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phorum - esthétique et autres discussions - Rentrée littéraire, Jimmy Péguet critique, florilège 2008, tome I

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 Rentrée littéraire, Jimmy Péguet critique, florilège 2008, tome I
Auteur: François Besson 
Date:   19-09-2008 09:42

Nous sommes nombreux à apprécier sa prose et à regretter qu'elle disparaisse dans les méandres du forum... La suite est de Jimmy

François Besson


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Auteur: Jimmy Péguet
Date: 17-01-2008 22:38

En écoutant Satie, quelques mots à propos de quatre livres récemment reçus. Comme d’habitude, seulement quelques commentaires et impressions subjectifs à chaud et sans recul au sortir du four, pas une critique ni une analyse. Deux livres de photographes japonais, deux autres de photographes néerlandais (les livres viennent de chez Shashin http://shashinbooks.com/ aux Pays-Bas dont je rappelle que le très agréable libraire, Yannick, est français, c’est sur ses suggestions que j’ai acheté presque à l’aveugle trois de ces livres dont je ne connaissais rien des photographes).

Le premier est le dernier livre de Masao Yamamoto, « é », sorti il y a un moment déjà. C’était Nico (Marailhac) qui m’avait il y a trois ou quatre ans fait découvrir Yamamoto, alors quasi-inconnu en France. On l’a vu depuis, Paris-photo, exposition chez Camera obscura, articles dans la presse photo française. J’avais failli acheter un merveilleux tout petit tirage de lui sans chichis de présentation, une photo de grues en vol d’une absolue légèreté, et je regrette encore de ne pas l’avoir fait. Je me souviens de la petite boîte remplie en vrac de minuscules tirages, comme des photos de famille, vieillis, écornés, virés dans les bleus et les bruns, certains avec des touches d’or. De lui, tous chez Nazraeli, éditeur américain que j’apprécie beaucoup et qui semble laisser beaucoup de liberté au photographe, j’ai le très joli « A box of ku », un autre que j’aime beaucoup dans une forme inhabituelle de long rouleau japonais, « Nakazora », présenté dans une boîte oblongue en bois poli au couvercle de plexiglas, et « Omizuao », dans une autre forme traditionnelle, l’accordéon. Tous les livres sont un travail sur le vide : beaucoup d’espace entre les photographies, reproduites sans grand contraste, en relief avec leur ombre pour simuler les originaux (ce qui me déplaisait un peu au début). Des photographies très légères, des choses aperçues, des souvenirs de jeu, des images diaphanes ou au contraire sombres et très présentes. « é » est de la même veine, mais c’est un livre de grand format, et malgré mon goût pour les petits livres, quelque chose fonctionne mieux ici que dans « A box of ku » : la très grande taille du livre permet des formats très variés, une présence encore plus grande du blanc et une bien meilleure mise en valeur des relations entre les photographies. Des corps nus, des nuages, des grues, de la neige, du noir et blanc réhaussé de couleurs légères, des moutons… Une mise en pages somptueuse (sur le site de Yamamoto que je ne suis pas allé voir depuis longtemps, il y avait aussi quelques belles recherches de mise en forme). Reliure toilée bordeaux, jaquette blanc cassé au beau papier un peu pauvre.


Il y a dans è un truc remarquable. Le livre, chose rare, commence en fait par le milieu, on va rayonner à partir de là. Pour que le livre s'ouvre naturellement et toujours à cet endroit, le truc est simple : les deux pages centrales sont en papier plus fort, deux autres pages en papier plus fin venant se rabattre et se refermer par-dessus avec au milieu, vers le bas, une petite photographie "en relief", symétrique, coupée par le milieu du fait de l'ouverture de la couverture. L'effet est saisissant et fonctionne à chaque fois. J'adore ces petits trucs de graphisme, qui font ressembler le livre à une installation.

Jean-Claude, Laurent m'avait parlé de tes Yamamoto. On retrouve, dans un registre très différent, la grâce dont tu parles dans le livre de Suzuki. Il y a dans celui-ci certaines photos dans le style des photographes occidentaux de paysage (avec souvent un petit décalage qui fait un peu passer dans une autre dimension : la grosse pierre moussue qui occupe presque toute la photo et qu'on attendrait nette ne l'est pas, le point étant fait sur quelque chose de vague et d'indéfini derrière elle, par exemple), mais on ne s'arrête pas là. Quelque chose glisse sans cesse, les choses se ressemblent mais ne sont jamais les mêmes, les photos par elles-même ne valent rien sans celles qui les accompagnent. "Tout passe", pour utiliser une expression qui doit t'être familière :-) Il y a en même temps la réalité, le goût du monde, et on est en même temps au-dessus.

J'avais bien essayé le coup de partir avec une bonne paire de godasses, un petit sac avec un appareil et un seul objectif, un carnet, un Bashô et un Kenneth White dedans en me la jouant "je vais voir les cygnes dans le nord", mais ça suffit pas :-)


Masao Yamamoto, é, chez Nazraeli press, première édition limitée à 2500 exemplaires. Imprimé en Chine comme c’est de plus en plus souvent le cas. ISBN 1-59005-147-5

On passe à une Hollandaise, Cuny Janssen. « India » est un livre de portraits d’enfants indiens en couleurs… indiennes, entendez que ça claque comme là-bas. Très beaux portraits assez classiques, très présents, très doux en couleurs saturées. La photographe tient un discours humaniste sur l’universalité et l’égalité qui me laisse un peu froid, à la sincérité indéniable, en se donnant comme but de photographier des enfants du monde entier.

Les photos sont bien jolies, mais ce qui me ravit également dans ce livre est sa maquette. Je parlais ailleurs d’édition personnelle, le design simple de ce livre montre que tout est possible à qui a de l’imagination. J’essaie de le décrire : un cahier de feuilles de papier blanc assez minces, dans les 50g, de forme oblongue, un peu comme du papier de soie, mais un peu plus épais. Agrafé au milieu de ce cahier presque transparent, quelques centimètres plus petites que lui, figurent les 15 photographies, très bien imprimées sur un papier très fort, recto-verso, à bord perdu. La densité des photographies et l’épaisseur du papier des photos contraste avec la légèreté du papier qui les enveloppe et les protège. En bas de chaque feuille de papier blanc, quelques mots courent de page en page, imprimés à l’envers au verso, et donc ressortent en gris léger vu la presque transparence du papier. Le titre est imprimé dans une police à sérif en gros à l’envers et apparaît en gris, le nom de l’auteur apparaît en petit à l’endroit en noir. C’est vraiment un joli exercice de style.

Cuny Janssen, India. Tiré à 450 exemplaires. Le copyright est de 2002. ISBN 9027815623

La photographie contemporaine néerlandaise semble vraiment très vivante, on a pu en voir pas mal de choses. Yannick me disait que côté graphisme et édition, c’était vraiment intéressant aussi. Un autre Hollandais donc, dans un genre qui devrait plaire aux lecteurs de ce forum, puisque Misha de Ridder photographie les Etats-Unis. Wilderness est un livre de paysages de grand format en couleur pleine page, herbes, arbres... photographiés aux quatre saisons, qui se regarde en le tenant à l’italienne, pliure vers le haut. J’en vois au fond qui ricanent en se poussant de l’épaule et en demandant tout haut en pouffant comme des niais s’il y a des cascades et des yuccas. Nan. Y’en a pas. Mais ce qui suit va leur plaire : De Ridder casse ce qui aurait pu être le nième livre sur la nature sauvage américaine en intercalant de grandes portions agrandies des photographies, dans lesquelles la trame d’impression est énorme, puisqu’il propose de les détacher et de les assembler pour en faire des posters muraux comme il y en avait dans le salon de Tonton Raymond quand vous aviez vingt ans. Ce qui n’aurait pu être qu’un truc contemporain vite agaçant et un peu court fonctionne en fait très bien. L’œil fait sans cesse la navette entre les très bonnes photos et le puzzle des détails à gros points. Il imagine le poster sur le mur, il prend du recul par rapport aux photos. Ca casse quelque chose et on regarde différemment ces photographies de nature. Une vraie réussite, avec une maquette bien dense. Pas de texte, le minimum nécessaire est rejeté sur la couverture. Le livre est broché. Enchanté de mon achat. Evidemment vous vous demandez si je vais jouer le jeu et démembrer le livre, bande de pervers polymorphes.

Il y aurait plein de choses à en dire, mais c’est pas tout, j’ai encore un livre sur le gaz et j'avais prévenu que ce ne seraient que des impressions rapides.

Misha de Ridder, Wilderness, Artimo éditeur. ISBN 90-75380-75-5

Retour au Japon avec un petit livre plus reposant qui ressemble dans sa mise en forme plus classique à d’autres livres japonais, je pense par exemple à certains de Rinko Kawauchi. Ce qui restera de « Kumano, Yuki, Sakura » de Risaku Suzuki, c’est d’abord une impression de blanc et de légèreté. Couverture blanche, neige à l’intérieur. Une chose magnifique dans ce catalogue d’exposition qui comporte 80 photos faites entre 1997 et 2007, ce sont les transitions rapides et très subtiles entres les passages, comme un souffle léger. Il y a des feux la nuit, des braises emportées par le vent qui se transforment en feuilles sur l’eau, il y a des chemins de forêt, du vent dans les branches. Il y a, aaaah, des cascades en pose longue, mais quelque chose me dit que les vrais amateurs seront un peu déçus quand même, il y a des eaux calmes et des rochers, des branches qui se détachent sur le ciel, des sous-bois un peu sombres, des herbes surexposées, il ya de l’eau qui se transforme en neige en trois photos, et la neige est si belle et si blanche, il y a des troncs flous qui en sortent et on voudrait qu’il neige tout le temps. Mais la neige s’arrête et le blanc devient cerisiers en fleurs, fleurs blanches sur ciel bleu, on s’enfonce dans les fleurs comme dans du coton et le coton cache le bleu du ciel qu’on aperçoit quand même. Il y a des choses très occidentales et d’autres très japonaises, des ruptures, ça va, ça vient entre les deux. Tout au long du livre, l’œil bouge sans cesse, glisse, glisse, léger, léger…

Il reste du blanc.

Bon, c’est un peu court encore comme commentaire, mais que ce livre est délicat et intelligent.

Risaku Suzuki, Kumano, Yuki, Sakura. Tokyo Metropolitan Museum of Photography et Tankosha Publishing Co. Texte en anglais. ISBN 978-4-473-03441-0C0072

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Auteur: Jimmy Péguet [Misrach, On the beach]
Date: 26-01-2008 13:15

Au risque de paraître chercher à faire l’intéressant ou d’apparaître comme un gogo, je vais prendre le contrepied de tout ce que je viens de lire. J’ai reçu le livre hier matin, c’est un peu récent :-) pour en dire quelque chose, sinon qu’On the beach me touche très profondément. Le trouverai-je surfait dans un mois, à la réflexion et après l’avoir feuilleté cinquante fois ? Par rapport à ce que vous en dites les uns et les autres, peut-être pour l'apprécier faut-il le poser sur ses genoux, tourner lentement et tranquillement les pages jusqu’au bout, s’arrêter longuement ici ou là, le laisser reposer, laisser les photographies remplir lentement la tête jusqu’à ce que monte l’envie de le reprendre encore et encore plus tard dans la nuit.

J’avais été pris par les premières petites images aperçues ici ou là dans la presse. Par ce sentiment diffus (et facile ?) d’images « primitives », de fragilité, d'inquiétude et d’éternité qui sourd des photos. Plus tard seulement est venue la lecture de ce qui a guidé le projet, liens avec le livre de Nevil Shute et les attentats du 11 septembre (dans les premières photos, anecdote, je retrouvais quant à moi des images d’un autre livre du bon écrivain de SF Gregory Benford). Misrach énonce très clairement et très précisément en quelques mots à la fin du livre son projet, ce qui l’a guidé, rendre « la grâce et la fragilité de la figure humaine dans le paysage », l’influence des images des corps tombant du haut des tours dans le vide. On objectera que sans ces commentaires, on verrait certainement autre chose, ou bien qu’on ne verrait rien du tout de cela. Bien sûr, mais n’est-ce pas le cas de tous les livres de photographie ? Ces mots de Misrach font partie du livre et n’enferment pas la vision.

Des petites photos dans la presse, on passe à un livre impressionnant, tant par la taille que par la qualité de réalisation et l’ampleur du projet. L’impression monumentale devient bien entendu moins forte au bout d’un moment, après qu’on se soit habitué au format. Dès le début des ces images de corps détendus au bord de l’eau, s’installe un sentiment en même temps de plénitude et d’inquiétude, de fragilité. Ce que quelqu’un m’écrivait joliment « intranquille plénitude ». On se perd dans l'infini des détails des baigneurs, du sable, de la transparence de l’eau. Plus on avance, plus tout est pareil et plus tout change, sans que pour moi l’ennui ne s’installe une seconde (dommage, j’aime bien m’ennuyer un peu !). Je ne sais pas si ce qu’Olivier appelle le « déjà vu » tient à cela, qu’à chaque page reviennent les autres photos de différents Cantos de Misrach, que ce soit Bravo 20, certaines images du désert, ou encore bien sûr les images répétitives du ciel ou les vues du Golden Gate. Je ne me lasse pas de ces étendues de mer jamais les mêmes, de ces minucules silhouettes insouciantes, s’étreignant parfois, souvent à peine discernables. Je ne me lasse pas de ces images de sable foulé où il n’y a rien à voir, aucun personnage, sur lesquelles je peux pourtant rester de longues minutes, dont l'image me suit quand j'ai quitté le livre, comme sur celles des vagues tranquilles, vertes, bleues, noires striées d'or. Le fleuve n'est jamais le même, et il sera encore là quand il n'y aura plus de minuscules silhouettes. C'est peut-être facile, mais en tout cas, c'est bien photographié. De ce sentiment de grâce inquiète, où on ne sait pas s’il est déjà trop tard, et ce qui serait trop tard.

Il y a une chose magnifique dans ce livre, son grand mystère peut-être et le grand mystère de la poésie, c’est comment Misrach traite les images des corps jetés dans le vide. Le passage des images de télévision terrifiantes et maintenant inscrites dans la mémoire collective à ces images reconstituées, corps chutant sans fin, certains enlacés, vus du ciel sur fond de sable et de mer, parfois enfoncés, encastrés dans le sable est d’une simplicité et d’une évidence bouleversantes.

Voyant pour la première fois les images réduites dans la presse, sans avoir encore lu les choses sur lesquelles s’était appuyé Misrach, j’y avais vu des corps d’animaux primitifs sortant de la mer ou retournant en rampant à celle-ci, comme des images du début des temps. L'importance de la mer. Seulement mon petit délire, mais peut-être y a-t-il aussi quelque chose de cela, quand on sait à côté de ses préoccupations politiques l’importance de la mythologie dans certains travaux de Misrach. J’aime bien cette idée.

Tout cela pour dire, même si ces délires trop vite gribouillés vous font sourire, le bonheur que j’ai à plonger sans fin dans ce livre. Et jusqu’au bout, s’il vous plaît ! Peut-être que je me trouverai bien niais dans un moment !

Jimmy
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Jimmy Péguet
Date: 12-02-2008 13:52

Un petit mot sur Cuisset sans m'étendre, en espérant que celui-ci ne déclenchera pas la 8ème - on doit au moins en être là - guerre mondiale, comme presque toujours quand il est question de Cuisset : j'ai reçu ce matin son très bon bouquin paru il y a quelques mois, "Un Hérault contemporain". Le livre est suivi d'un excellent entretien avec Paul Ardenne dans lequel Cuisset exprime sa vision de la photographie d'une manière extrêmement claire. Juste pour ça que j'en parle, cet entretien est très bien fait et très éclairant sur ce que fait le photographe.

"Un Hérault contemporain", Archives d'Architecture Moderne (AAM, http://www.aam.be). ISBN 978-2-87143-186-2. 29 euros.

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Jimmy Péguet
Date: 16-03-2008 18:49

Quelques notes rapides sur deux livres de Jem Southam, parmi les plus intéressants reçus ces derniers temps.

Le premier arrivé est le dernier livre de Southam, « The painter’s pool », chez Nazraeli. Joli livre entoilé de rouge, sans jaquette, c’est comme toujours chez Southam un ensemble de photographies sur un même lieu où revient sans cesse durant des années le photographe. Ici, c’est une mare perdue dans les taillis, artificiellement créée par le peintre Mike Garton qui avait l’habitude de travailler dans ces bois. Commencées à la chambre 20x25 en couleurs peu avant la mort de Garton, les photographies montrent au début les traces de Garton et de son "œuvre", son chevalet, le support de ses toiles…, traces qui s’effacent et disparaissent, lentement absorbées par la nature au fil des mois et des pages. Rien à voir qu’une végétation basse, les mêmes photos ou presque encore et encore, les mêmes arbres, la lumière des saisons filtrée par la canopée, des broussailles, encore des broussailles, l’infinité des détails que favorise l’usage de la 20x25 qui monumentalise le lieu en y cherchant de l’ordre, quelques vieux arbres, des herbes sauvages, un trou d’eau au fil des années. Une photographie du temps. Tout passe, tout est pareil et complètement différent en même temps.

Je ne m’en lasse pas. C’est un livre merveilleux.

34 photographies (très bien imprimées) et une peinture de Mike Garton.

The painter’s pool, Nazraeli press/JGS, 2006, tiré à 1000 exemplaires, relié. ISBN 1-59005-173-4

Celui-ci m’ayant donné une envie folle d’aller plus loin avec Southam, j’ai aussitôt commandé « Landscape stories », publié l’année précédente. Un autre très bon livre qui devrait figurer dans toute bibliothèque sérieuse, comme on dit dans les revues, dans lequel on voit très bien ce qui fait travailler Southam. Une anthologie de photos extraites de différentes séries sur le paysage anglais. D'abord The red river, dans l’ouest de la Cornouaille. Landes, champs, rivières, maisons, jardins, fêtes, mines. Un monde disparu et des archétypes de paysage anglais. L’univers, qui me ravit, de Thomas Hardy, qu’on retrouve tout au long de ce livre, les lumières des peintres anglais (chaque photographie de Southam est un tableau). On passe ensuite à des photos extraites de plusieurs ensembles, Rockfalls, Rivermouths et Ponds. Rockfalls, ce sont les écrasantes photos des chutes de pans de roches des falaises de Wight. Henri a écrit un article à ce sujet : http://www.galerie-photo.com/jem-southam.html. Ces trois ensembles et les suivants sont réalisés à la 20x25. Ponds, ce sont les trous d’eau dans les champs et les landes, souvent photographiés à plusieurs reprises dans le temps. Suit la très belle série Upton on Tyne, où Southam revient encore et encore photographier sur plusieurs années la mare d’un village que les habitants transforment petit à petit. Des relations entre l’homme, son paysage, le monde de ses rêves et le temps. C’est un admirable ensemble. Le livre se termine par plusieurs extraits des séries Garden (le jardin derrière la maison), Lyme Bay (côtes), et quelques photographies du Painter’s pool cité plus haut. Ce qui est magnifique dans ce livre, c’est la navigation entre l’histoire, le détail, le documentaire, la métaphore, sans que jamais Southam ne se perde dans l’anecdotique ou le pittoresque. On est un peu écrasé souvent, mais on y revient sans cesse. Deux bons textes, dont un de Gerry Badger. Chaque ensemble comporte une introduction de Southam.

Je me suis amusé à feuilleter le livre à l'envers pour essayer d'imaginer ce que voyait Southam sur son dépoli :-), la composition saute aux yeux !

Profitant du faible dollar, le livre acheté aux USA via Amazon m’a coûté 25 euros + 3 euros de port, une aubaine. On peut commander depuis galerie-photo, rappel gratuit :-). On trouve pas mal d’articles et interviews intéressants sur le net.

Landscape stories, 2005, relié, Blind spot et Princeton Architectural press, ISBN 1-56898-517-7

Jimmy

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Auteur: Jimmy Péguet
Date: 20-03-2008 14:17

Photographiant depuis longtemps et de plus en plus en forêt, je cherchais l’autre jour le livre épuisé de Jitka Hanzlova « Forest ». Après avoir fait le tour de la quasi-totalité des librairies en ligne de la planète et après quelques faux espoirs, il m’a fallu me rendre à l’évidence : je n’en trouverais pas d’exemplaire à prix décent. D’agacement, je me suis rabattu sur « Quinault » de Ueda Yoshihiko. And the answer is « Wow ! ».

Le livre est un bel objet, sa prise en mains particulièrement agréable avec une jaquette au toucher très sensuel. Le livre étant imprimé sur un papier semi-mat et les sujets étant très sombres, il faut chercher à cause des brillances de l’encre une bonne situation pour le regarder. Petite mise en condition : trouver un endroit un peu obscur, en accord avec les photographies, sans lumière trop forte. Certains livres demandent un petit rituel : on ne regarde pas n’importe quoi n'importe comment.

Quinault et Hoh sont des forêts primitives de la côte ouest des Etats-Unis. Un endroit des premiers temps, dense et humide, où la lumière pénètre difficilement. Les photographies sont faites à la chambre 8x10, très sombres. Il n’y a presque que du bleu et du vert dans ces photographies répétitives où Ueda tente de rendre les couleurs phosphorescentes qui lui apparaissent, où on a l’impression que la forêt l’absorbe petit à petit. En lisant son texte d’introduction, dans lequel il livre les pensées qui le traversaient sans cesse durant son errance dans les bois, comment ne pas penser à la voix off de certains films de Terence Malick, celle de « La ligne rouge » en particulier ?

Ce livre est une étrange expérience visuelle, où le chaos laisse une impression de mystère et de paix une fois le livre refermé. Visuelle et tactile, la maquette étant très réussie.

Ueda se demande à un moment pourquoi les hommes sont les seuls à avoir si peur des profondeurs sombres de la forêt, alors qu’ils vivent dans des villes qu’ils ont rendues souvent sombres et dangereuses ? Interrogation qui rejoint celle d’Alain Cornu qui a réalisé un joli ensemble sur la forêt http://www.alaincornu.com/ et a eu la surprise de découvrir qu’à la question « La nuit venue, dans quel endroit auriez-vous le plus peur : une ville ou une forêt ? », la majorité répondait « la forêt » (cité dans la revue Images).

Un aperçu de ces photographies très particulières ici : http://rareautumn.blogspot.com/2007/09/quinault.html

Quinault, Ueda Yoshihiko, 2003, broché, Seigensha éditeur. ISBN 4-916094-86-7 C0072. Le livre a été acheté chez Junku http://www.junku.fr/, la librairie japonaise de Paris chez qui on trouve (évidemment :-)) des choses japonaises intéressantes, bien qu’ils ne soient pas spécialisés en photo. Le livre est assez cher, 92 € de tête

PS : je suis preneur de toutes références intéressantes contemporaines sur la forêt.

Jimmy

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Jimmy Péguet
Date: 26-03-2008 14:14

J’avais dit quelques mots l’autre jour sur « Apples and olives » de Lee Friedlander, que je considère comme un des petits bijoux reçus ces derniers mois. Réalisation parfaite : papier, impression, subtilité de la maquette, sujet merveilleusement traité, sensualité discrète de l’objet.

La semaine passée, j’ai reçu le Friedlander tout récemment paru, un travail de commande sur l’œuvre de l’architecte-paysagiste américain Frederick Law Olmsted, dessinateur entre autres choses de nombreux parcs américains. De format plus grand qu’ « Apples and olives », on a immédiatement une impression de parenté entre les deux livres : pas étonnant, c’est la même équipe (Katy Homans à la maquette) qui a conçu le livre. Celui-ci est entoilé dans une couleur inhabituelle, une espèce de jaune moutarde qui sied parfaitement au sujet, photo collée dans une cuvette de la couverture, papier intérieur de couverture violet pâle, page de garde verte. La réalisation est elle aussi sans reproche, avec une maquette très fine, un papier agréable et une impression excellente. Le livre, qui ne comporte presque pas de texte sinon une courte introduction de Friedlander et une rapide citation de Jim Harrison, est rempli de photos en noir et blanc de formats variés, carrés, rectangulaires classiques, panoramiques, une grande partie d’entre elles faites au grand angle.

Les photographies (les « paysages », selon le titre), à deux ou trois exceptions près, ont été réalisées sur une période de cinq ans, entre 1989 et 1994. Partout, l’interpénétration de la ville et des parcs. Les immeubles, les rues en arrière plan, au travers des feuillages. Les monuments, les ponts des parcs. J’avais au début le sentiment que la ville s’effaçait derrière la nature au fil du livre, mais en regardant encore et encore le livre, il n’en est rien, l’homme est toujours là. On est toujours dans des arrangements artificiels, même s’ils deviennent de plus en plus naturels. On ne perd jamais de vue la vision de l’architecte, le jardin vivant sa vie sauvage. On a souvent l’impression d’être en pleine forêt.

Ce qui est vraiment jouissif, c’est le plaisir que prend Friedlander à photographier ces arbres, ces branches, jamais les mêmes. On a l’impression qu’il s’amuse. Il y a tout au long de ce livre un sentiment de liberté photographique comme j’ai l’impression de n’en rencontrer que rarement. « Dans mon cas, c’est le jeu d’un vieil homme », dit Friedlander. « …I needed to use all that I had learned, every trick, my best gear, whatever wit I was capable of… ». Ce livre est (ça va devenir une habitude d’écrire ça !) un très grand plaisir.

Lee Friedlander, Photographs, Frederick Law Olmsted, Landscapes, relié, DAP éditeur. ISBN 978-1-933045-73-3

Jimmy

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Jimmy Péguet
Date: 08-04-2008 13:20

Reçu hier le bouquin sur Noirlac. En essayant de ne pas flagorner :-), le livre est un plaisir à feuilleter. Jolie maquette très claire, papier agréable. L'impression un peu pâle me plaît bien. La trame assez grossière et présente va bien à la plupart des techniques employées, particulièrement aux différents noirs et blancs, en accentuant la sensualité de certaines images (peut-être que quelque chose va bien ici, dans le contraste entre cette matière et l'austérité du lieu ?). L'objet est très plaisant en mains, son poids va bien avec le format carré:-) De bons textes avec une bonne iconographie.

Le livre me séduit davantage que celui sur Fontfroide, qui était un premier essai, une première mise en bouche. Quelque chose me paraît mieux fonctionner ici. Le mélange est réussi entre les photographies classiques et des visions plus plasticiennes. Cette homogénéité est dûe à la maquette bien sûr, mais peut-être aussi aux choix de départ, pratiquants alt et compagnie, choix ensuite élargi à des techniques plus modernes et à des photographes moins axés sur le alt. L'ensemble est très cohérent, chacune des parties se regardant avec plaisir. Chaque photographe est parvenu à dégager une vision du lieu, avec un dénominateur commun, le vide, la scène, sans tomber dans les pièges des procédés dits anciens. Le livre est ambitieux, mais cette ambition intellectuelle n'est pas sèche ou trop pointue, elle se laisse facilement regarder. Quand je montre le Fontfroide à quelqu'un qui n'est pas photographe, les réactions sont la plupart du temps assez retenues. Pas de ça ici, ceux qui regardent y passent du temps, font des rapprochements... Quelque chose fonctionne bien. La lecture du texte de chaque photographe en fin de livre est un petit plaisir, qui éclaire bien sur les intentions de chacun.

C'est une jolie chose que de faire aboutir un tel projet collectif. J'aime beaucoup ces livres collectifs, je pense par exemple dans un genre très différent aux deux volumes du Conservatoire du littoral. Bravo à toutes celles et à tous ceux qui ont mené ce beau projet à son terme. C'est une belle réussite. Préparez-en d'autres.

Jimmy

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Auteur: Jimmy Péguet
Date: 02-08-2008 12:09

Deux tous petits livres sur le paysage. Je les avais reçus il y a un moment sans les avoir encore regardés.

Ce sont deux opuscules d'Hamish Fulton, l'un est un catalogue dans son style caractéristique, l'autre est un entretien très intéressant d'une quinzaine de pages (anglais + traduction française). Les deux sont de 1988 et 89. Ils ont été publiés à 1000 exemplaires par le Domaine de Kerguéhennec http://www.art-kerguehennec.com (rubrique "Editions"). Le prix est ridicule, 15,20 € port inclus pour les deux.

Pour ceux que la réflexion sur le paysage et le travail des Fulton, Long... intéresse, ça vaut vraiment le coup. Ma Mathilde préférée disait que c'était "A mon avis le kit de survie "Fulton" idéal ;)"

Rajouté après-coup : pour différencier les deux livres, le texte, c'est "Standing Stones And Singing Birds in Brittany". Ma-gni-fi-que ! 4,60 €.

Jimmy


 
 Re: Rentrée littéraire, Jimmy Péguet critique, florilège 2008, tome I
Auteur: Zoran 
Date:   19-09-2008 10:12

j'avais envie de réactiver le fil sur painter's pool de jem southam que je viens de recevoir. un très beau livre sur la perte, l'amitié, la mort et la vie finalement.
il y a cette phrase clé dans l'introduction de jem southam : " The series of pictures grew initially from an attempt to see how the photographic medium might be used to deal with a similar set of concerns to those he (Mike Garton) had pursued through painting."
Un type bien ce Jem Southam, très apprécié de son éditeur qui ne tarit pas d'éloges sur lui, ils préparent d'ailleurs un nouveau livre ... les billets de Jimmy seront donc certainement à suivre !


 
 Re: Rentrée littéraire, Jimmy Péguet critique, florilège 2008, tome I
Auteur: Serge COSNIER 
Date:   20-09-2008 13:28

Tout comme la photographie, la littérature est un mensonge qui dit la vérité.
Photographe, poète et menteur. Bravo Jimmy.

Photographe amateur

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