Auteur: Emmanuel Bigler
Date: 23-08-2008 11:44
Pour ajouter un élément au débat, je viens de lire dans le magazine allemand Schwarzweiss, http://www.tecklenborg-verlag.de/magazine/sw/63.htm N° 63, avril-mai 2008, pages 36-39, un très intéressant article de M. Burkhardt Kiegeland sur la comparaison entre une prise de vues noir et blanc avec un Canon 1ds Mk II (21 Mpix) et un plan film en 4x5 pouces.
M. Kiegeland est l'un des rédacteurs de la revue Schwarzweiss, spécialisé dans le noir et blanc traditionnel, on ne peut pas le soupçonner d'avoir un avis biaisé en faveur de la prise de vue sur silicium.
En bref, sa conclusion est que la qualité d'images, en noir et blanc, jugée sur des tirages faits d'après le même procédé numérique pour les deux sources, se rejoignent. L'image numérique du Canon, en bout de chaîne, est un quart-de-poil moins nette mais elle ne porte aucun bruit de granularité. L'image issue du scan d'un plan film 4x5 est un poil plus nette, mais elle montre son grain lorsqu'on agrandit des détails, à un niveau d'agrandissement qui ne correspondant cependant pas à l'examen normal du tirage, mais dans des conditions où l'image numérique n'est affectée d'aucun bruit visible.
Les détails techniques de cette comparaison faite très sérieusement sont a priori arbitraires et critiquables, mais il correspondent à des tests que celles & ceux qui nous lisent, amateurs-trices équipé(e)s de chambres, peuvent faire, s'ils on un accès pour emprunter un Canon 1DsMkIII à quelqu'un qui en est équipé.
- côté silicium numérique, un Canon 1ds MKIII 21 Mpix avec un zoom trans-standard série L, a priori les meilleurs zoom de chez Canon ;
- côté chambre, une Linhof Technikardan 4x5 pouces montée avec un Schneider Apo Symmar de 135 ou un Docter Apo Germinar de 240, deux optiques qui n'ont pas franchement la réputation d'être des culs de bouteille. Le film était un PF 4x5 pouces de chez Ilford, une bonne vieille FP4 développée en HC-110 dilution B.
Les images de test étaient, prises depuis un balcon avec les deux appareils sur pied en parallèle, une vue de la belle ville de Thoune (Suisse) avec des toits de tuiles (très propres) étagés en profondeur et des chalets typiquement suisses (propres-et-en-ordre) au loin : plus rigolo, avouons-le, qu'une série de mires de l'US Air Force modèle 1951.
Le film FP4 a été scanné avec un Epson 700 récent, on pourrait arguer que ce n'est pas ce qu'il y a de plus performant comme scanner mais c'est ce qui est abordable comme achat pour les amateurs passionnés. On pourrait également arguer qu'il est déloyal de mettre en regard une focale fixe-de-course comme une optique de chambre top-du-top et un zoom pour le 24x36... mais vu les conclusions, pour moi la cause est entendue ; on n'en est plus qu'à des détails, en fait, dans la mise en regard des deux techniques de prise de vue et de tirage.
Les fichiers issus du Canon ou issus du scan du PF ont été traités par le même logiciel avec un effort mis pour appliquer les mêmes filtres avant l'impression qui s'effectue sur la même machine avec du papier de luxe. Je ne sais pas si les images imprimées dans la revue sont des bouts d'images numériques intégrés informatiquement ou ou des re-scans des tirages, mais peu importe, on peut faire confiance à M. Kiegeland dans ses conclusions.
Donc nous sommes dans une situation où ceux qui visent un tirage noir et blanc d'après fichier numérique n'ont plus grand chose à attendre en gain de qualité entre un Canon 1dsMkIII et le fin du fin de la chambre professionnelle en 4x5 pouces.
On peut à ce stade, arguer que si on aime la prise de vue sur film, il ne faut pas passer en numérique mais rester à l'agrandisseur, c'est un autre débat ; mais personnellement ayant goûté récemment aux joies du dépoussiérage informatique (en couleurs, certes), j'ai peur de ma prochaine séance de tirage à l'agrandisseur s'il y a la moindre poussière « analogique » à repiquer à la main !
Dans les débats de galerie-photo, on avait évoqué (sous la plume d'Henri Gaud) qu'il fallait un facteur 2 à 4 fois plus de surface de film scanné pour atteindre la même qualité qu'ne capture sur un petit bout de silicium. La comparaison récente faite par M. Kiegeland dans les conditions citées plus haut nous porterait ce facteur d'équivalence bien plus haut, le rapport entre la surface d'un 4x5 pouces (94x120) et un 24x36 étant de l'ordre de 10 (13X pour être précis)
Signalons que la comparaison a été effectué avec des indices ISO comparables, le FP4 en nominal autour des 125 ISO et le Canon réglé sur 200 ISO. Vu que les zizos numériques sont définis d'une façon qui n' a rien à voir avec les zizos du film, on peut aussi critiquer que çà n'a pas de sens, mais les faits sont là; le silicium étant un bien meilleur capteur de photons que le film, même en prenant 10 fois plus de surface de film, dans des expositions comparables en nombre total de photons reçus par cm2 au niveau du détecteur, le film gâche tellement de photons que le bruit du capteur, pour la même lumination, apparaît négligeable.
Au passage il est très difficile de juger visuellement si une image est plus nette que l'autre lorsque l'une des deux est granuleuse, c'est ce qui rend un peu difficile le classement entre les deux images de l'article, à mon avis il n'y a plus à classer, on est au même niveau.
Les conclusions qu'on en tire sont, me semble-t-il, diamétralement opposées selon qu'on est un professionnel visant à une production ou un amateur « qui aime » le travail manuel.
Le professionnel, ou je me trompe fort (je ne fréquente peut-être que des professionnels un peu spéciaux, c'est la faute à galerie-photo), de toutes façons n'utilise plus sa chambre pour ses clients, son seul débat sera de savoir s'il reste avec le Canon 24x36 (ou le Nikon concurrent avec ses 12000 zizos ou le futur Sony plein format) ou s'il s'endette pour un dos numérique moyen format.
L'amateur que je suis, au contraire, trouve fantastique la qualité d'image issue en parallèle des deux systèmes, admet que les progrès en tirage noir et blanc jet d'encre font vaciller les certitudes des plus intégristes-du-labo-humide-sur-support-baryté, et en déduit sans l'ombre d'une hésitation qu'il n'y franchement aucun intérêt à s'emm.... avec du numérique alors qu'on a tant de plaisir à faire des vues des vieux toits de tuile de Thoune à la chambre en maîtrisant tout soi même de A (comme Arca Swiss) à B (comme la dilution du HC(110).
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Imaginons qu'en frottant une bouteille de Rodinal retrouvée dans un grenier (une bouteille en verre, comme celles qu'on retrouvait dans les décombres après la guerre et dont le contenu était parfait, comme le racontaient les publicités Agfa autrefois) en sorte un Bon Génie qui dise :
« - Merci de m'avoir fait sortir de cette bouteille où je m'ennuyais depuis 1929, oublié par l'un des premiers rolleiphiles ; en échange, pour 10000 euros HT, j'exauce tous tes souhaits de matos Foto ! Que dirais-tu d'un Canon 1 Ds Mk III avec le meilleur zoom trans-standard série L, l'outil de production des professionnels d'aujourd'hui ?
- Holà mon Bon Génie, comme vous y allez ! Moi, acheter un Canon 1 Ds MkIII ? J'ai peur de vous froisser mais ce n'est pas cela qui me tente !
- Impossible ! Tous les amateurs modernes ne rêvent que de ce matos-là !
- Hélas, moi pas !
- Alors pour 10000 euros HT, que choisirais-tu ?
- Rien ! je préférerais avoir du temps pour refaire du labo N&B classique avec le matos que j'ai déjà ! »
À ce point de la discussion le Bon Génie se rappelle une histoire fort cruelle d'Alphonse Allais déjà citée ici, Le pauvre bougre et le bon génie, et il fait la proposition suivante :
« - Soit ! Alors plutôt que de te proposer une somme forfaitaire pour du matos, que dirais-tu si toutes tes dépenses de consommables film, papier baryté, révélateur, etc.. étaient assurées ad vitam aeternam sous forme d'une rente mensuelle ?
- Ce serait super ! Çà me permettrait d'acheter, en plus de mon FP4, tous les films & papiers MACO ou BERGGER et de tenter de percer le secret de leur origine ! J'accepte tout de suite la proposition !
- Soit, mais il y a une condition ; maintenant que je suis sorti de la bouteille je ne vais pas repasser par ici souvent, donc je te propose de te donner en cash toute la somme correspondant à toute cette rente, à charge pour toi d'étaler tes dépenses, bien entendu, et de ne pas tout dépenser d'un coup !
- Hmmm.... cette proposition est étrange, mais je serai raisonnable, j'accepte ! »
Le Bon Génie sortit de sa poche quelques billets, et quelques pièces en euros (en particulier une toute neuve représentant le Roi des Belges, plus une belle pièce finlandaise avec la fameuse Mûre des Marais) pour une somme totale de cent quarante trois euros vingt sept.
À peine quinze jours de consommables ! Serait-ce le temps qu'il me reste à consacrer à la photo ? Bah, qu'à cela ne tienne !
... et il s'empressa d'aller dépenser ses cent quarante trois euros vingt sept sur eBay (il lui manquait encore un vieil angulon-pas-super en focale de 120)
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