Auteur: Henri Peyre
Date: 13-01-2008 11:16
C'est une question très centrale dans l'histoire de l'art depuis les avant-gardes.
Quelques réflexions en vrac :
- quand la photo arrive, grosso modo elle pique le "sujet" à la peinture.
Du coup :
1. Chute des portraitistes,
2. Coup dur porté à l'efficacité du dessin,
3. Les peintres s'adaptent d'abord honteusement, en introduisant la photo dans leur pratique - elle aide bien les nuls en dessin...
4. La peinture, pour garder de l'aura (et donc rester originale - pour rester dans ce fil), se déporte plus radicalement vers la couleur, pas encore menacée par une photographie encore en noir et blanc : on arrive à l'impressionnisme qui théorise abondamment sur la couleur... bien obligé ! (je passe pour l'impressionnisme sur l'invention du tube qui facilite la sortie au grand air et permet de quitter l'atelier et la pratique unique du clair-obscur : c'est vrai, c'est à sa naissance, mais la pression concomittente de la photographie a été très sous-estimée jusqu'ici !)
5. Après l'impressionnisme, et bien porté par le besoin de leadership américain qui va s'appuyer sur les valeurs d'un pays neuf, tout à fait prêt à tuer le père européen, c'est la construction des avant-gardes. La vieille peinture figurative est jetée comme obsolète. La photographie s'occupera du "document" tandis que les "Beaux-Arts" seront convoqués à explorer leurs racines : c'est le dogme de la "pureté du medium". Une peinture c'est d'abord de la peinture, ou du geste peint, ou de la composition... (par rapport au fil : plus on descend dans la spécificité du medium, et plus on s'assure de son originalité... et c'est vrai qu'on peut trouver des choses nouvelles en route aussi) - autant de voies aussi pour les luttes de pouvoir sans fin entre des establishments artistiques éphémères... Le figuratif est ringardisé. Mais en réalité ces dépassements successifs ont l'allure d'une psychanalyse sans fin de beaux-arts bien malades. Cette période se termine avec le moment structuraliste qui explore l'idée que les concepts sont vides par eux-mêmes, et que seul l'étude des relations entre les choses définit les choses elles-mêmes.
6. Du coup, entre un certain retour à la raison, la fatigue, l'impuissance des avant-gardes, le terreau structuraliste en place, on arrive au post modernisme. L'idée se fait que tous ces "dépassements" révolutionnaires n'étaient que des convulsions. A force de tripoter du vide, on ne trouve plus rien. Dans la mesure où il apparaît maintenant que la voie du medium pur a été complètement explorée, et qu'on ne peut plus rien trouver d'original, on en arrive à l'idée que le salut de l'originalité peut venir d'ailleurs, qu'on peut tout mélanger : medium, idées, recomposition d'oeuvres. Le post-modernisme lui-même débouche rapidement sur la notion de "métissage" entre toutes les techniques : peinture, sculpture, littérature, photographie. Un nouveau champ d'exploration se met en place...
On le voit bien, l'histoire de l'art travaille complètement sur cette question de nouveauté et d'originalité, et la mise en place de la société de consommation, qui pousse à l'obsolescence rapide et au renouvellement des biens, va dans le même sens.
Tentons de répondre aux questions :
L'originalité est-elle encore possible ?
A mon avis oui, et même la question ne se pose pas comme on le croit. Chaque création est parfaitement unique. Par exemple il n'y a pas 2 photos pareilles ! Pensons un peu que si nous ne pouvons pas faire la différence entre deux c'est peut être tout simplement que nous n'arrivons à voir les choses que de façon très grossière... ce qui oblige celui qui veut attirer l'attention à donner dans une originalité très gueularde. Mais, au détail près, il n'y a pas 2 oeuvres qui soient identiques !
Est-ce un critère déterminant pour juger de la qualité d'une oeuvre ? C'est sans contestation possible un des critères déterminants. Mais je me demande s'il ne juge pas avant tout l'attitude du juge !
En tous cas si l'oeuvre cherche à s'intégrer dans une société qui est ce qu'elle est, elle doit obéir aux règles de cette société. Toute oeuvre qui ne respectera pas les règles de cette société sera punie ;-)
Et cela n'a toujours pas changé depuis que l'art existe ! Originalité relative, donc.
Pour conclure, et relativiser encore :
L'art doit-il se soucier une seconde de son rapport avec le fait social ? Il y a deux écoles là-dessus. Pour l'instant l'école qui dit oui est la plus forte. Elle s'appuie sur un arsenal social : professionnalisation des artistes, codification dogmatique par les historiens, intérêt financier des marchands, montée en puissance des techniques du marketing et de la communication, fascination des gogos pour le génie et détestation du travail dans une société de loisir, voire politisation pure et simple de l'oeuvre. Cela fait une puissance telle qu'on ne voit vraiment pas ce qui pourrait faire tomber un édifice pareil.
L'auteur de ses lignes est du côté de la pure délectation et de l'humble travail de tous les jours, comme on le sait, et concède que toutes ces interprétations sont à mesurer à l'aune de cette position sur laquelle il ne se voit pas revenir.
Je ne vois pas d'autre intérêt à l'art que de permettre à chacun de progresser et de se mieux connaître. Cela ne donne évidemment qu'un seul allié, mais de taille : le bonheur !
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