaires aux détritus ; les tables d'orientation du géographe et le cartouche de l'explorateur ; l'amas de pierres plates du caravanier et du géodésien ; du muletier peut-être ou suiveur de lamas ? et la ronce de fer aux abords des corrals, et la forge de plein air des marqueurs de bétail, la pierre levée du sectateur et le cairn du landlord, et vous, haute grille d'or de l'Usinier, et le vantail ouvragé d'aigles des grandes firmes familiales...
Ha ! dispersant - qu'elle dispersent ! disions-nous - toute pierre jubilaire et toute stèle fautive,
Elles nous restituaient un soir la face brève de la terre, où susciter un cent de vierges et d'aurochs parmi l'hysope et la gentiane.
Ainsi croissantes et sifflantes, elles tenaient ce chant très pur où nul n'a connaissance.
Et quand elles eurent démêlé des oeuvres mortes et vivantes, et du meilleur l'insigne,
Voici qu'elles nous rafraîchissaient d'un songe de promesses, et qu'elles éveillaient pour nous, sur leurs couches soyeuses,
Comme prêtresses au sommeil et filles d'ailes dans leur mue, ah ! comme nymphes en nymphose parmi les rites d'abeillage - lingeries d'ailes dans leur gaine et faisceaux d'ailes au carquois -
Les écritures nouvelles encloses dans les grands schistes à venir...
O fraîcheur dans la nuit où fille d'aile se fit l'aube : à la plus haute cime du péril, au plus haut front
De feuilles et de frondes !... "Enchantez-moi, promesse, jusqu'à l'oubli du songe d'être né..."
Et comme celui qui a morigéné les Rois, j'écouterai monter en moi l'autorité du songe.
Ivre, plus ivre, disais-tu, d'avoir renié l'ivresse... Ivre, plus ivre, d'habiter
La mésintelligence.
Tout à reprendre. Tout à redire. Et la faux du regard sur tout l'avoir menée !
Un homme s'en vint aux galeries de pierre des Bibliothécaires. - Basilique du Livre !... Un homme aux rampes de sardoine, sous les prérogatives du bronze et de l'albâtre. Homme de peu de nom. Qui était-il, qui n'était-il pas ?
Et les murs sont d'agate où se lustrent les lampes, l'home tête nue et les mains lisses dans les carrières de marbre jaune - où sont les livres au sérail, où sont les livres dans leurs niches, comme jadis, sous bandelettes, les bêtes de paille dans leurs jarres, aux chambres closes des grands Temples - les livres tristes, innombrables, par hautes couches crétacées portant créance et sédiment dans la montée du temps...
Et les murs sont d'agate où s'illustrent les lampes. Hauts murs polis par le silence et par la science, et par la nuit des lampes. Silence et silencieux offices. Prêtres et prêtrise. Sérapéum !
A quelles fêtes du Printemps vert nous faudra-t-il laver ce doigt souillé aux poudres des archives - dans cette pruine de vieillesse, dans tout ce fard de Reines mortes, de flamines - comme aux gisements des villes saintes de poterie blanche, mortes de trop de lune et d'attrition ?
Ha ! qu'on m'évente tout ce loess ! Ha ! qu'on m'évente tout ce leurre ! Sécheresse et supercherie d'autels... Les livres tristes, innombrables, sur leur tranche de craie pâle...
Et qu'est-ce encore, à mon doigt d'os, que tout ce talc d'usure et de sagesse, et tout cet attouchement des poudres du savoir ? comme aux fins de saison poussière et poudre de pollen, spores et sporules de lichen, un émiettement d'ailes et piérides, d'écailles aux volves des lactaires... toutes choses faveuses à la limite et lies à bout d'avilissement - cendres et squames de l'esprit.
Ha ! tout ce parfum tiède de lessive et de fomentation sous verre... de terres blanches à sépulcre, de terres blanches à foulon et de terre de bruyère pour vieilles Serres Victoriennes... toute cette fade exhalaison de soude et de falun, de pulpe blanche de coprah, et de sécherie d'algues sous leurs thalles aux feutre gris des grands herbiers,
Ha ! tout ce goût d'asile et de casbah, et cette pruine de vieillesse aux moulures de la pierre - sécheresse et supercheries d'autels, carie de grèves à corail, et l'infection soudaine, au loin, des grandes rames de calcaire aux trahisons de l'écliptique...
S'en aller ! s'en aller ! Parole de vivant !
.. Eâ, dieu de l'abîme, ton bâillement n'est pas plus vaste.
Des civilisations s'en furent aux feux des glaces, avec la flamme des grands vins,
Et les aurores descendues des fêtes boréales, aux mains de l'habilleuse,
N'ont pas encore changé leur jeu de lingerie.
Nous coucherons ce soir les saisons mortes dans leur robes de soirée, dans leurs dentelles de vieil or,
Et comme un chant d'oublies sur le pas des armées, au renversement des tables de Merveilleuses, de Gandins,
Notre stance est légère sur le charroi des ans !
Ne comptez pas sur moi pour les galas d'adieux des Malibrans.
Qui se souvient encore des fêtes chez les hommes ? - les Pâlilies, les Panonies,
Christmas et Pâques et la Chandeleur, et le Thanksgiving day...
Vous qui savez, rives futures, où résonneront nos pas,
Vous embaumez déjà la pierre nue et le varech des font nouveaux.
Les livres au fleuve, les lampes aux rues, j'ai mieux à faire sur nos toits de regarder monter l'orage.
Que si la source vient à manquer d'une plus haute connaissance,
L'on fasse coucher nue une femme seule sous les combles -
Là même où furent, par milliers, les livres tristes sur leurs claies comme servantes et filles de louange...
Là, qu'il y ait un lit de fer pour une femme nue, toutes baies ouvertes sur la nuit.
Femme très belle et chaste, agréée entre toute femmes de la Ville
Pour son mutisme et pour sa grâce et pour sa chair irréprochable, infusée d'ambre et d'or aux approches de l'aine,
Femme odorante et seule avec la Nuit, comme jadis, sous la tuile de bronze,
Avec la lourde bête noire au front bouclé de fer, pour l'accointement du dieu,
Femme loisible au flair du Ciel et pour lui seul mettant à vif l'intimité de son être...
Là qu'elle soit favorisée du songe favorable, comme flairée du dieu dont nous n'avons mémoire,
Et frappée de mutisme, au matin, qu'elle nous parle par signes et par intelligences du regard.
Et dans les signes du matin, à l'orient du ciel, qu'il y ait aussi un sens et une insinuation...
Ainsi quand l'Enchanteur, par les chemins et par les rues,
Va chez les hommes de son temps en habit du commun,
Et qu'il a dépouillé toute charge publique,
Homme très libre et de loisir, dans le sourire et la bonne grâce,
Le ciel pour lui tient son écart et sa version des choses.
Et c'est par un matin, peut-être, pareil à celui-ci,
Lorsque le ciel en Ouest est à l'image des grandes crues,
Qu'il prend conseil de ces menées nouvelles au lit du vent.
Et c'est conseil encore de force et de violence.
"Ivre, plus ivre, disais-tu, de renier l'ivresse..."
Un homme encore se lève dans le vent. parole brève comme éclat d'os. Le pied déjà sur l'angle de la course...
"Ah ! oui, toutes choses descellées ! Qu'on se le dise entre vivants !
"Aux bas quartiers surtout - la chose est d'importance.
"Et vous, qu'allez-vous faire, hommes nouveaux, des lourdes tresses dénouées au front de l'heure répudiée ?
"Ceux qui songeaient les songes dans les chambres se sont couchés hier soir de l'autre côté du Siècle, face aux lunes adverses.
"D'autres ont bu le vin nouveau dans les fontaines peintes au minium. Et de ceux-là nous fûmes. Et la tristesse que nous fûmes s'en aille au vin nouveau des hommes comme aux fêtes du vent !
"Fini le songe où s'émerveille l'attente du Songeur,
"Notre salut est dans la hâte et la résiliation. L'impatience est en tous lieux. Et par-dessus l'épaule du Songeur l'accusation de songe et d'inertie.
"Qu'on nous cherche aux confins les hommes de grand pouvoir, réduits par l'inaction au métier d'Enchanteurs.
"Hommes imprévisibles. Hommes assaillis du dieu. Hommes nourris au vin nouveau et comme percés d'éclairs.
"Nous avons mieux à faire de leur force et de leur oeil occulte.
"Notre salut est avec eux dans la sagesse et dans l'intempérance."
... Et la tristesse que nous fûmes s'en aille encore au vin des hommes !
Nous y levons face nouvelle, nous y lavons face nouvelle; Contractants et témoins s'engagent sur les fonts.
Et si un homme auprès de nous vient à son visage de vivant, qu'on lui tienne de force la face dans le vent !
Les dieux qui marchent dans le vent ne lèvent pas en vain le fouet.
Ils nous disaient - vous diront-ils ? - qu'un cent d'épées nouvelles s'avive au fil de l'heure.
Ils nous aiguiseront encore l'acte, à sa naissance, comme l'éclat de quartz ou d'obsidienne à la pointe des flèches.
"Divinités propices à l'éclosion des songes, ce n'est pas vous que j'interpelle, mais les Instigatrices ardentes et court-vêtues de l'action.
"Nous avançons mieux nos affaires par la violence et par l'intolérance.
"La condition des morts n'est point notre souci, ni celle du failli.
"L'intempérance est notre règle, l'acrimonie du sang notre bien-être.
Et de grands livres pénétrés de la pensée du vent, où sont-ils donc ? Nos en ferons notre pâture.
"Notre maxime est la partialité, la sécession notre coutume. Et nous n'avons, ô dieux ! que mésintelligence dans la place;"
Nos revendications furent extrêmes, à la frontière de l'humain.
Sifflez, faillis ! les vents sont forts ! Et telle est bien notre prérogative.
Nous nous levons avec ce très grand cri de l'homme dans le vent
Et nous nous avançons, hommes vivants, pour réclamer notre bien en avance d'hoirie.
Qu'on se lève de partout avec nous ! Qu'on nous donne, ô vivants, la plénitude de notre dû !
*
Ha ! oui, toutes choses descellées, ha ! oui, toutes choses lacérées ! Et l'An qui passe, l'aile haute !...
C'est un envol de pailles et de plumes ! une fraîcheur d'écume et de grésil dans la montée des signes ! et la Ville basse vers la mer dans un émoi de feuilles blanches : libelles et mouettes de même vol.
L'impatience encore est de toutes parts. Et l'homme étrange, de toutes côtés, lève la tête à tout cela : l'homme au brabant sur la terre noire, le cavalier en pays haut dans les polypes du ciel bas, et l'homme de mer en vue des passes, dans l'explosion de sa plus haute toile.
Le philosophe babouviste sort tête nue devant sa porte; Il voit la Ville, par trois fois, frappée du signe de l'éclair, et par trois fois la Ville, sous la foudre, comme au clair de l'épée, illuminée dans ses houillères et dans ses grands établissements portuaires - un golgotha d'ordure et de ferraille, sous le grand arbre vénéneux du ciel, portant son sceptre de ramures comme un vieux renne de Saga :
"O vous que rafraîchit l'orage..., fraîcheur et gage de fraîcheur...
"Repris aux dieux votre visage, au feu des forges votre éclat,
"Voici que vous logez de ce côté du Siècle où vous aviez vocation.
"Basse époque, sous l'éclair, que celle qui s'éteint là !
"Se hâter, se hâter ! parole de vivants ! Et vos aînés peut-être sur des civières seront-ils avec vous.
"Et ne voyez-vous pas, soudain, que tout nous vient à bas - toute la mâture et tout, le gréement avec la vergue, et toute la voile à même notre visage - comme un grand pan de croyance morte, comme un grand pan de robe vaine et de membrane fausse -
"Et qu'il est temps enfin de prendre la hache sur le pont ?..."
"Enlèvement de clôtures, de bornes ! Semences et barbes d'herbe
nouvelle ! Et sur le cercle immense de la terre, apaisement au cœur
du Novateur...
"Les grandes invasions doctrinales ne nous surprendront pas, qui
tiennent les peuples sur leur angle comme l'écaille de la terre.
"Se hâter, se hâter ! l'angle croît !... Et dans l'acclamation des
choses en croissance, n'y a-t-il pas pour nous le ton d'une
modulation nouvelle ?
"Nous t'épierons, colchique d'or ! comme un chant de tuba dans
la montée des cuivres.
"Et si l'homme de talent préfère la roseraie et le jeu de clavecin,
il sera dévoré par les chiens."
*
Au buffet d'orgues des passions, exulte, Maître du chant !
Et toi, Poète, ô contumace et quatre fois relaps, la face encore
dans le vent, chante à l'antiphonaire des typhons :
... "Vous qui savez, rives futures, où s'éveilleront nos actes, et
dans quelles chairs nouvelles se lèveront nos dieux, gardez-nous un
lit pur de toute défaillance...
"Les vents sont forts ! les vents sont forts ! Ecoute encore l'orage
labourer dans les marbres du soir.
"Et toi, désir, qui vas chanter, sous l'étirement du rire et la
morsure du plaisir, mesure encore l'espace réservé à l'irruption du
chant.
"Les revendications de l'âme sur la chair sont extrêmes. Qu'elles
nous tiennent en haleine ! Et qu'un mouvement très fort nous porte
à nos limites !
"Enlèvement de clôtures, de bornes... Apaisement au cœur du
Novateur... Et sur le cercle immense de la terre, un même cri des
hommes dans le vent, comme un chant de tuba... Et l'inquiétude
encore de toutes parts... O monde entier des choses..."
*
Maugréantes les mers sous l'étirement du soir, comme un
tourment de bêtes onéreuses engorgées de leur lait.
Murmurantes les grèves, parmi l'herbe grainante, et tout ce grand
mouvement des hommes vers l'action.
Et sur l'empire immense des vivants, parmi l'herbe des sables, cet
autre mouvement plus vaste que notre âge !
... Jusqu'à ce point d'écart et de silence où le temps fait son nid dans un casque de fer - et trois feuilles errantes autour d'un osselet de Reine morte mènent leur dernière ronde.
... Jusqu'à ce point d'eaux mortes et d'oubli, en lieu d'asile et d'ambre, où l'Océan limpide lustre son herbe d'or parmi de saintes huiles - et le Poète tient son oeil sur de plus pures laminaires.
St John Perse
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