Vers le forum actuel de galerie photo : http://www.galerie-photo.info/forum

Retour à l'index des archives 2006-2009
phorum - esthétique et autres discussions - Italo Calvino: L'aventure d'un photographe

Archives 2006-2009 esthétique et autres discussions
galerie-photo, le Site Français de la Photographie Haute Résolution


 Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: François Besson 
Date:   19-05-2007 08:17

Je vous invite à lire la nouvelle d'Italo Calvino nommée "L'aventure d'un photographe":

Le héros, jeune homme un tantinet raisonneur, se voit pris au piège de la photographie par sa réflexion sur la pratique amateur qui fleurit autour de lui avec l'arrivée des premiers enfants...

Il suffit que l'on commence à dire de quelque chose: "Que c'est beau, il faudrait vraiment le photographier!", et on est aussitôt sur le terrain de ceux qui pensent que tout ce qui n'est pas photographié est perdu, que c'est comme si ça n'avait jamais existé, et que donc, pour vivre vraiment, il faut photographier le plus possible, et que, pour photographier le plus possible, il faut: soit vivre de façon la plus photographiable possible, soit considérer comme photographiable chaque moment de son existence. La première voie conduit à la sutipidité, la seconde à la folie.

Plus loin, réfléchissant sur l'instantané:

Le goût de la photo spontanée, naturelle, prise sur le vif, tue la spontanéité, éloigne le présent. La réalité photographiée prend aussitôt un caractère nostalgique, de joie enfuie sur l'aile du temps, un caractère commémoratif, même s'il s'agit d'une photo d'avant-hier. Et la vie que vous vivez pour la photographier est, dès le départ, autocommémoration. Coire que l'instantané est plus vrai que le portrait posé est un préjugé...

Le héros achêtera donc tout naturellement une chambre et je vous laisse deviner où ce diable de Calvino le mènera...

(Italo Calvino, Aventures, Seuil, Point Roman N° 953

François

Les éditions du courlis déchaîné
Aux aimables cornichons



 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: guillaume péronne 
Date:   19-05-2007 09:34

Merci François !


Coire que l'instantané est plus vrai que le portrait posé est un préjugé...

Ce à quoi j'ajouterai que croire à la "vérité de l'instantané" revient à croire que c'est la machine (par la vitesse qu'elle permet d'atteindre) qui est seule capable de "saisir la vie", ce qui est en soi un renoncement à une possibilité de création.
C'est prêter un pouvoir surhumain à la machine sous prétexte qu'elle est capable de conjuguer exactitude et rapidité, et s'en remettre à ce pouvoir…




 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: jean d 
Date:   19-05-2007 09:52

Bonjour

Je m'inscris en faux contre cette diatribe qui parle de préjugé alors qu'elle en est un fameux.
LA "vérité de l'instantané" m'a permis de fixer des moments exceptionnels et la machine n'y est pour rien, tout au plus sa simplicité a favorisé la captation de ces moments.

La photographie de "création", posée, réfléchie, pensée est tout autre chose et j'y adhère avec la même passion.

Mais on peut parfaitement aimer telle ou telle manière de photographier sans piétiner les voisins.

HCB au secours.


 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: guillaume péronne 
Date:   19-05-2007 10:06

La "vérité de l'instantané" m'a permis de fixer des moments exceptionnels



L'erreur est peut être de croire qu'on arrête le temps et que tout se condense dans l'image alors qu'une grande partie de "l'exceptionnel" fuit et ne reste que dans le souvenir du photographe…


On ne piétine pas, jean, on discute.




 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: jean d 
Date:   19-05-2007 10:18

Mais dans TOUS les cas tu arrêtes le temps.
Je n'ai jamais compris cette peur du photographe qui pense.

Aux murs de mon bureau sont accrochées des images de bonheur. Je ne me demande pas si j'ai arrêté le temps. Je suis seulement heureux d'avoir fixé ces moments et de pouvoir prolonger ce bonheur juste en les regardant. L'exceptionnel de ces moments aurait sans doute disparu de ma mémoire si l'image n'était pas là pour me les faire revivre. Ou est le problème...?


 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: Jean-Louis Llech 
Date:   19-05-2007 10:29

Merci, François, pour cette référence et ces citations. C'est tout.
Pas de réaction pour l'instant. Ça a touché quelque chose en moi, et cela mérite un moment de réflexion et de méditation.




 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: guillaume péronne 
Date:   19-05-2007 10:55

Mais dans TOUS les cas tu arrêtes le temps.



C'est un poncif, mais je ne suis pas d'accord. On ne fait que produire une image à partir d'une apparence. On ne retient que l'apparence et tout le reste fout le camp. Le temps avec, oiseau fugace.

De quelle "peur" parles-tu ?


 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: Christophe Frot 
Date:   19-05-2007 10:58

Mais dans TOUS les cas tu arrêtes le temps.

—----------------

Non on peut aussi le comprimer ou l'effacer...

@+

Christophe


 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: Alain-Marc 
Date:   19-05-2007 11:34

Bonjour,

merci François !

Lire Italo Calvino est toujours une joie !
Il nous pousse toujours vers la réflexion.

Merci pour ce titre.

A-M


 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: cartou 
Date:   19-05-2007 12:13

Il n'y a pas UNE vérité....chacun en possède une (infime) part. Quant au TEMPS, nous sommes accrochés tant bien que mal sur sa flèche, mais c'est si éphémère et nous désarçonnera forcément un jour...
Alors photographe stupide ou fou...peut-être ne savons-nous pas vraiment choisir ?

patrick cartou



 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: cartou 
Date:   19-05-2007 12:25

j'ai écrit trop vite .."et elle nous désarçonnera..."

patrick cartou



 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: vdh 
Date:   19-05-2007 13:53

Il me semble que vous parlez l'un (Jean) et l'autre (Guillaume) de deux vérités différentes qui ne sont pas nécessairement erronées et/ou incompatibles.
La première est de l'ordre de la synecdoque : l'expression fugace caractéristique d'une personne ("ça, c'est bien lui !") et la seconde plus construite, et plus subjective aussi, fait penser à la biographie (l'ensemble des éléments de l'image décor compris participe à la recréation du personnage tel que l'auteur le voit).




 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: guillaume péronne 
Date:   19-05-2007 14:10

Je voyais plutôt des madeleines.


 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: vdh 
Date:   19-05-2007 14:42

Les madeleines ne font pas à proprement parler partie de la grand-mère de Proust (la preuve c'est que dans son esquisse de A la recherche du temps perdu les madeleines étaient des biscottes :-)...
Tandis que l'expression d'une personne est belle et bien une caractéristique importante de celle-ci.

A propos d'expression caractéristique d'une personnalité, j'aime beaucoup cette remarque de Jules Renard dans son Journal :
Quand je voyais mon père se promener d’une fenêtre à l’autre, voûté, les mains derrière le dos, silencieux, le regard profond, je me demandais : « A quoi pense-t-il ? » Aujourd’hui, je le sais par moi-même qui me promène comme lui, avec son air, et je peux répondre en toute certitude : « A rien. »




 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: Aspix 
Date:   19-05-2007 15:12

Guillaume :
« On ne fait que produire une image à partir d'une apparence. On ne retient que l'apparence et tout le reste fout le camp. Le temps avec, oiseau fugace. »

Oui, mille fois oui !… (pour le plaisir)

Jean d :
« Aux murs de mon bureau sont accrochées des images de bonheur. Je ne me demande pas si j'ai arrêté le temps. Je suis seulement heureux d'avoir fixé ces moments et de pouvoir prolonger ce bonheur juste en les regardant »

Ce sont des images à coup sûr ; des moments par contre… ? (Cette notion de moment n'est-elle pas une projection de l'esprit ? ce qui est tout aussi « valable », n'a rien de mal ou d'illégitime, mais est infiniment moins factuel qu'être « image ». Ds ce sens, même les « photos de famille » seraient bcp plus proches de l'icone (-ographie, tradition de « représenter l'humain », point de vue, persp., camera obscura, etc.). Et ds ce sens encore, « l'instant décisif » a trjrs semblé être une sorte de raccourci théorique douteux (qui a surement bcp fait de bien au photojournalisme), mais qui au final ne concerne que la cuisine a priori du photographe ; ne reste au final qu'une image (et p't'être une projection d'idée de tps).
C'est sûrement un peu plus compliqué (« une photographie montre la mort à l'œuvre etc… », ms je crois que l'essentiel est qque part par là ; et « l'image d'un moment » comme une sorte « d'arnaque »… (ahem… un peu fort d'accord, mais je garde).

Pour ce qui est de la technique de la camera, un autre aspect paraît aussi (plus) intéressant, c'est sa faculté à saisir infiniment plus de détails sur une surface donnée (un espace aplati) que ne le pourrait l'œil scrutateur de cet espace…

Tout le reste serait sentimentalisme… (HCB Doisneau même combat ?).

Bon, c'est un peu de la provoc dit comme ça sur forum ; mais personnellement je suis d'accord…

bonnes soirées
A


 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: vdh 
Date:   19-05-2007 15:51

Selon Szarkowski (que j'ai tendance à croire en la circonstance), "le moment décisif " de Cartier-Bresson est souvent mal interprété:
« decisive not because of the exterior event (the bat meeting the ball) but because in that moment the flux of changing forms and patterns was sensed to have achieved balance and clarity and order - because the image became, for an instant, a picture.» (in : The photographer's eye, p. 100).




 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: guillaume péronne 
Date:   19-05-2007 16:47

HCB revendiquait cette capacité à pouvoir produire une composition-éclair, automatique, chose qui le rapproche des surréalistes.

Ce qui demeure invisible, et qui voudrait passer pour le don de " faire mouche " à tous les coups, une faculté de voir en toutes choses un ordre caché et de savoir le saisir au vol, est bien une construction de l'esprit : il faudrait pour s'en rendre compte étudier les planches-contact de HCB qui montrent les images rejetées, les images "juste avant" ou "juste après", ces images qui par leur absence même témoignent du fait que l'image ne se crée pas dans l'instant.

(Ce qui n'enlève rien à la qualité des images du bonhomme.)




 
 Re: Italo Calvino: L'aventure d'un photographe
Auteur: romain 
Date:   24-05-2007 18:49

bonjour,

une troisième alternative possible à la réflexion du personnage de Calvino est proposée par Jim Jarmusch à travers un personnage de son Mistery train.
Fan de Elvis, accompagné de sa copine il parte en pelerinage à Memphis. ce personnage totalement flegmatique contraste par rapport à son amie qui laisse entrevoir son impatience et son excitation.
Tout au long de ce voyage il photographie. (je ne sais plus si elle également photographie beaucoup.) Mais à un moment une dispute éclate et elle lui reproche de ne photographier que des conneries. Il photographie des espaces, la lampe de chevet de l'hôtel, la salle de bain, la literie, (je dois sûrement inventé mais c'est le souvenir que j'en ai) au lieu de photographier la statue d'Elvis ou son premier studio d'enregistrement et des photos d'Elvis accrochées au mur du studio...

il met du temps pour répondre à sa colère. mais finit par dire qu'il n'a pas besoin de photographier les choses importantes, essentielles, parce qu'elles resteront dans sa mémoire. Il explique qu'il photographie tout ce qui n'est pas important et qu'il va sûrement oublier. Effectivement comme pour le personnage de Calvino, c'est pour ne pas perdre qu'il photographie mais à la différence c'est qu'il sait ce qu'il oubliera et donc ce qui se passe d'être photographier.

Une belle histoire pour souligner combien il est étrange de vouloir absolument photographier ce qui est exceptionnel, inoubliable, fantastique. Parce qu'aussi finalement photographier permet de ne pas faire exercer la mémoire et de ne pas prendre le temps d'ouvrir toute sa perception au moment présent. C'est aussi quelques fois éviter de voir les choses parce que pour mémoriser un instant de vie il faut être pleinement présent et prendre le temps de ressentir l'ensemble du lieu, de la situation que l'on vit. je ne parle ici que d'une certaine pratique de la photo (évidement).

la photographie au pas de course des touristes dans des lieux permet sans doute de faire un maximum de lieu dans la journée et de voir plus tard au retour du voyage ce qu'était le voyage...

romain

galerie-photo, le Site Français de la Photographie Haute Résolution

Vers le forum actuel de galerie photo : http://www.galerie-photo.info/forum

Retour à l'index des archives 2006-2009