Auteur: pawl
Date: 21-02-2008 21:34
Ce n'est qu'un remake....toute ressemblance avec des personnes...bla bla bla
Huit ans après la mort de l’acteur Klaus Kinski, le cinéaste allemand Werner Herzog consacre un film à son " meilleur ennemi intime ".
" Ennemis intimes, Klaus Kinski - Werner Herzog " est une réponse à l’autobiographie démesurée de l’acteur. Et une formidable déclaration d’amour à un être qui manque terriblement au cinéaste.
Mon ennemi intime, présenté cette année à Cannes en sélection officielle hors compétition - devenu Ennemis intimes, Klaus Kinski - Werner Herzog, - est un film unique. Document rare issu de la fiction, il est l’ouvre ultime d’un metteur en scène, Werner Herzog, un des leaders du jeune cinéma allemand des années soixante-dix considéré aujourd’hui comme un des grands du cinéma mondial et de celui dont l’histoire cinématographique reste liée à la sienne, un des acteurs les plus fascinants du XXe siècle, Klaus Kinski, disparu en 1991.
Tous deux Allemands, l’un du Nord - Kinski est né sur les bords de la Baltique, dans une région aujourd’hui polonaise -, l’autre du Sud, ils se sont " rencontrés " pour la première fois dans un appartement munichois.
C’était en 1953. Werner, qui ne s’appelait pas encore Herzog, avait treize ans et vivait avec sa mère. Divorcée, elle louait une partie de son appartement à un acteur alors débutant au cinéma mais qui s’était fait remarquer au théâtre : Kinski avait vingt-sept ans, et Jean Cocteau, dont il avait interprété la Machine à écrire et la Voix humaine - un rôle de femme -, disait de lui : " Son visage est celui d’un enfant mais son regard est mûr en même temps. "
Vingt ans plus tard, Werner Herzog donne la possibilité à Kinski de se réaliser enfin, à plus de quarante-cinq ans, jusqu’à l’épuisement. Ce sera en 1975, la révélation au monde d’un acteur génial dans Aguirre, la colère de Dieu (1972), puis la sublimation dans le rôle du Vampire de Nosferatu, fantôme de la nuit (1978) avec Isabelle Adjani et Bruno Ganz, immédiatement transformé en aboutissement dans Woyzeck avec Eva Mattes. Suivront Fitzcarraldo (1981) avec Claudia Cardinale et Cobra Verde (1987). Quinze ans de collaboration, d’amour et de haine.
Ennemis intimes s’ouvre sur une étonnante séquence de visite d’appartement cossu, Werner Herzog expliquant aux propriétaires médusés qu’il avait habité là enfant et décrivant Klaus Kinski enfermé pendant deux jours dans une salle de bains qu’il avait fini par détruire totalement. Le récit est déjà fiction.
" Comme je n’ai jamais parlé publiquement du Kinski de cette époque, nous dit Werner Herzog, je voulais, en réalisant ce film, donner quelques détails sur le pourquoi de cette histoire. J’ai eu le sentiment que le travail que nous avons effectué ensemble nécessitait quelques explications et que notre relation se devait d’être éclaircie. Je voulais ouvrir de plus grandes perspectives sur notre histoire. Je pense que mon film répond à cela. "
Werner Herzog a toujours travaillé de manière extrême avec ses comédiens. On se souvient que, pour Cour de verre (1976), il a fait tourner ses acteurs en état d’hypnose afin de styliser au plus près l’hallucination et la folie. Mais la symbiose incroyable qui a pris forme entre Herzog et Kinski est de l’ordre de l’exception, de l’indicible, voire de l’invisible. Comme issue d’un monde de ténèbres.
" Ce qui se passe entre deux personnes n’est pas toujours visible, nous dit Werner Herzog, qui vient d’écrire un manifeste à propos du fait et de la vérité (1). C’est souvent stylisé, fabriqué. Mon film sur la relation entre Kinski et moi ne laisse pas de place à l’imagination. C’était comme c’était. La seule chose que je me dois de faire est de suivre un certain cheminement au travers d’événements réels et d’en montrer la vérité esthétique. Afin que l’on voit un documentaire alors que la télévision, par exemple, offre seulement une vérité de… comptable. "
À la question de savoir qui était réellement Kinski (d’où vient-il ? dans combien de centaines de film a-t-il vraiment joué ? comment était-il dans l’appartement de Munich ?), Werner Herzog ne peut répondre que : " Je ne sais pas vraiment. J’ai vécu à côté de lui pendant trois mois. J’étais un jeune écolier seulement effrayé par lui et un peu étonné. Je le regardais avec l’amusement que cela pouvait représenter pour un enfant. Je le voyais comme une force de la nature, un diable qui détruisait tout, une sorte de fantôme tombé d’une autre planète… Mais je ne connais rien de sa biographie, il en a écrit une lui-même (2), mais tout y est inventé y compris les horreurs qu’il crache sur moi, que nous avons imaginées ensemble pour qu’elles soient le plus horribles possible. Je n’ai jamais vraiment pu suivre son histoire entre l’Allemagne, Berlin, ses ancêtres polonais. Personne ne sait exactement dans combien de films il a joué, cent cinquante, deux cents ou plus, qui sait ? "
Claus Günther Nakszynski, né en 1926 à Zappot, près de Danzig alors en terre allemande - devenu Sopot, élégante station balnéaire polonaise -, mobilisé en 1944, blessé et fait prisonnier par les Anglais, a scandalisé par ses spectacles sur les planches de Berlin, tourné dans des dizaines de films allemands de seconde catégorie avant de devenir le roi du western-spaghetti. Toujours en loup solitaire.
Jusqu’à la rencontre avec Werner Herzog et la création d’une alchimie sulfureuse. " Il y avait une telle intensité dans notre relation, nous dit Werner Herzog, que l’on se poussait l’un l’autre au-delà des limites que l’on peut atteindre quand on tourne un film. Je ne nous ai jamais ressenti comme un couple parce que les choses se passaient au-delà de nos personnes privées. Notre cas était plutôt lié à une idée de destin qui nous aurait amenés à être ensemble, de destinée commune, que nous aurions acceptée… Il y a eu de grands moments de bonheur, comme on peut le voir dans la séquence tournée à Telluride par une obscure station de télévision. Je me souviens en la revoyant que la caméra était présente lorsque, au moment de nos retrouvailles, j’ai poussé Kinski dans une poubelle, devant la foule. Klaus était au milieu des ordures et ne voulait pas en sortir. Il aimait ça, il en a fait un spectacle face à la caméra. Malheureusement, ce document est aujourd’hui perdu. On perçoit souvent Kinski comme un monstre, mais il faut écouter dans mon film Claudia Cardinale ou Eva Mattes l’évoquer avec de jolies réminiscences. Il était très double, son visage d’ange avait une face sombre, sans borderline entre les deux. Il était plein de contradictions et vivait de profondes crises existentielles, ce que les gens nomment avec facilité la folie. Mais il n’était pas fou. Je n’étais pas fou non plus mais j’étais le plus dangereux des deux. Quelquefois nous allions dans des territoires qui étaient des lieux de happenings risqués. Je dis cela sans plaisanter. "
Cela plaisait à Kinski. " Lui qui avait refusé de travailler avec Visconti, Fellini ou Pasolini, (" des crétins qui ne proposent pas assez d’argent ", disait-il), travaillait avec moi qui le payait beaucoup moins qu’ils pouvaient le faire. Sa présence à l’écran ne l’intéressait pas vraiment. Il a refusé de voir Aguirre pendant longtemps. Puis il l’a vu et haï. C’est au bout de deux ans qu’il l’a aimé. "
" Lors du tournage de Cobra Verde, il était au-delà de tout contrôle de lui-même. Il avait tout donné pour son propre film, Paganini, et il disait à qui voulait l’entendre qu’" il n’était plus ". Il était consumé. J’avais découvert beaucoup de facettes de Kinski, le héros tourmenté de Fitzcarraldo, le perdant flamboyant de Aguirre, le solitaire de Nosferatu et le meilleur de lui-même dans Woyzeck. Après Cobra Verde, il ne restait plus rien de nouveau à découvrir et j’avais le sentiment qu’il fallait mettre un terme à notre aventure. "
" Il n’était pas mort pour moi mais plutôt absent. Il ne faisait plus parti de mon travail et n’était pas dans mon cour. Les acteurs donnent vie aux personnages de telle manière qu’ils les incarnent vraiment. Ainsi Nosferatu ou Lope de Aguirre existent mais plus Kinski. Il les a si parfaitement incarnés qu’il est devenu ces personnages. Je pense qu’il n’y aura jamais de meilleur vampire que Kinski, que son Nosferatu. Quand il est mort, j’ai été un des rares à répandre ses cendres dans l’océan Pacifique près de San Francisco. C’est à ce moment précis que j’ai eu la sensation profonde qu’il était vraiment mort. Si je n’avais pas fait ce film, je n’aurais jamais revu sa famille et il m’aurait manqué un tout petit peu. Mais maintenant qu’il s’est rappelé à moi, bien sûr, il me manque comme s’il était vivant. "
Tel que le montre cette ultime séquence d’Ennemis intimes, due au grand documentariste américain Les Blank, dans laquelle Klaus et un papillon jouent ensemble. " Je remercie Dieu à genoux, nous dit Werner Herzog, que Les Blank les ait filmés d’une manière aussi belle et aussi longuement. Car c’est un jeu sans fin pour Klaus. Le papillon reste, revient encore et encore se poser sur son doigt, sur son visage, sur son oreille. C’est absolument merveilleux. "
Propos recueillis et traduits de l’anglais par
Michèle Levieux.
(1) In Déclaration de Minneapolis (Minnesota), du 30 avril 1999 : Lessons of Darkness, à propos du fait et de la vérité dans le cinéma documentaire.
(2) Crever pour vivre, de Klaus Kinski, éditions Belfond, Paris, 1976.
pawl
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