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phorum - esthétique et autres discussions - La remarque de novembre.

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 La remarque de novembre.
Auteur: marin 
Date:   29-09-2009 09:40

J’ai été rendu attentif au fait apparemment paradoxal que justement quelques-unes des créations artistiques les plus grandioses et les plus subjuguantes sont restées opaques à notre entendement. On les admire, on se sent dominé par elles, mais l’on ne sait dire ce qu’elles représentent. Je n’ai pas assez lu pour savoir si cette remarque a déjà été faite, ou si un esthéticien n’a pas trouvé qu ‘une telle perplexité de notre entendement compréhensif serait peut-être une condition nécessaire pour que se produisent les effets les plus élevés qu’une Å“uvre d’art puisse susciter. Je ne pourrais que difficilement me résoudre à croire à l’existence d’une telle condition.

Non que les connaisseurs ou les enthousiastes de l’art ne trouvent point les mots, quand ils nous vantent une telle Å“uvre d’art. Ils n’en manquent pas, serais-je tenté de dire. Mais devant un tel chef-d’œuvre de l’artiste, chacun dit en général autre chose, et aucun ne dit ce qui serait susceptible de résoudre l’énigme pour le simple admirateur. Ce qui nous empoigne aussi puissamment ne peut pourtant être, suivant ma conception, que l’intention de l’artiste, pour autant qu’il ait réussi à l’exprimer dans l’œuvre et à nous permettre de l’appréhender. Je sais qu’il ne peut s’agir d’une appréhension purement intellectuelle ; l’état affectif, la constellation psychique qui ont fourni chez l’artiste la force motrice de la création, doivent être reproduits chez nous. Mais pourquoi l’intention de l’artiste ne serait-elle pas assignable, formulable en mots, comme n’importe quel autre fait de la vie psychique ? (...) Il est donc possible qu’une telle Å“uvre d’art nécessite une interprétation, et que ce soit seulement après l’avoir effectuée, que je puisse apprendre pourquoi j’ai été soumis à une impression d’une telle puissance. Je nourris même l’espoir que cette impression ne se trouvera pas affaiblie par le succès d’une telle analyse.


Sigmund Freud, Le Moïse de Michel-Ange, 1914.




 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: marin 
Date:   29-09-2009 10:06

c'était évidemment la remarque d'octobre ...


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: Henri Peyre 
Date:   29-09-2009 13:25

Cette remarque peut tenir deux mois et plus tant le sujet est matière à polémique.

Je crois pour ma part qu'on peut expliquer pourquoi une oeuvre est puissante et fonctionne si on l'analyse en tant que telle, en tant qu'émetteur. Je pense que cela repose sur un mécanisme de frictions de logiques, comme cela a été expliqué en http://www.galerie-photo.com/robert-musil-esthetique.html. Multiplier dans une oeuvre l'articulation entre des logiques différentes c'est augmenter les chances de fabriquer une grande oeuvre qui fonctionne bien.

Maintenant il y a le récepteur qui, en plus de se déplacer sous les coups parfaitement ajustés de l'oeuvre, répond à sa manière en criant, en tapageant, en invoquant toute l'importance de son histoire, et parfois, à son insu, en laissant remonter les miasmes, et en y prenant de toutes façons du plaisir :
se projettant dans tout ce que l'oeuvre ne dit pas, il dit lui-même que l'oeuvre est pleine de mystère, peuple le mystère, s'y reconnaît donc et s'y aime.

Annnoncer à ce lecteur qu'on peut analyser l'oeuvre en tant que telle (en tant qu'émetteur), ce qui me semble la façon la plus honnête de parler d'art, en ayant l'air de considérer ainsi que ce qui se passe en lui, en tant que récepteur, n'est pas important, c'est forcément un scandale, puisque cela laisse de côté qu'on parle de Lui.
Notre récepteur prend forcément cela pour une sorte de mépris et manifeste son mécontentement.


C'est pour cela qu'on en a pour 2 mois.



Le meilleur auteur pour approcher l'art sous cet angle (et pourtant ce n'est pas récent...) :
Gombrich.




 
 comment transformer un lapsus calami en un truc productif
Auteur: marin 
Date:   01-10-2009 21:02

Merci Henri de rappeler ici l'extraordinaire travail de Gombrich. Son érudition mêlée à une intelligence étincelante font de son histoire de l'art une lecture obligatoire pour tout artiste ou amateur d'art.
En revanche je n'ai pas lu L'art et illusion - Psychologie de la représentation picturale, mais il ne fait aucun doute que Gombrich fut un grand lecteur de Freud.
J'en profite pour signaler l'excellente traduction de Bertrand Féron qui a enfin rendu Freud lisible en français (la précédente trad datait de 1927 par Marie Bonaparte et Mme E. Marty, elle existe sur le net et elle n'est franchement pas terrible).

Freud et Dieu ont en commun de porter la barbe, on observera que celle de Freud est plus courte, il est donc bien moins impressionnant que Dieu ;-)
Alors je vous invite à passer du travail pratique (fil :"Comment faire du Michael Kenna...") au travail théorique ici proposé.

Allez les garçons, lancez-vous, ne faites pas les jeunes filles ...


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: guillaume_ 
Date:   02-10-2009 09:50

Je pense aussi que c'est dans l'Å“uvre même que se trouve les clefs de son mystère. Mystère qu'il ne faut pas craindre de voir disparaître à mesure qu'on l'approche !
Le fait de pouvoir expliquer la formation d'un flocon de neige n'enlève rien à la beauté d'un paysage enneigé.
Donc, pas de crainte à avoir de ce côté là : les mots n'épuisent pas l'Å“uvre.

Bon point : si l'on fait réellement l'effort de chercher au bon endroit — ce qui suppose de ne pas s'interposer —, il est tout à fait possible de creuser à plusieurs.
On peut alors se demander pourquoi, vu le nombre d'interventions, on n'est pas encore arrivé à sortir quelque chose du fil sur M. Kenna...

La réponse est très simple et tout se joue dans cette idée "d'interposition". Certes, nous sommes tous pétris de ce que nous avons vécu, mais il nous faut parfois être capables d'escamoter ce filtre, sans quoi toute discussion ne peut que s'en tenir à l'affrontement d'égo à égo*.







*Deniz, je ne parle pas d'inégalités, hein ! ; )




 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: guillaume_ 
Date:   02-10-2009 09:51

Oups, j'ai envoyé un peu précipitamment, sans avoir terminé.
Tant pis...


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: guillaume_ 
Date:   02-10-2009 12:00

Je voudrais juste ajouter quelques bricoles en vrac à propos de ce "filtre" :

- Il faut avant tout savoir de quoi il est fait : nécessaire connaissance de soi.
- Ceci mis en marche — et pas nécessairement atteint puisqu'il s'agit d'un cheminement qui peut occuper une vie entière —, toute chose peut se présenter comme inconnue, donc susceptible de stimuler la curiosité, et non d'être jugée.
- C'est à mon sens une condition première pour conquérir sa liberté de pensée.
- A suivre...




 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: jeanba3000 
Date:   02-10-2009 13:05

En psychanalyse, l'analyste doit être lui-même en analyse depuis longtemps, pour pouvoir tenter de faire la part des choses entre ce qu'apporte l'analysé et ce qu'apporte l'analyste dans les échanges.


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: Serge COSNIER 
Date:   02-10-2009 13:27

Bonjour,
Ah oui Guillaume, justement vous faites bien d'en parler. Voilà ce qui se passe, j'aime beaucoup le travail de Michael Kenna et j'adore même certaines de ses photographies. Je savais déjà depuis longtemps que je suis simple d'esprit, mais en lisant le fil d'à côté sur ce photographe, j'ai fini par me demander si je n'étais pas carrément un abruti du style "l'idiot du village".
Etant très inquiet, je suis donc allé voir ce matin mon médecin traitant pour me soigner. J'ai bien fait et heureusement il m'a complètement rassuré. "Mais non monsieur Cosnier, vous n'êtes pas un abruti, vous êtes simplement vous-même!"
J'étais tellement content que je n'ai pas oser lui avouer que j'avais le béguin pour Paris Hilton...........

Photographe amateur


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: marin 
Date:   02-10-2009 20:27

Nous y sommes : d'un côté l'analyse objective de l'Å“uvre qui retire ce qu'elle à a donner pour tous, et de l'autre ceux qui restent dans le ressenti individuel sans chercher à comprendre pourquoi.
Le dialogue vire logiquement comme Henri le décrit plus haut :
"Notre récepteur prend forcément cela pour une sorte de mépris et manifeste son mécontentement."

Donc l'impasse guette.

Henri distingue l'émetteur et le récepteur, j'y ajouterais le passeur qui ne se tient pas exactement à égale distance des deux premiers : le passeur d'une Å“uvre est indiscutablement du côté du récepteur, mais dans son rôle de relais il se tient à distance des autres récepteurs. Il lui faut des arguments pour le passage de l'Å“uvre, un langage articulé, quel est-il ?


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: marin 
Date:   02-10-2009 23:02

A mon tour de corriger :
d'un côté l'analyse objective de l'Å“uvre qui retire ce qu'elle à a donner pour tous, et de l'autre ceux qui restent dans le ressenti individuel sans chercher à EXPLIQUER pourquoi.


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: Alain-Marc 
Date:   03-10-2009 00:52

Sigmund Freud n'est vraiment pas un critique d'art de référence.

Le juste le représentant d'une époque révolue et absolument conformiste.
L'homme et ses écrits ont pu être dérangeants à son époque, mais est résolument archaique dans l'absolu.


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: guillaume_ 
Date:   03-10-2009 07:58

Freud n'est pas un critique d'art, soit, mais l'extrait donné par marin garde toute son actualité.


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: marin 
Date:   03-10-2009 12:44

Alain-Marc a écrit:

> Sigmund Freud n'est vraiment pas un critique d'art de
> référence.

En effet, il se déclare même "profane" en la matière, ce qui ne l'empêche pas d'être étudié aujourd'hui par les étudiant en arts (aux Etats Unis il est au programme du MFA, en France je l'ignore).

> Le juste le représentant d'une époque révolue et absolument
> conformiste.
> L'homme et ses écrits ont pu être dérangeants à son époque,
> mais est résolument archaique dans l'absolu.

Très bien, alors quel type de méthode proposes-tu ?


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: lorac2402 
Date:   03-10-2009 13:35

"Mais pourquoi l’intention de l’artiste ne serait-elle pas assignable, formulable en mots, comme n’importe quel autre fait de la vie psychique ?"

"Très bien, alors quel type de méthode proposes-tu ?"

Et vous ?




 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: guillaume_ 
Date:   03-10-2009 14:00

Une méthode possible...




 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: marin 
Date:   03-10-2009 14:19

"Et vous ?"

Freud propose dans ce texte une méthode au passeur fondée sur une analyse objective. L'analyse (quel qu'elle soit) s'adresse à la raison et ne joue en aucun cas la corde de l'émotion, la lecture de l'Å“uvre est donc très différente de celle de "l'enthousiaste" ou celle du "méprisant" qui, l'un comme l'autre, n'arrivent pas à convaincre non par manque d'intelligence, mais parce que le jeu sur l'unique registre de l'émotion ne conduit qu'à des conflits de personnes : mon jugement est une affirmation ce que j'aime, et en cas d'opposition l'autre devient mon ennemi.

Gombrich dit d'ailleurs qu'on peut très bien faire fonctionner cette méthode analytique sur des Å“uvres qu'on n'aime pas, et pourtant leur trouver des qualités.


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: guillaume_ 
Date:   05-10-2009 07:31

Remontée promotionnelle du lundi matin.


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: murnau 
Date:   06-10-2009 19:03

L'intention de l'artiste est tout à fait importante pour ce qu'il produit :)
Je ne sais pas si on peut aisément analyser sans trop se fourvoyer cette intention; en tout cas je pense que ce dont le public souffre en regardant/écoutant une oeuvre importante (d'ailleurs le mot est imprécis), c'est bien une pénétration de son propre univers (quotidien, onirique etc) par l'intention de l'émetteur (j'aime pas le mot :)

Forcément, il y a interaction, mais que l'on ressent de façon plus ou moins forte. Ecouter ou regarder (plus et plus) incite justement à cultiver cette émotion et à reconnaître l'acte créateur qui change/transforme qq chose en nous et a besoin de nous et de notre réaction (s'il y a lieu) pour que cette intention, qui pour moi est au départ d'une oeuvre, puisse être elle-même transformée.
Le point commun entre l'émetteur et le récepteur est cette intention qui les traverse.
Elle reste à mon avis indépendante et extérieure aux deux.

http://fwmurnau.info


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: pierreL 
Date:   08-10-2009 07:29

<<Sigmund Freud n'est vraiment pas un critique d'art de référence.

Le juste le représentant d'une époque révolue et absolument conformiste.
L'homme et ses écrits ont pu être dérangeants à son époque, mais est résolument archaique dans l'absolu.>>>


J'osais pas le dire.

C'est vrai ce passage reste d'actualité on pourrait l'entendre aujourd'hui. Et on l'entendra dans 100 ans. Et on l'oubliera aussitôt surtout on aime Freud.

Mme Olympe Fraisse conte que, dans le bois de Bordezac (Gard), un faune fit subir de merveilleux outrages à ses 66 ans.


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: pierrecorratge 
Date:   12-10-2009 15:32

Le fait que ce soit Freud qui ait écrit ça est-il important?
ça ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt...

Il est question de puissance subie, et de l'influence que l'interprétation et l'analyse -tentées- peuvent avoir sur l'impact, donc la puissance ressentie.

Je crois que, pour reprendre l'expression d'Henri, pour le "récepteur", cette puissance dépend aussi de la culture, de la familiarité qu'il a avec le domaine dans lequel s'inscrit l'Å“uvre. Je ne sais si vous connaissez le débat qui sévi au moment de l'exposition Warhol, mais il tournait autour de ces notions.

Allez, je me lance: le Homard de Jeff Koons a Versailles m'a laissé froid, au contraire du risotto du même animal que j'ai mangé la semaine dernière. Basique...

Pierre


 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: Henri Gaud 
Date:   12-10-2009 15:52

<<Non que les connaisseurs ou les enthousiastes de l’art ne trouvent point les mots, quand ils nous vantent une telle Å“uvre d’art. Ils n’en manquent pas, serais-je tenté de dire. Mais devant un tel chef-d’œuvre de l’artiste, chacun dit en général autre chose, et aucun ne dit ce qui serait susceptible de résoudre l’énigme pour le simple admirateur.<<

Cet aveu d'impuissance me semble intéressant de la part d'un homme (même si certains trouvent son cheminement dépassé) qui a su réfléchir, et a su remettre en cause la pensée dominante du moment.

L'idée de résoudre l'énigme pour le simple admirateur, comme si le simple admirateur avait besoin que l'on pense à sa place, ce besoin de faire comprendre, comme si l'artiste n'avait pas finit son boulot.
Freud se place sur un piédestal et avoue son impuissance, cela dans la même phrase (ou presque), c'est plutôt noble comme attitude.
Comme je ne suis pas sûr que tout soit explicable, ni qu'il faille tout expliquer, cette citation me permet d'entrevoir le courant de pensée de l'explicable, qui jusqu'au bout veut expliquer.

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 Re: La remarque de novembre.
Auteur: guillaume_ 
Date:   12-10-2009 16:54

Sigmund F. a écrit :

Je nourris même l’espoir que cette impression ne se trouvera pas affaiblie par le succès d’une telle analyse.
—

Bien au contraire ! Le fait de savoir pourquoi apporte un plaisir supplémentaire : celui de la connaissance. Tout simplement. Autrement on reste dans le domaine des croyances, qui ne sont rien d'autre qu'une soumission volontaire.
Si nous échouons à percer le mystère d'une Å“uvre, nous avons le choix entre s'en remettre à des forces supérieures qui dépasseraient notre entendement, ou de voir cela comme une invitation à dépasser nos propres limites. Dans le premier cas, nous pourrons toujours atténuer les symptômes les plus douloureux dans un bain d'émotion. Dans le second, nous pourrons goûter aux joies de la découverte.




 
 Re: La remarque de novembre.
Auteur: Henri Gaud 
Date:   12-10-2009 17:12

<<Bien au contraire ! Le fait de savoir pourquoi apporte un plaisir supplémentaire : celui de la connaissance.<<

Tout le monde sera d'accord avec cette proposition (je pense),
Mais il peut arriver que l'explication .... ne vienne pas,
D'ou la question du Dr Freud.

<<Autrement on reste dans le domaine des croyances, qui ne sont rien d'autre qu'une soumission volontaire.<<

Vaste débat ...

<<Dans le premier cas, nous pourrons toujours atténuer les symptômes les plus douloureux dans un bain d'émotion.<<

Une vraie plaie cette histoire d'émotion.

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 Re: La remarque de novembre.
Auteur: murnau 
Date:   12-10-2009 22:30

Le fait de savoir pourquoi apporte un plaisir supplémentaire : celui de la connaissance.


Ben la Bible n'a pas l'air d'accord...

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