Auteur: marin
Date: 29-09-2009 09:40
J’ai été rendu attentif au fait apparemment paradoxal que justement quelques-unes des créations artistiques les plus grandioses et les plus subjuguantes sont restées opaques à notre entendement. On les admire, on se sent dominé par elles, mais l’on ne sait dire ce qu’elles représentent. Je n’ai pas assez lu pour savoir si cette remarque a déjà été faite, ou si un esthéticien n’a pas trouvé qu ‘une telle perplexité de notre entendement compréhensif serait peut-être une condition nécessaire pour que se produisent les effets les plus élevés qu’une Å“uvre d’art puisse susciter. Je ne pourrais que difficilement me résoudre à croire à l’existence d’une telle condition.
Non que les connaisseurs ou les enthousiastes de l’art ne trouvent point les mots, quand ils nous vantent une telle Å“uvre d’art. Ils n’en manquent pas, serais-je tenté de dire. Mais devant un tel chef-d’œuvre de l’artiste, chacun dit en général autre chose, et aucun ne dit ce qui serait susceptible de résoudre l’énigme pour le simple admirateur. Ce qui nous empoigne aussi puissamment ne peut pourtant être, suivant ma conception, que l’intention de l’artiste, pour autant qu’il ait réussi à l’exprimer dans l’œuvre et à nous permettre de l’appréhender. Je sais qu’il ne peut s’agir d’une appréhension purement intellectuelle ; l’état affectif, la constellation psychique qui ont fourni chez l’artiste la force motrice de la création, doivent être reproduits chez nous. Mais pourquoi l’intention de l’artiste ne serait-elle pas assignable, formulable en mots, comme n’importe quel autre fait de la vie psychique ? (...) Il est donc possible qu’une telle Å“uvre d’art nécessite une interprétation, et que ce soit seulement après l’avoir effectuée, que je puisse apprendre pourquoi j’ai été soumis à une impression d’une telle puissance. Je nourris même l’espoir que cette impression ne se trouvera pas affaiblie par le succès d’une telle analyse.
Sigmund Freud, Le Moïse de Michel-Ange, 1914.
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