Auteur: jeanba3000
Date: 01-10-2007 09:33
En juin 2000, le magazine professionnel du graphisme Étapes Graphiques publiait sur sa couverture « Irma 's torso 2000 », une photo noir et blanc représentant le corps nu décharné d'une femme très agée, du photographe Nadar Kander. Cadrée frontalement du haut du sternum au haut du pubis, ils l'ont présentée comme une « ode à la beauté des corps et des lieux de transformation ».
Dans le numéro suivant, ils ont publié un article faisant le point sur le « scandale » qu'elle avait déclenché, présentant plusieurs réactions de lecteurs, souvent très vives, surtout celles de rejet. Je cite le texte de la rédaction :
« Outrés, vous avez été outrés. Loin de nous l'idée d'une provocation gratuite. La photographie d'un très vieux corps est dure, perturbante, mais elle n'est certainement pas dégradante. Avez-vous soigné les vieillards que vous aimiez, proches de leur fin ? Les avez-vous trouvés répugnants, indécents dans leur nudité ? Contempler l'image de ce que nous deviendrons un jour n'est pas évident. Le regard s'arrête sur cette photographie de Nadav Kander, s'en détourne avant d'y revenir, prêt à affronter une réalité chaque jour grandissante. Belle lapalissade que celle qui consiste à dire que nous vivons dans une société vieillissante, que les progrès de la science amèneront nombre d'entre nous aux vertes prairies du siècle dépassé. L'homme est programmé pour vivre 120 ans et plus, paraît-il. Nous approchons du but ultime. La peur de la mort est légitime, mais ce corps en couverture représente la vie. Notre vieillesse s'étendra. Amis créatifs, êtes-vous choqués de voir de trop jeunes femmes nues format 90/60/90 vendre des pots de yaourt ? Êtes-vous choqués quand des mannequins d'à peine 30 ans vantent des gammes senior de l'Oréal et consorts ? Êtes-vous choqués quand les rares publicités présentant des femmes “mûres” (40, 50 ans ?) sont retirées précipitamment du marché, faute d'adhésion du public ? Étapes Graphiques vous a heurtés car cette photo est belle, bien construite, pleine de sens. Certainement pas gratuite. Dans l'objectif de Nadav Kander, la vieillesse est esthétisée. Voilà peut-être ce qui est gênant. Dommage que des professionnels de l'image soient incapables d'aller au-delà du premier niveau de lecture... Nous sommes ravis que vous réagissiez enfin, mais pourquoi faut-il vous bousculer pour cela ? »
D'autres réactions ont été publiées dans le numéro suivant, puis un dernier article est venu conclure l'affaire, avec d'autres réflexions de lecteurs, et un mot de Kander :
« À l'époque où j'ai pris cette série de photos d'Irma, j'ai essayé, comme toujours dans mon travail, de composer des images qui soulèvent des questions. Mais la réponse à certaines d'entre elles n'est pas toujours agréable. Certains de vos lecteurs ont réagi d'une manière qui révèle une inquiétante confusion quant à ce qu'une telle image signifie réellement. Nous semblons tous très à l'aise face aux jeunes femmes nues (ou à moitié habillées) qui s'affichent sur les panneaux publicitaires de nos rues ou sur les couvertures des magazines. Mais cette image a suscité le dégoût et l'indignation parmi quelques lecteurs. Pourquoi ? L'âge de cette femme. Existe-t-il un âge au-delà duquel une telle image devient inacceptable ? Si l'autorisation se situe autour de 18 ans, l'interdiction commence-t-elle à 55 ou 56 ans ? Ces personnes réagissent-elles de la sorte parce qu'elles ne voient pas la beauté quand elles y sont confrontées, ou sont-elles mortifiées par la réalité de notre évolution physique ? Pourquoi ne peut-on pas considérer cette photographie comme une célébration du genre humain, dans la veine des études de nu traditionnelles ? J'ai réalisé les clichés de cette femme à New York. Elle est actrice. C'est une personne très vive, en pleine forme, qui a volontiers accepté d'être photographiée de la sorte. Son corps est aussi beau aujourd'hui qu'il l'était quand elle avait 17 ans. »
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