Auteur: Henri Peyre
Date: 08-09-2007 08:54
Fabrice,
Je précise ma position (personnelle) sur quelques aspects, qui sont brûlants pour beaucoup (comme Fox).
- Il me semble très difficile de parler au nom de "la photographie contemporaine". Personnellement, j'ai du mal à savoir ce que c'est. En fait la photographie est faite par des individus et donc traversée par les idées de leur temps. Ce sont des historiens, qui viennent après, qui font le travail de classement et qui disent ce que l'époque a pensé°. Mais en réalité, évidemment, on arrive seulement à tirer quelques grandes lignes... Au total c'est comme quand une affaire qui vous concerne passe dans le journal : c'est tout faux et vous n'arrivez pas à reconnaître quoi que ce soit. Ce qu'on peut faire pour améliorer le point de vue, surtout quand on est artiste et qu'on s'intéresse à rester, c'est copiner avec ceux qui font l'opinion et qui écriront la future histoire de l'art de l'époque. Ca donnera un compte-rendu plus lisible, plus valorisant pour nous, et on pourra un peu y adhérer. On peut aussi créer des groupes, parce qu'un groupe est plus visible et influencera plus. On peut donc créer la réalité.
- le reporter qui part au loin ne peut pas participer aussi directement à la construction de la réalité et il le sait. Déjà, si le pays est lointain, ce n'est pas vraiment "sa" réalité. Il y a pas mal d'images qu'il a sous les yeux auxquelles il ne comprendra rien parce qu'il n'a pas le code culturel pour les décrypter... simple exemple : être physiquement "proche" de quelqu'un ne commence pas à la même distance en Europe du Nord et en Europe du Sud...
Notre reporter doit donc s'accrocher à une idée qui est celle de rapporter quelque chose de juste. Et le problème infernal est en place. Il y a déjà mensonge au départ parce que je ne connais dans le fond rien au problème qui se joue sous mes yeux. Un ennui grave arriverait déjà à mon voisin, je ne pourrais pas me flatter de le comprendre, c'est un homme très différent de moi. Alors si l'ennui grave arrive à un afghan ? Il semble que ce mensonge de départ ne puissent être lavé que par un bruyant surcroît de vertu.
Pour obtenir le surcroît de vertu, il y a une solution qui marche bien : trouver des victimes les plus innocentes possible, pour lesquelles mon engagement soit incontestable ; les enfants font bien l'affaire, et ils n'interposent pas entre moi et eux, ou entre le public et eux, une culture différente qui empêche la projection. Puis le bruit : on scelle le cheval de la Dénonciation.
La Dénonciation elle-même met en scène l'horreur de l'injustice appliquée à ces personnes choisies pour la capacité qu'elles ont d'effacer l'écart culturel qui empêcherait la projection. Ajoutons (comme le regrette Fox, si j'ai bien compris) certaines références incongrues mais puissantes destinées à écarter définitivement le problème culturel (femmes musulmanes pleurant le fils mort dans une posture de vierge catholique de tableau par exemple) et on obtient un cocktail puissant, qui projette loin notre brave cheval.
Je m'oppose à cette vertu qui est celle du "je dénonce donc je suis vertueux".
A la base de la dénonciation il y a une malhonnêté : le mensonge de départ sur la possibilité d'accès à une compréhension réelle de ce qui se passe.
Evidemment certains peuvent passer au-dessus du mensonge en affirmant qu'eux seuls comprennent parfaitement et sont en prise directe avec l'homme universel (une sorte d'intégrisme photographique qui peut donner le même bonheur que la foi probablement). Mais cette attitude ne résiste pas longtemps aux faits (enjeux du cadrage, place de l'image dans la publication, légendage...)
- Dès le départ, l'art admet la fausseté. Il ne faut pas y voir qu'il est mensonger, il faut d'abord y voir qu'il est humble. A partir du moment où on a compris que chaque fait peut admettre une infinité de points de vue, il y a gain de liberté, mais la raison peut faire naufrage. A ce moment il y a probablement la possibilité de la mise en place d'une éthique. C'est plus là que j'attends l'homme : quel éthique chacun s'est-il choisi pour poursuivre ?
- Je reviens une dernière fois ajouter quelque chose. En bas de mon immeuble, l'autre jour, un accident. Une personne renversée, du sang, beaucoup de monde, des visages avides, excités, plein d'entrain. Je ne veux pas de cette clientèle pour mes photos. Cela en fera beaucoup moins pour apprécier... et alors ?
°(c'est cette façon historique de créer le réel qui fait croire aux artistes visionnaires et au dépassement permanent... attention à la myopie de l'outil).
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